Le trône des héritières

fin

Quelques heures plus tard, on ne parlait plus que de l'épreuve et de la façon dont Enée avait gagné. Certains étaient ravis mais ses détracteurs ne cessaient de clamer qu'il s'agissait de triche puisque la Chimère vivait encore. D'autres, qui n'avaient que faire de prendre parti, répondirent simplement qu'elle méritait quand même la victoire car la Chimère était restée inerte assez longtemps.

Enée se préparait pour la soirée traditionnelle en repensant à tout ce que la bête lui avait dit. Et surtout au fait qu'elle pouvait communiquer avec. Elle n'avait entendu le mot Imagink qu'à de très rares occasions si bien qu'elle ne pouvait se souvenir de ce qu'il représentait avec précision.

Alors qu'elle se préparait pour la soirée de festivités, elle entendit un coup contre la fenêtre, comme si un oiseau se l'était prise de plein fouet. Elle n'y prêta attention que lorsqu'elle entendit le même bruit une seconde fois et qu'elle aperçut la Chimère à travers la vitre. Sans un mot, elle repartit. Enée courut à travers les couloirs et sortit du bâtiment pour suivre la créature. Celle-ci se dirigeait vers la sortie du village, à l'orée d'une forêt.

Enée s'engouffra entre les arbres, le souffle court. Elle avait besoin de réponses. Lorsqu'elle s'appuya contre un tronc pour reprendre ses esprits, la bête se posa un peu plus loin. Enée la rejoignit. Le lion se fendit d'une gracieuse révérence.

« Déesse, vous nous avez sauvé, pour vous remercier nous pouvons vous conduire à Andronica. »

Le dernier dragon, devina Enée.

« La dernière dragonne » rectifia la chèvre.

Le lion se pencha plus bas, si bien qu'Enée pu grimper sur le dos de la chimère, entre la chèvre et le serpent. Elle s'agrippait du mieux qu'elle put, serrant les cuisses un peu trop fort de peur de tomber. La bête se mit à courir avant de s'envoler au-dessus des arbres. L'héritière serra la mâchoire, tous ses muscles étaient tendus. Elle pensait à Pénélope qui ne la trouverait pas ce soir, aux questions que toutes les candidates allaient se poser, mais elle ne pouvait pas reculer. Elle était sur le point d'atteindre le Seizième sommet avant tout le monde. C'était la première fois qu'elle sentit la victoire si proche, si tangible. Il fallait aussi trouver un moyen de ramener Parodos. Sans lui, elle ne pourrait gagner. Il devait fouler le sol du dernier sommet. Elle espérait que Pénélope s'en occuperait en son absence.

Enée se penchait en avant pour plus de stabilité. Plus le temps avançait, plus elle craignait de laisser la fatigue et la sensation de vertige prendre le dessus et glisser. Elle se contentait de regarder droit devant, sentant les mouvements de la créature osciller sous son poids, ce qui la rendait d'autant plus nerveuse même si elle essayait de s'y habituer.

« Nous sommes en train de survoler Fictan. Nous allons nous poser sur le quinzième sommet. »

Enée acquiesça imperceptiblement.

Un cri perçant, à la fois creux et plein, traversa le ciel. Il était si fort qu'Enée se demandait comment ses oreilles pouvaient le percevoir sans éclater. Comme si sa fréquence venait d'un autre monde. Andronica.

« Elle est là, quelque part. »

Enée sentit son appréhension grandir alors qu'elle la pensait à son plus haut point. Son ventre se noua encore plus fort. Ses paumes devinrent moites, son corps tout entier voulait lâcher. La brume s'épaississait à mesure que la chimère avançait. Et au beau milieu de ce néant surgit un monstre d'écailles grises, aux ailes déployées, aux dents pointues, au regard intense. Enée tremblait de tous ses membres lorsque les yeux du dragon se fixèrent sur elle. La créature stagnait à leur hauteur. Ce n'est que lorsqu'elle passa au-dessus de la Chimère, au-dessus de sa tête, qu'Enée sentit une ombre les recouvrir et qu'elle se rendit compte qu'elle n'arrivait même pas à appréhender sa taille.