Il ne fallut que quatre heures pour traverser le rectangle de mer qui séparait Encrion de Légencre. Le trajet était passé plus vite que prévu, les deux héritières s'étaient assoupies chacune de leur côté sous l'œil sécurisant des cinq gardes. Les cris du capitaine réveillèrent Enée. Ils allaient accoster. Pénélope était déjà debout alors que le bateau était toujours en mouvement. Etant donné la faible résistance de son estomac, elle aurait mieux fait de ne pas bouger immédiatement. Mais dès que les marins s'étaient agités, elle avait bondi, prête. Prête à quoi ? Enée se le demandait. Il n'y avait qu'à attendre que l'équipage fasse son travail et qu'ils abaissent la passerelle pour rejoindre la terre de Légencre. La terre, tout court. Quand elle daigna enfin à se lever, ses membres étaient endoloris, surtout ses cuisses. Mais pas le temps de s'en remettre, les gardes proposaient d'emprunter des chevaux pour faire le reste du trajet.
Un cri étouffé s'échappa de la gorge d'un des deux gardes qui marchaient devant. Les chevaux s'arrêtèrent, affolés. Leurs sabots avaient soulevé un nuage de poussière. Pénélope bondit de sa monture et accourut jusqu'au garde, il avait une flèche plantée en travers du cou.
─ Emmenez-les à l'abris, cria le garde de droite avant de tomber à son tour traversé par une flèche.
Les trois gardes restants avaient déjà levé leurs boucliers et dégainé leurs épées. L'un d'eux prit Pénélope par le bras et l'autre passa devant Enée. Ils se mirent à courir, seulement une dizaine de mètres les séparaient des échoppes. Pénélope voulut s'arrêter pour analyser d'où provenait l'attaque mais à peine eut-elle tourné la tête que deux hommes vêtus de noir et dont la capuche dissimulait le visage, apparurent. Enée brandit la dague cachée dans sa bottine et se jeta sur le plus grand des deux. Un garde la tira en arrière ce qui la frustrait davantage. Pénélope bondit sur le second et lui transperça le cœur de sa lame. Bram aussi avait une lame plantée dans le cœur, et visiblement Pénélope n'était pas à son coup d'essai, pensa Enée. Ses mouvements étaient propres et maîtrisés. Les gardes avaient beau se positionner autour des deux héritières pour former un bouclier, elles en sortaient pour se battre.
─ Rentrez dans cette taverne, ordonna l'un d'eux. Nous allons rester devant jusqu'à ce que nous soyons sûrs que le danger est écarté.
─ Pour l'instant, ajouta Pénélope.
Une énième flèche vint frôler le bras d'Enée. Elle étouffa un gémissement et serra les dents avec une grimace.
─ Rentrez à l'intérieur ! ordonna plus sèchement le garde.
*
L'heure suivante, et en l'absence d'une nouvelle attaque, les gardes avaient jugé plus prudent de rentrer directement à Encrion. Enée et Pénélope n'avaient pas insistées davantage, admettant qu'il s'agissait de la meilleure décision. Pénélope avait demandé de quoi faire une compresse pour soigner le bras d'Enée. Ce n'est qu'une blessure superficielle, avait-elle dit en désinfectant la plaie. Enée l'avait fusillée du regard.
Elles se trouvaient désormais, avec les gardes restants, dans la salle du trône d'Encrion en compagnie de Corbin et d'Acheron qui avait été appelé en urgence.
─ Qui sont ces traîtres ! gronda Corbin en serrant les poings.
─ J'espère qu'il ne s'agit pas de... continua Acheron sans achever sa phrase.
Il était appuyé contre un mur, l'air à la fois abattu mais l'aura d'un combattant. C'était un contraste troublant chez le Narrateur d'Antasion. Corbin, lui, semblait plus vif. Mais il ne venait pas de perdre son fils.
─ Peu importe pour le moment de qui il s'agit, trancha-t-il. Je veux savoir ma fille, et les vôtres, en sécurité !
─ Naturellement, répondit Acheron. Deux de nos fils ont été tué, sa voix se brisa, au sein même de ce maudit château !
─ Le château n'y est pour rien Acheron ! C'est la menace le problème, tant qu'elle n'est pas identifiée ni neutralisée.
Enée et Pénélope écoutaient leurs pères sans ciller. Elles étaient évidemment parvenues à cette même conclusion. Le sujet tournait en boucle.
─ Peut-être serait-il juste de les éloigner des Maisons pendant un temps, proposa Acheron.
Corbin semblait y réfléchir.
─ Où iraient-elles ?
─ A l'académie. La sécurité est renforcée, elles seraient toujours entourées de talentueux professeurs, et surtout elles seraient loin de la menace !
Corbin hochait la tête. Les arguments qu'offrait Acheron semblaient le convaincre.
─ A l'académie ? demanda Pénélope avec méfiance.
─ C'est la seule école qui existe pour l'élite de notre société. Vous avez toutes fait votre apprentissage entre les murs des Maisons mais là-bas vous côtoierez les meilleurs élèves qui intègrent nos rangs chaque année au service des Encrans. Vous serez en sécurité.
─ Je sais me défendre, contra Enée.
─ Notre décision est prise, termina Acheron d'un ton sans appel.
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Le trône des héritières
FantasyLe roi doit contrer une menace en donnant la main de sa fille à un héritier. Mais les héritiers sont tués. Il ne reste plus que les héritières.