Enée était nerveuse. Non pas de danser même si elle n'était pas la plus douée. Elle connaissait les pas et savaient les reproduire tels qu'on le lui avait enseigné. Elle était surtout nerveuse de la proximité avec Pénélope. Sa chaleur enveloppante au contact de son corps. Et cette attraction qui lui donnait presque le tournis. Comme un espace qu'elle devait combler pour se sentir vraiment apaisée. Mais c'était un vide qui subsistait tant qu'il y aurait des yeux pour les observer. Elle ignorait le vertige qui pointait. Se concentrait sur ses connaissances. Mais ses membres étaient plus rigides qu'elle l'aurait voulu. Elle fit une grimace en se demandant si les autres percevaient son malaise. Elle aimerait être plus souple, plus sereine, et même confiante. Cette fois-ci non pas pour la centaine de spectateurs mais pour ravir sa partenaire. Toutes ses contradictions étouffaient la musique ce qui n'aidait pas la performance. Elle s'en voulut de gâcher un tel moment et se retrouvait encore plus enseveli sous ses pensées trop bruyantes. Les mouvements de Pénélope se faisaient plus engagés, comme une invitation à se laisser porter, comme une béquille. Enée s'y perdit sans plus penser. Et elle tournoya avec plaisir avant de rencontrer de nouveau ce corps qui l'appelait. Elles étaient le seul couple de femmes à danser. Alors Enée se détacha des épaules de Pénélope pour laisser ses mains filer le long de ses côtes pour se resserrer autour de sa taille. Pénélope s'appuya alors sur elle, son regard plongé dans le sien.
C'était une recherche d'équilibre qui ignorait l'hésitation. Chaque tâtonnement n'était qu'une réponse de plus, un émerveillement. Et même quand le rythme n'accordait qu'un pas, elles en firent deux, un chacune, quitte à être en retard. Et quand la musique s'arrêta, elles continuèrent. Si bien que l'orchestre dû attendre pour jouer prochaine mélodie. Et l'attente s'étirait. Alors ils furent obligés de rejouer ce qu'elles dansaient après un silence, intrigué par le claquement des talons des deux héritières, qu'aucune conversation ne couvrait.
─ Je connais ton secret, avança Pénélope au creux de son oreille, pourtant je n'échappe pas à ton mystère.
La musique se fit plus douce. Plus chuchotante. Parce qu'elles étaient seules sur la piste. Parce que tous étaient suspendues à leurs lèvres. Enée prit soin de bien articuler sa réponse sans rien changer à ce qu'elle aurait dit si elle avait dû le murmurer qu'à l'héritière.
─ Je peux entendre l'indifférence d'un je t'aime, tout comme la renaissance dans un poème. Il n'y a rien en moi à déceler. Je suis sensible, rien de plus.
─ Je retiendrais le plus, et j'oublierais le rien.
Elles souriaient, cajolées par les flatteries.
─ Mais je suis curieuse, reprit Pénélope. Qu'entendrais-tu dans mon « je t'aime » ?
Enée partit d'un rire amusé.
─ Pour le savoir j'ai besoin de l'entendre.
Le public persiflait.
─ Ma chère, tu n'entends pas. Tu sous-entends. Malgré le préfixe qui suppose une régression, j'y vois au contraire une finesse déconcertante.
─ Essaies-tu de te défiler ?
Des ricanements parvinrent jusqu'à elles. Enée avait conscience qu'elles étaient le clou du spectacle, l'animation inattendue.
─ Non, je prends mon temps. Parce que c'est toujours un privilège de prononcer de tels mots. Surtout quand ils sont sincères... Je vous aime.
─ J'entends dans ce vouvoiement une volonté de pluriel. Parce qu'un je t'aime ne peut suffire.
─ A qui s'adresse-t-il ? la défia Pénélope.
─ A moi seule, voilà toute la subtilité de ta déclaration. Mais je ne peux en être certaine. Il se pourrait que tu sous-entendes à ton tour que je ne suis pas la seule participante. Le vous peut être destiné à nous toutes. Ce qui serait d'une prudence bien décevante quand il s'agit de sentiments.
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Le trône des héritières
FantasiLe roi doit contrer une menace en donnant la main de sa fille à un héritier. Mais les héritiers sont tués. Il ne reste plus que les héritières.