chapitre 43

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Mais avant d'atteindre le prochain sommet, il fallait passer la frontière et traverser le premier village de Légencre. Sur le trajet, Nova racontait toutes sortes d'anecdotes qu'elle connaissait sur Légé à Lavinia. Mais tous en profitaient.

Elle parlait de grands vergers, de jardins, de fleurs aussi blanches que ses cheveux. Enée détailla l'héritière de Légencre avec une douce fascination. Elle avait la peau noire. Une chevelure blanche regroupée en une tresse. Des yeux presque dorés. Elle dégageait quelque chose de trop calme pour l'être vraiment.

Un panneau avec Légé gravé dans le bois indiquait qu'elles étaient arrivées. Pourtant, rien ne ressemblait à ce que Nova avait décrit. Il n'y avait plus de fleurs. Et les maisons tombaient en ruines. Il n'était pas plus vivant que Proséa. S'il n'y avait pas de panneau, elles n'auraient même pas remarqué la différence.

─ Ne nous arrêtons pas, s'exclama Belladonna. Je ne veux pas revivre l'horreur du précédent village.

Mais un homme s'avança vers elles l'air vaguement préoccupé.

Belladonna marmonna entre ses dents.

─ Qu'est-ce qu'il se passe ici ? vociféra Nova.

L'homme lui lança un regard désolé.

─ C'est cette histoire d'artefact, maugréa-t-il. Les opposants à la plume ont réussi à s'introduire dans le temple mais ça ne s'est pas fait sans combats ni destruction. Ils ont saccagé une partie du Mont. On raconte que l'herbe n'y pousse même plus. Les nymphes viennent se venger à Légé puisque les opposants en sont originaires. Comme si les guerres n'avaient pas déjà tué notre village.

Nova avait la mâchoire crispée d'entendre ses souvenirs se craqueler comme une branche piétinée.

─ Je peux vous aider, promit-elle. Dès que je le pourrais j'en parlerai au Narrateur.

Il la remercia en se demandant s'il pouvait y croire.

─ Je peux vous offrir l'hospitalité ? L'auberge ici est intacte bien qu'abandonnée à cause du manque de fréquentation. Vous n'aurez pas les services habituels mais vous aurez des chambres.

Belladonna relâcha ses épaules avec soulagement.

─ Comment vous appelez-vous ? demanda Nova.

─ Koen, madame.

─ Nous acceptons votre offre avec plaisir, répondit-elle en adressant un regard comblé aux voyageurs.

─ Je ne suis pas propriétaire de l'auberge. Mais si un jour il décide de reprendre l'affaire je suis certain qu'il ne m'en voudra pas.

Il semblait avoir retrouvé un peu d'espoir.

Les rues étaient désertes.

─ Nous avons pour habitude de ne plus sortir la nuit, avoua-t-il pendant qu'elles le suivirent jusqu'à l'auberge.

La porte était grande ouverte.

─ Ne vous inquiétez pas, je sais où sont cachées les clés.

Il passa derrière un bureau bancal avant d'ouvrir un tiroir et d'en sortir un trousseau de clés.

─ Je crois que celle-ci sert à fermer cette porte, les autres sont pour les chambres, expliqua-t-il en tendant la première à Nova.

Elles le remercièrent encore une fois.

Avant qu'il ne parte, Pénélope lui demanda :

─ Pourquoi ne faut-il pas sortir la nuit ?

Un court silence s'installa.

─ Les nymphes tourmentent les habitants.

Puis il s'en alla.

Enée était surprise. Habituellement, les nymphes étaient protectrices. C'est pourquoi on leur vouait des cultes. Mais comme il l'avait dit, elles voulaient se venger des hommes qui avaient détruits leur territoire. Elle avait conscience qu'en dehors des Cinq Maisons tout ne se passait pas comme dans un conte mais le voir de ses propres yeux était différent. Elle n'avait pas eu une enfance facile mais dû bien reconnaitre que la pauvreté n'était pas un problème auquel elle avait été confrontée.

Les marches en bois grinçaient sous leurs pieds. Il y avait deux étages. Enée ouvrit la première chambre qu'elle put atteindre pour s'y enfermer afin d'éviter la tentation de prendre le risque de rejoindre Pénélope.

Un courant d'air lui frôla la joue. Elle se rendit compte que la fenêtre était ouverte. Elle la referma dans un claquement involontaire avant de s'affaisser sur le lit à tenter d'apprécier la solitude. Elle n'avait jamais eu de mal à être seule. Alors pourquoi était-ce si compliqué à cet instant ? La fatigue était si présente qu'elle l'empêchait de dormir.

─ Enée ?

C'était Lavinia.

─ Oui, entre !

Elle entrouvrit la porte et analysa la chambre d'un seul coup d'œil.

─ Il y a une source un peu plus loin. Nous allons nous baigner. Tu veux te joindre à nous ?

Enée accepta avec enthousiasme.

─ Aucune de nous ne parviens à trouver le sommeil, commenta Belladonna.

C'était Nova qui avait parlé d'une source dont elle se souvenait et Lavinia avait eu la bonne idée de s'y rendre.

Pénélope faisait tourner le manche de sa dague entre ses doigts d'un geste parfaitement maîtrisé. Elle n'eut pas besoin de s'en servir. La source était située à quelques pas de l'auberge. Autrefois, c'était un passage convoité par tous les visiteurs.

Enée se réjouissait à l'idée d'être totalement nue sans avoir à dissimuler son dos. Elle retira chaque couche d'habit en prenant son temps. Parce qu'elle n'avait plus rien à cacher. Elle se délecta de cette sensation. Elle avait toujours voulu savoir ce que cela faisait de se dénuder avec insouciance. Pénélope fit mine d'être concentrée sur ses propres affaires mais elle ne perdit pas une miette du spectacle. Pour les autres il n'y avait rien à voir, mais pour elle il s'agissait des plus beaux gestes qu'elle n'avait jamais contemplés. Elle retirait ses vêtements avec une lenteur indécente. Presque douloureuse. Comme si elle dansait. Pénélope détourna le regard parce qu'elle avait envie de la rejoindre, de saisir sa taille et d'oublier qu'il y avait du monde autour.

L'eau était froide.

Le trône des héritièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant