chapitre 53

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Enée se réveilla dans de délicieuses idées embrumées. Mais seule. Si bien qu'elle se demandait si les images qui lui apparaissaient de la veille n'appartenaient pas à un simple rêve sulfureux. Elle prit le temps de s'étirer. Elle savait très bien qu'il s'agissait de réels souvenirs et elle sourit aux images qui refaisaient surface. Elle ignorait trop facilement la pointe d'inquiétude qui lui murmurait que c'était bien trop facile. Qu'elles s'étaient endormies dans les bras l'une de l'autre. Et que personne n'était venue gâcher ce bonheur. Qu'est-ce qui avait mal tourné ? Pénélope était sortie pour rejoindre sa chambre avant le matin et on l'avait arrêté à peine le seuil dépassé ? Et c'était la même chose qui arriverait à Enée lorsqu'elle mettrait un pied hors de cette pièce. Elle n'accorda que très peu d'attention à ces scénarios. Ce qui était fait était fait et elle ne pouvait rien faire d'autre que sortir d'ici comme si de rien n'était en espérant que rien n'ait changé. Même si sa vie venait de changer. Elle n'avait jamais pensé qu'elle pourrait partager son intimité avec une autre personne un jour. Ses yeux s'embuèrent. Et pour une fois, c'était de la joie. Et une lettre à la jeune fille qu'elle était : tu es libre.

Mais avant qu'elle n'ait eu le temps de rassembler le courage qu'il lui fallait pour se confronter au monde, la porte s'ouvrit sur Elettra. Enée s'enveloppa maladroitement dans les draps. La sueur avait séché sur son front et aux racines de ses cheveux qui étaient tout ébouriffés et elle était nue.

─ Je m'apprêtais à aller prendre un bain, affirma-t-elle le plus calmement possible.

Elle avait du mal à redescendre de toutes ses émotions.

Elettra la dévisagea au premier abord.

─ Vous m'avez l'air bien en forme ! Et vous avez repris des couleurs !

Enée acquiesça avec entrain malgré son stress.

─ Je suis ravie de vous voir ainsi ! s'exclama la femme de chambre. Hier soir, il était tard, la moitié des invités était déjà repartis lorsque j'ai croisé Pénélope dans un couloir. Je lui ai demandé où elle était passé car je ne la voyais plus depuis deux bonnes heures. Elle m'a simplement répondue qu'elle était venue vous raccompagner dans votre chambre car vous vous sentiez fatiguée suite à votre chute et que l'agitation avait fait poindre une migraine. Elle a veillée sur vous lorsque vous vous êtes endormie.

─ Cette longue nuit de sommeil m'a fait le plus grand bien, je me sens en pleine forme ! Il faudra que je pense à la remercier, conclut Enée.

Elettra acquiesça vivement.

Le soir même un banquet était prévu avec les Narrateurs et les participantes. Séraphine représentait Iryssa. Enée mourrait de faim. Elle s'attablait avec les héritières et quelques élèves, presque confortable dans ce schéma familier. Les Bardes étaient placés en face des Narrateurs à l'autre extrémité de l'immense rectangle qui leur servait de table.

Les Narrateurs trinquèrent en chœur au tournoi qui avait permit de faire oublier d'autres histoires moins glorieuses au peuple. Ils se tournèrent vers les héritières affichant des visages sérieux. Le père de Pénélope prit la parole.

─ Votre parcours jusqu'ici est admirable, je vous l'accorde. Mais il faut que vous sachiez une chose. C'est la suite qui va être compliquée. Plus vous vous approchez du seizième sommet, plus la magie sur le Mont est forte et indomptée. C'est maintenant que tout commence.

Ils trinquèrent de nouveau.

On savait très peu de chose sur le Mont, et encore moins sur les derniers sommets car ils avaient été très peu explorés.

─ On dit qu'il reste des géants et d'autres créatures, ajouta un autre. Si les Narrateurs ont conté l'histoire des hommes ils n'ont pas conté les leurs ce qui les a forcés à vivre proche de leur source.

─ Si les informations sur le quinzième sommet sont très rares, il n'en existe aucune sur le seizième !

─  Soyez prudentes à Elégion, poursuvit le père des deux sœurs. Des guerres civiles font rage.

La conversation se poursuivit ainsi. Enée écoutait dans l'espoir de décrocher quelques précisions qui pourraient s'avérer utiles mais rien ne retint son attention. Ce n'étaient que des élucubrations. Enée termina sa viande et sa coupe. Elle regardait Pénélope macher quelques légumes puis croquer dans un morceau de pain qui déposa de la farine sur ses doigts.

Elle avait aussi remarqué que Belladonna essuyait sa bouche presque après chaque bouchée, que Griselda se servait toujours deux fois de la viande, que Lavinia terminait rarement la sienne mais qu'elle baignait toujours ses légumes dans la sauce si bien qu'elle pourrait la boire à la cuiller, que Nova jouait avec sa fourchette avec tout ce qu'il y avait dans son assiette. Et Iryssa ? Enée n'avait pas encore eu l'occasion de lui attribuer une habitude. Puis ses pensées se perdirent sur les chemins qu'elles devraient emprunter le lendemain. L'angoisse d'aller encore plus vers l'inconnu était contrebalancée par l'excitation d'atteindre la victoire.

Quand Pénélope voulut regagner sa chambre, elle remarqua que celle d'Enée était entrouverte alors qu'elle la verrouillait toujours avant d'en sortir. Peut-être était-elle déjà couchée, mais elle aurait jurée l'avoir vu en train de discuter dans la salle du banquet il y a quelques secondes à peine. Pour en avoir le cœur net, Pénélope poussa la porte et à peine eut-elle le temps de respirer qu'une masse tomba du plafond juste derrière elle pour coller une dague contre sa gorge.

─ On est sentimentale ? murmura la voix essoufflée.

─ Il faut croire, répondit Pénélope d'un ton espiègle pour cacher sa surprise. Il fallait me dire que tu étais intéressée.

La femme ricana.

─ Ce n'est pas toi qui m'intéresses, mais elle.

─ C'est vrai, sinon je t'aurais retrouvé accroché à mon plafond plutôt qu'au sien, continua Pénélope avec sarcasme. Alors que veux-tu ?

─ Que tu l'empêches de gagner.

─ Pourquoi ?

─ Sinon nous la tuerons.

─ Je peux te tuer tout de suite et ce sera réglé.

─ Mais nous sommes plusieurs, et tu le sais.

L'assaillante partit en coup de vent par la grande fenêtre et le rideau retomba comme si elle n'était jamais venue.

Pénélope détournait les yeux et la colère vint la heurter de plein fouet. Elle devrait plus que jamais protéger Enée. Et pour cela elle était sur le point de lui briser le cœur. N'était-ce pas paradoxal ? Détruire son organe le plus essentiel pour la sauver. Tant qu'elle aimerait Enée, celle-ci serait toujours en danger. Il était temps de se réveiller. Et ce serait douloureux. Mais avant tout, elle devait tout raconter à Séraphine. Elle dévala le couloir pour retrouver Jehona et lui demander d'aller chercher la directrice.

Le trône des héritièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant