Il faisait presque nuit. L'odeur des plats mijotés par les villageois emplissait les narines. Ils n'avaient fait qu'une courte pause pour laisser les chevaux boire avant de reprendre la route. Après avoir traversé deux villages inanimés et une forêt, ils commençaient à entrevoir de l'agitation. Des cris, des rires, des conversations, et même des chansons qui provenaient de la Taverne au coin de la rue. Enée avait prit soin de se transformer juste avant d'emprunter ce chemin.
─ Le prince et notre princesse ! clama une voix bourrue.
C'était un père de famille qui regardait par sa fenêtre ouverte qui avait donné l'alerte. Ses trois enfants rappliquèrent aussitôt, lui sautant dans les bras ou sur le dos. Sa femme accourue en évitant de faire tomber la marmite qu'elle était en train d'apporter à table. Très vite, une assemblée se forma autour. Des familles, des ouvriers qui venaient de finir leur journée, des fêtards.
─ Félicitations ! Puisse votre union nous apporter le salut ! s'écria un villageois aux cheveux blancs.
Des acclamations s'ensuivirent.
─ Nous sommes très heureux, les remercia Pénélope avec un hochement de tête.
Héro émit un hennissement qui fit reculer ceux qui s'approchaient trop bien qu'elles étaient encerclées par les gardes. Enée sous le masque de Theron, embrassa la joue de Pénélope qui jouait la mariée comblée.
─ Pouvons-nous vous offrir l'hospitalité ? s'enquit un autre homme, un peu plus en retrait.
─ C'est très aimable de votre part, répondit à son tour le faux Theron, mais nous avons encore de la route devant nous.
Les villageois n'insistaient pas, ravis du spectacle qui venait de s'offrir à eux. Ils avaient de quoi alimenter des conversations pour la saison entière.
─ Dégagez le passage ! ordonna un des gardes de sa voix tranchante qui fit frissonner les enfants.
Les parents pourraient ensuite leur faire peur en disant que le garde reviendrait les chercher s'ils ne mangeaient pas leur soupe, imagina Enée. Les héritières disparurent dans la traînée de poussière qui s'élevait sous les sabots des chevaux qui s'élançaient.
─ Nous atteignons le port, commenta Ashar.
Le garde désignait l'horizon en tendant le bras.
Pénélope plissait les yeux en observant la ligne bleue au loin qu'était l'océan.
Enée n'avait même pas besoin de regarder. Elle le sentait. Elle l'avait senti une demi-heure plus tôt. Son corps semblait réagir à l'eau. Elle avait passé tellement de temps sur les plages, juste à observer, mais aussi à extraire l'Encran de ses propres mains. Elle avait toujours des tâches noires, diluées par les lavages, ancrées sur le bout des doigts. C'était une partie d'elle.
Quand ils atteignirent enfin le port, ils montèrent à bord du bateau qui les attendait. C'était celui qui faisait toujours la traversée entre les deux royaumes. Le capitaine les salua et émit l'ordre de démarrer. Enée avait faillit oublier qu'elle était encore dans la peau de son frère. Elles regardaient par-dessus la rambarde quand tout à coup Pénélope eut un haut le cœur. Enée rassembla toutes ses forces pour ne pas éclater d'un rire tonitruant.
─ C'est l'odeur de poisson ? se moqua-t-elle en faisant attention à ce que personne ne l'entende.
Ce serait malvenu de la part d'un prince épris.
Elle se demanda comment réagir avec bienveillance. Elle se mit alors derrière Pénélope, rassembla ses cheveux cuivrés dans une main et lui caressa le dos de l'autre main.
─ Tout va bien ? demanda-t-elle d'une voix mièvre.
Pénélope l'aurait sans doute plaquée contre un mur en menaçant de l'étrangler si le mal de mer ne l'en empêchait pas. Enée fut presque déçue que la scène ne se produise pas. Elle aimait se battre. Encore plus quand l'adversaire était la femme que convoitait son abruti de frère. Combien de fois avait-il passé ses doigts dans les cheveux doux de Pénélope ? Cette pensée la répugna davantage. Pénélope toussait et semblait mobiliser ses forces pour tenir debout. Elle ne quittait pas des yeux le point qu'elle avait décidé de fixer.
─ Regarde-moi, murmura Enée dans le creux de son oreille.
Pénélope ne bougeait pas.
─ Mon visage te ramènera sur terre, plaisanta Enée avec sarcasme.
Elle continuait à la provoquer sans savoir où se situaient les limites de Pénélope. Mais ça l'importait peu, au contraire, elle aimait ça. Finalement, elle était heureuse de ne pas avoir pu aller au bout de son plan le soir de la cérémonie. Ça l'aurait privé de toutes ces petites joies pour lesquelles elle commençait à se passionner.
─ Tout va bien ? s'inquiéta un membre de l'équipage.
Il avait une barbe grise et une voix enrouée.
─ Ma femme semble être un peu malade en mer ! répondit Enée sous la forme de Theron, l'air embêté.
Le marin assura qu'il avait ce qu'il fallait. Il tourna les talons et disparut dans une petite cabine avant de revenir à peine une minute plus tard avec une coupe remplie d'Encran de Seiche et une pomme verte.
─ Si vous me le permettez, princesse, voici de quoi soigner vos maux.
Pénélope se força à se tourner face à l'homme, les traits tirés.
─ Merci, répondit-elle avec justesse.
Son estomac n'était pas de son côté.
─ L'Encran de Seiche est idéal comme remède. Et puis un fruit pour faire passer le tout.
Enée sourit à l'évocation de l'Encran de Seiche. La richesse de sa Maison.
Pénélope ingurgitait l'entièreté de la coupe en fusillant Enée du regard. Une mèche de cheveux se coinça dans le creux de sa lèvre, Enée prit soin de passer son pouce sur la joue de Pénélope pour la balayer. Theron, pensa-t-elle, tu ne sais pas ce que tu manques.
J'espère que tu es jaloux.
Je ne peux pas t'enlever le fait que tu as bon goût en matière de femmes. Dommage que tu ne puisses pas en profiter. Mais je suis là pour le faire à ta place.
Enée regardait Pénélope boire, elle saisit son poignet qu'elle porta jusqu'à sa bouche et croqua dans la pomme. Pénélope s'essuya la bouche d'un revers de la main tout en tendant la pomme à Enée pour qu'elle croque une deuxième fois.
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Le trône des héritières
FantasíaLe roi doit contrer une menace en donnant la main de sa fille à un héritier. Mais les héritiers sont tués. Il ne reste plus que les héritières.