chapitre 34

2.5K 209 11
                                    

Enée se réveilla, imprégnée par un rayon de soleil. Elle jeta un œil mi-clos à ce qui l'entourait. Les restes d'un feu de camps éteint, les héritières qui se levaient petit à petit, les Bardes déjà sur le qui-vive. Les chevaux qui broutaient. Parodos qui ne s'était toujours pas fait la malle. L'absence de Pénélope. Les images de la nuit lui revenaient par flash, comme s'il s'agissait d'un rêve mais les démangeaisons étaient bien réelles.

─ Où est Pénélope ? s'inquiéta Belladonna.

Personne ne répondit.

─ Où est Pénélope ? répéta l'héritière.

Personne ne savait.

Les Bardes d'Encrion ne sont pas là non plus, ajouta Lavinia.

Enée ne dirait rien de cette nuit. Un autre secret à garder. Elle se demandait comment elle allait trouver un endroit pour se laver afin d'enlever le restant de pâte séchée. C'était un maigre effort par rapport au cadeau que Pénélope lui avait fait. Encore fallait-il qu'il ne soit pas empoisonné mais rien que l'ombre de la Marque en valait le prix à payer.

─ Il s'agit de la seconde épreuve, devina Belladonna.

─ Les Narrateurs ont le sens de l'humour, rappliqua Griselda.

─ Nous devons retrouver la princesse. Je suppose que c'est là que nos chemins se séparent, trancha sa sœur.

En suivant cette logique, la première à retrouver Pénélope remporterait cette épreuve, songea Enée.

« ─ Et vous, où allez-vous ?

─ Je ne peux pas te le dire. »

Allons sauver la princesse.

Mais avant, elle devait trouver un endroit où se baigner. Elle s'approcha de son cheval, qui n'était pas d'humeur matinale. Celui-ci agissait comme si elle n'existait pas. Et ça lui fit plus de mal qu'elle ne voulait l'admettre. Elle se résigna à laisser Parados la suivre en ignorant sa présence. Il était même libre de s'enfuir, peu importait. S'encombrer d'une bête insolente ne ferait que la retarder. Et tant qu'il ne s'évaporait pas, elle restait en compétition. Elle trouverait bien un fidèle destrier plus apte à l'aider dans le prochain village.

Le Mont Hélicon était réputé pour ses nombreuses sources. Énée tomberait forcément sur l'une d'entre elles en se dirigeant vers l'orée de la forêt.
Pourtant elle laissait une longueur d'avance aux autres. Personne ne se questionnerait sur son absence. Elles allaient dans la même direction, mais ne formaient plus un groupe, juste des candidates marchant côte à côte en direction d'une même issue. Quand le bruit des sabots lui parut assez lointain, elle s'engagea sur le même chemin.
Ce n'est que quelques mètres plus tard qu'elle vit les arbres se refléter dans l'eau. Quand elle jeta un œil par-dessus son épaule, Parodos se cacha derrière un tronc. Et les deux Bardes d'Antasion n'étaient pas loin. Elle n'avait jamais eu l'occasion de faire leur connaissance, contrairement à Pénélope avec Harper et Jehona. C'était contraire à la loi.

Elle ne savait d'eux que leurs allures. Autrement, ils se faisaient aussi discrets que des fantômes mais elle n'oubliait pas leur présence pour autant.

Enée se dévêtit derrière un buisson avant de tremper ses pieds et s'arrêta quand l'eau lui montait au niveau des hanches. Elle prit soin de ne pas tourner le dos aux Bardes, si bien qu'elle s'amusa lorsque les joues du plus jeune rosirent. Il devait avoir son âge. Pas plus de trois années de plus. Il avait le teint clair, les cheveux blonds et les yeux bleu foncé. Et il était très certainement en train de se mordre l'intérieur de la joue à défaut de pouvoir détourner le regard. L'autre était plus vieux, il pouvait être son père. Il avait le même regard perçant, et une barbe grisonnante. C'était monnaie courante qu'un Barde expérimenté prenne un apprenti sous son aile. Elle se rappela aussi leurs prénoms que son père avait prononcés à quelques reprises. En revanche, elle ne savait pas lequel était Arlo, et lequel était Teague.

La source n'était pas très profonde. L'héritière dut s'assoir pour se sentir moins vulnérable. Le contact de l'eau détendit ses muscles, elle relâcha ses épaules, mais tout ce qui l'avait conduit jusqu'ici refit surface.

La mort de son petit frère, la mort de son grand frère, puis celle de Bram. Le séjour à l'Académie. L'inconnu de la nuit. Et maintenant, le tournoi. Tout s'était enchaîné sans qu'elle ne puisse s'y habituer. Tout ses plans avaient changé. Et s'il y a peu elle ne pensait même pas passer l'épreuve des chevaux, non pas par manque d'ambition mais bien de capacités, aujourd'hui elle espérait bien gagner. Ce serait peut-être sa seule chance de se faire une place parmi les Cinq Maisons en gardant son secret intact. Elle évitait de penser à Pénélope car ce simple prénom éveillait en elle bien trop d'incompréhension.

Elle rinça son corps endoloris par le voyage avant de s'attarder à l'endroit où l'Encran avait séché. Elle gratta maladroitement ce qu'il restait de pâte. La zone n'était pas facile à atteindre et l'urgence d'enlever tous les résidus sans éveiller les soupçons rendait ses gestes moins efficaces. Mais plus elle grattait, plus elle avait la sensation de se défaire de son ancienne peau. Celle qu'elle devait cacher. Pourtant, ce n'était pas aussi agréable qu'elle l'avait imaginé.

Un avantage qu'elle avait, les premiers sommets étaient à Antasion. Elle serait un peu moins dépaysée que les autres. Même si elle n'avait jamais mis les pieds sur le Mont Hélicon. Il s'agissait d'un chemin sacré qu'on n'empruntait pas à tout va. Il fallait une raison. Mais les villages qu'elle traverserait, aux pieds des sommets, lui sembleraient plus familiers.

Les démangeaisons c'étaient apaisées. Il ne fallait pas tarder. Enée resta dans l'eau un peu plus longtemps pour être sûre que les rougeurs disparaissent. Puis elle se décida à se rhabiller, heureuse de pouvoir enfin échanger sa robe contre une tenue plus confortable. Ses cheveux dégoulinaient sur ses épaules, mais elle n'avait rien prévu pour se sécher. Sans tenir compte des Bardes, ni de Parodos, elle reprit la marche espérant sortir d'ici au plus vite.

Les prochaines heures n'étaient qu'enjambements de racines épaisses, et autres branches qui griffaient les mollets ou piquaient les chevilles. C'est quand elle arrêta d'être à l'affut de la sortie qu'elle se rendit compte que les arbres étaient de plus en plus éloignés les uns des autres. Elle remercia les Muses qu'aucune créature n'ai surgit pour lui barrer le passage et poussa un soupir de soulagement quand la lumière du jour tomba sur son visage sans être filtrées par la moindre feuilles. C'était une lumière vive, pas tamisée. Elle plissa les yeux avec un sourire assuré.

Maintenant, il n'y avait plus que le ciel posé sur des collines. C'est avec plaisir qu'elle marcha sans se soucier d'où elle posait ses pieds, sans trébucher, sans s'abaisser. Elle se surprit même à courir. Parodos était toujours là. Peut-être se laisserait-il monter encore une fois ?

Le trône des héritièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant