Le professeur qui ne s'était même pas retourné à l'approche des héritières surgit dans l'embrasure de son amphithéâtre.
─ Bonjour, murmure-t-il d'une voix grave à l'intention de la directrice.
─ Nasir, je vous présente les héritières.
Il jeta un bref regard par-dessus l'épaule de Séraphine.
─ Mon cours va bientôt commencer.
Belladonna s'éclaircit la gorge avant de prendre la parole.
─ Avec tout le respect que je vous dois, il n'était pas stipulé que nous assistions aux cours. Bien qu'ils doivent être très intéressants.
Séraphine se tourna face aux héritières.
─ C'est de cela dont je voulais vous parler. Vous pouvez assistez aux cours que vous voulez. Mais vous n'en avez pas l'obligation. Cependant, d'après le courrier officiel d'Encrion, les Narrateurs aimeraient que vous vous fondiez dans la masse. Rester toute la journée dans votre logement n'est pas conseillé, et puis errer dans l'Académie risque de vite vous ennuyer. Etant donné les récents évènements, il est préférable que vous soyez entourées des élèves et des professeurs pour ne pas rester seules. De plus, les cours de monsieur Nasir sont toujours passionnants !
Bien sûr, je n'en doute pas ! répondit poliment Belladonna. Nous y assisterons avec plaisir.
Elle faisait bonne figure. Elles étaient toutes soumises à cette obligation, alors elles affichaient des sourires plus ou moins chaleureux.
Le professeur retourna à l'intérieur et Séraphine leur fit signe d'entrer. Elles s'alignèrent dans la rangée du fond. Enée ne souriait plus du tout. Son sang bouillonnait dans ses veines. Elle n'avait pas envie d'être là. Pourtant, toutes les autres parvenaient à faire semblant. Sauf Lavinia, dont l'enthousiasme était sincère. Le professeur préparait des notes sur un pupitre sans leur porter d'attention.
Peu à peu les élèves entraient dans l'amphithéâtre sans remarquer leurs présences. Ils étaient comme dans une bulle qui s'appelait « routine ». Rien d'autre n'existait autour. Mais la paix ne dura pas aussi longtemps qu'elles l'auraient voulu. Un jeune homme blond, dont les mèches couvraient le front, s'arrêta en les voyant. Sa surprise ne dura qu'une seconde mais ce fut assez pour que les élèves qui le suivaient se heurtent à lui avant de suivre son regard. Il eut la politesse de poursuivre son chemin comme s'il ne venait pas de voir six héritières. En revanche, les autres regards étaient plus insistants. Pénélope affichait un sourire sarcastique tout en les analysant en retour. Le sourire de Nova ressemblait à une grimace mais elle faisait de son mieux. Celui de Lavinia était crispé. Enée ignorait complètement la scène. Seules Belladonna et Griselda affichaient le sourire parfait qu'elles avaient apprit à offrir. Encore une histoire de génération mais il fallait avouer que les deux sœurs savaient comment sauver les apparences. Leurs comportements étaient exemplaires.
Pourtant toutes sortes d'expressions défilaient sur les visages des élèves. Enée avait vu de la jalousie, de l'admiration, de l'envie, de la surprise, et bien d'autres réactions, tout ça en l'espace de quelques minutes.
Elles avaient même eu le droit à un salut de la part des plus polis.
─ Bonjour à tous, fit le professeur d'une voix qui recouvrit l'assemblée.
Enée l'avait presque ressentie dans chacune de ces cellules comme si elle était venue se poser sur sa peau. C'était impressionnant.
Bonjour ou mauvais jour, à vous de décider de la tournure que prendra la suite. En ce qui concerne mon cours, vous n'avez pas le choix. Il n'y qu'une bonne option et vous la connaissez.
Enée remarqua des élèves souffler discrètement comme s'ils étaient habitués à ces réflexions.
La porte s'ouvrir de nouveau dans un grincement désagréable.
C'était Roman, le seul visage familier, qui semblait essoufflé. Il était sans doute en retard à cause de la tâche que lui avait confié Séraphine.
Nasir le fusilla du regard, mais ne dit rien. Roman s'installa silencieusement à la première place qu'il trouva. Quand la tension se dissipa, le professeur se posta derrière le pupitre pour commencer son cours. Certains élèves usaient de leur bon sens pour ne pas se retourner afin d'observer les « nouvelles ».
─ Comme vous l'avez remarqué, ne faites pas les innocents, l'académie a l'honneur d'accueillir les héritières des Cinq Grandes Maisons. Ces dames sont bien trop importantes pour que vous respiriez le même air alors tâchez de leur rendre justice.
Sa voix tonna dans tout l'amphithéâtre.
Des chuchotements commençaient à se faire entendre mais lorsque Nasir reprit, ils se turent.
Vous vous demandez certainement pourquoi l'Académie ne vous a pas informé avant aujourd'hui de leur arrivée, et si votre cerveau est correctement constitué, vous pouvez deviner que ce n'est pas un hasard ni une négligence de notre part. Pour des circonstances que vous n'avez pas besoin de connaître, mais dont je suis obligé de vous faire part en tant que médiateur provisoire et professeur d'histoire, les Narrateurs ont décrétés qu'il serait préférable qu'elles restent quelques temps entre nos murs dont vous oubliez trop souvent la sécurité qu'ils confèrent. En effet, les héritières ont fait face à des attaques inquiétantes, et le temps que la menace se calme, elles séjourneront ici. Vous en informer à l'avance n'aurait été utile qu'à faire du bruit indésirable autour d'un évènement censé rester discret. Je compte sur vous pour faire preuve de cette qualité : la discrétion.
Nasir ne regardait peut-être pas les héritières dans les yeux à chaque fois qu'il parlait d'elles mais sa voix était partout.
─ Bienvenue mesdemoiselles.
L'amphithéâtre fut parcouru par des applaudissements de politesse. Enée n'était pas dupe, l'Académie avait peut-être la réputation d'être un endroit sûr, ce n'étaient pas tant les murs qui assuraient la protection mais plutôt les personnes y demeurant. Et ici, elle ne connaissait personne, il n'y avait donc aucune raison qu'elle baisse sa garde.
Les élèves se permettaient enfin de se retourner pour les voir. Puis le cours commença réellement.
─ Sortez vos parchemins. Nous allons poursuivre le chapitre que nous avions commencés.
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Le trône des héritières
FantasyLe roi doit contrer une menace en donnant la main de sa fille à un héritier. Mais les héritiers sont tués. Il ne reste plus que les héritières.