chapitre 3

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Le soir même, chacun s'était vu attribuer une chambre comme l'avait ordonné Corbin. Mais il avait aussi ajouté en s'adressant à sa fille « Occupes-toi donc de tes prétendantes » avec contrariété.

Les évènements n'avaient pas tourné comme prévu.

Le statut des héritières venait de changer. Les échanges de conversations étaient timides. Comme s'ils ne pouvaient plus se faire confiance. Quelque chose avait définitivement changé ce soir-là. Et ce n'était pas près de redevenir comme avant.

Même si chaque héritière avait sa propre chambre, elles se réunirent dans celle de Pénélope. Enée constata à quel point l'architecture était similaire chez elle. Que ce soit les colonnes entre le sol et le plafond, les moulures en forme d'arabesque, un lit qui domine la pièce malgré qu'il y eût assez de place pour marcher un bon kilomètre rien qu'en allant d'un bout à l'autre. Seules ses affaires personnelles différaient. Elles ne lisaient pas les mêmes livres et ne mettaient pas les mêmes tenues. Enée était assise sur un petit fauteuil beige qui semblait servir pour la lecture puisqu'une pile de livres vacillait à ses pieds. Nova, qui s'était réveillée depuis, était en tailleur sur le lit à côté de Belladonna, Griselda, et Lavinia. Bien que le lit pût accueillir encore une personne, Pénélope restait debout face à la fenêtre. Elle observait la pluie marteler la vitre. Toutes avaient délaissé les jupons étouffants, et les corsets pour être plus à l'aise en robe de nuit. Même celles-ci étaient sophistiquées. Il était dommage de cacher de si beaux détails sous des robes, pensa Enée. Les langues se déliaient doucement concernant les assassinats.

─ Qui aurait bien pu commettre de telles atrocités ? interrogea Griselda.

─ La paix n'est pas faite pour durer, répondit sa sœur. Mais je ne pensais pas qu'on vivrait assez longtemps pour voir ça.

Belladonna avait de longs cheveux roux ondulés, tandis que ceux de Griselda tiraient vers le blond foncé. Les deux femmes avaient les traits fins, un visage ovale, et des légères ridules autour des yeux. Une allure frêle et paradoxalement puissante.

─ Qu'est-ce que tu veux dire, reprit Griselda. Nous ne sommes pas en guerre.

─ Mais c'est ainsi que commencent les ennuis. Chacun va soupçonner son voisin, ce qui va créer des tensions et déterrer de vieilles histoires que personne n'a envie d'entendre.

Les autres jeunes femmes écoutaient les sœurs de la Maison Osanna avec une attention particulière, chacune finissant par se perdre dans ses pensées qui menaient trop souvent à des angoisses.

─ Je pense que tu exagère, protesta Griselda en se pinçant le nez comme pour se demander comment formuler le fond de sa pensée. Le coupable n'est pas des nôtres. Ton imagination s'étale un peu trop.

Il s'agissait plus d'un reproche que d'une hypothèse.

─ Nous commencerons à chercher demain si vous le voulez bien, déclara Pénélope de sa voix suave.

─ Comment te sens-tu ? Par rapport à Theron, je veux dire.

Pénélope jaugea Enée qui était la seule personne à lui demander comment elle allait après que son mariage ait viré au cauchemar. Le ciel tonna. Un éclair passa. Et la pluie continuait de cliqueter contre les fenêtres.

─ Je ne me permettrai pas de me plaindre, avoua-t-elle. C'était ton frère, pas le mien.

Enée acquiesça simplement. Pénélope n'avait pas l'air plus éprise que ça par Theron. Contrairement à lui.

Un bruit sourd résonna sans que les héritières ne puissent distinguer d'où il provenait. Nova avait sursauté et Lavinia s'était levé en fixant la porte comme si quelqu'un était rentré d'un coup mais il n'y avait personne.

Pénélope avait dégainé une dague, si vite qu'il était également impossible d'en déterminer la provenance. Enée aurait pourtant voulu savoir où elle cachait son arme, en cas de nécessité.

─ Celles qui peuvent se défendre, venez avec moi ! ordonna Pénélope.

Aucune héritière ne se leva.

─ Ce n'est pas que je ne sache pas manier les lames, mais je n'en ai pas sur moi, dit Lavinia.

Les autres affirmèrent être dans le même cas.

Sauf Enée.

─ Je n'ai pas besoin d'armes, déclara-t-elle. Je te suis.

─ Si quelqu'un entre, on n'aura pas de quoi se battre ! constata Lavinia.

─ Allons-y ensemble, proposa Griselda.

Il s'agissait plus d'un ordre que d'une question.

─ Très bien, fit Pénélope. Restez derrière nous. Je compte juste aller voir ce qu'il se passe. Les gardes sont déjà à l'affût s'il y a quoi que ce soit.

─ Et si le meurtrier était un garde, songea Lavinia.

─ On ne peut écarter aucune possibilité, admit Belladonna.

Nova soupira. Elle était apathique, comme si tenir debout était déjà un miracle.

Les héritières traversaient les couloirs mais ils étaient déserts.

─ Il n'y a rien. Allons dormir, murmura Pénélope.

Chacune rejoignit sa chambre respective.

Sauf Enée. Elle avait tout à coup besoin d'air. Elle marchait au hasard à la recherche d'un balcon. Elle en trouva un au bout de quelques minutes. Elle se pencha en avant pour regarder la pelouse vide de toute festivité. Elle observa, faiblement éclairée par la lune, l'endroit où étaient apparues les sœurs du Destink.

Elle repensa à ce que lui avait dit l'une d'entre elles. "Tu as tout intérêt mon enfant, quelle est cette histoire et qui es-tu ?"

La réponse était dans la question car elles connaissaient chacune des personnes sur terre. C'était leur métier. Le Fil Rouge.

Mais elles ne savaient pas qui j'étais.

Elle repensa aussi à Theron, et à Jairus. Surtout à Jairus. Mais à présent une nouvelle possibilité s'ouvrait à elle. Elle sourit. La lune éclairait qu'une partie de son visage, recouvrant l'autre partie d'ombre.

Voilà qui elle était.

Elle était celle qui remporterait le tournoi.

Et bien plus.

Le trône des héritièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant