chapitre 46

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Son corps était engourdi. C'était la première sensation qu'elle éprouva en battant des cils lentement pour lutter contre ses paupière lourdes. Son esprit embrumé ne parvenait pas tout de suite à poser un contexte autour de la situation. Elle ne pouvait qu'assimiler les éléments un par un, comme de la paille collée à sa joue, la fraicheur de la pierre, l'absence de couvertures, la puanteur d'une ruelle après des jours de festivités. Mais ce n'était pas une ruelle. Il n'y avait pas de vent, ni de passants. Elle était à l'intérieur. Quand elle ouvrit les yeux pour de bon, elle se redressa en sursaut, comprenant qu'il s'agissait d'un cachot. Il n'y avait qu'une torche d'allumée sur les dizaines le long de ce qui ressemblait à un prolongement sans fin plongé dans la pénombre.

Elle saisit les barreaux dans chaque main et s'aperçut que dans la cage d'en face croupissait des prisonniers affaiblis. Sauf un, plus en forme.

Une angoisse remonta jusqu'à sa gorge. Elle se retourna pour vérifier que personne ne partageait sa cellule. Heureusement seul Teague et Arlo étaient assis là, avec leurs plumes, l'air presque triste. Un bruit sourd la fit retourner près des barreaux. Allait-elle finir sur le bûcher ? Ou emmenée à la prison des Sans-Encran ? Là où personne n'avait jamais pu s'échapper. Elle pouvait se battre, et s'enfuir. Ou attendre que les flammes consument son destin qu'elles avaient déjà commencé à grignoter. Elle était indéniablement en infériorité numérique. Seule contre... le reste du monde. Mais peut-être avec Pénélope.

Elle pouvait toujours rêver, Pénélope l'aimait mais pas au point d'abandonner un avenir glorieux pour devenir fugitive à ses côtés. Comment le lui reprocher ? Même si elle essayait, Enée l'en empêcherait. Une fois qu'elle aurait semé ses ennemis, elle trouverait un moyen pour qu'on ne la reconnaisse pas, quitte à se reconvertir en commerçante, afin d'aller voir Pénélope le plus souvent possible. Et de devenir son amante cachée. Cette possibilité n'était pas si terrible bien qu'effrayante. Enée commençait presque à l'envisager mais il fallait d'abord parvenir à s'enfuir. L'espoir la quittait un peu plus. Si le monde avait découvert son secret, ses propres parents, même assis sur leur trône, ne pourraient lui éviter la prison sous peine de trahison. Ils perdraient leur royaume en plus de leur fille. La porte s'ouvrit dans un claquement.

C'étaient Pénélope, Harper et Jehona.

─ Ils pensent que tu es coupable de tricherie, commença l'héritière sans introduction.

─ Pour...

La Marque ?

Sa question resta en suspend car Pénélope l'interrompit.

─ Ils pensent que tu as échangé le vrai Parodos contre un autre cheval de chair et de sang.

─ Pourquoi aurais-je fais ça ? parvint à articuler Enée, la bouche sèche.

Pénélope s'approcha un peu plus.

─ Parce que Parodos se serait évaporé et que tu aurais omis de le dire en le remplaçant par n'importe quel cheval pour rester dans la course.

Enée était presque heureuse d'être accusée d'une telle arnaque car son véritable crime était bien plus grave. Le rire qu'elle laissa échapper était un mélange de nervosité et de soulagement.

─ Maintenant il faut prouver que c'est faux, continua Pénélope.

Ils pouvaient bien croire ce qu'ils voulaient tant qu'ils pensaient aussi que sa Marque était authentique.

─ Et pourquoi Parodos saignait ? reprit Enée.

Pénélope ne répondit pas.

─ Quelqu'un l'a blessé volontairement pour me faire accuser afin de m'éliminer du tournoi, ajouta-t-elle. Je ne vois pas d'autre option. Quelqu'un a échangé Parodos contre cette monture identique !

─ C'est ce que nous allons plaider, affirma Pénélope.

─ Mais où est mon cheval ? paniqua Enée.

Sans lui, elle ne pourrait plus prétendre à la victoire.

─ Je vais le retrouver, lui assura Pénélope. Je n'ai plus beaucoup de temps, il faut que j'y retourne. Le procès aura lieu ce soir. Je plaiderai ta cause.

─ Comment va Lavinia ? s'empressa de demander Enée.

─ Elle se remet peu à peu.

L'héritière repartit, laissant Enée avec d'autres questions.

Cette fois, la crainte était atténuée. Une telle accusation n'allait pas lui couter la vie mais peut-être le trône aux côtés de Pénélope. Elle ne serait pas en prison mais tout de même privée de sa liberté. Celle d'avoir une chance de partager la couronne avec la femme qu'elle aimait, la seule place qu'elle jugeait intéressante au sein des Cinq Maisons et même de tous les royaumes confondus qu'ils figurent sur une carte ou qu'ils soient inconnus.

*

Pénélope enfila une longue cape noire, elle rabattit la capuche sur son front, et se faufila entre la population toujours animée par ce qu'il s'était produit plus tôt. Elle avait demandé à Harper et Jehona de ne pas la suivre afin de passer davantage inaperçue. Celles-ci se faisaient discrètes pour ne pas être surprises en l'absence de leur héritière.

Elle poussa des passants trop lestes pour se frayer un chemin jusqu'aux profondeurs de la ville. La distance posait un voile sur l'agitation. Quand elle fut assez loin, elle s'engagea dans une ruelle vide et ombragée. Elle prit le risque de vérifier qu'aucune fenêtre n'était ouverte avant de se mettre à l'œuvre. Elle n'eut pas de mal à trouver la concentration nécessaire à faire émerger de ses mots un étalon encranien qui ressemblait trait pour trait à Parodos. A l'exception près qu'il n'était pas aussi agité que l'original. Un rictus satisfait parcourut ses lèvres. Elle n'aurait plus qu'à démontrer qu'il s'agissait de Parodos et qu'il ne s'était pas évaporé. Ainsi, Enée n'avait aucune raison de l'échanger contre une autre monture. Quant a qui a fait le coup, la question les occuperait assez longtemps pour qu'ils délaissent les charges contre Enée.

*

Enée s'était assise en tailleur face à ses Bardes. Elle aurait aimé apprendre à les connaître, pouvoir leurs dire d'effacer certains passages ou d'en ajouter d'autres. Pouvoir compter sur eux comme Pénélope pouvait le faire avec Harper et Jehona. A la place elle imaginait leur passé. Ce qui les avait conduits à exercer ce métier. Était-ce de famille ? Ou étaient-ils les premiers de leur entourage. Où avaient-ils passé leurs années d'études ? A l'Académie Polymnie ou dans une autre ville ? Était-ce une vocation ou le hasard ? Elle devinait parfois leurs émotions bien que la neutralité recouvrait leurs expressions la plupart du temps. Plus les heures s'étiraient plus les pensées angoissantes gagnaient du terrain.

La porte s'ouvrit une nouvelle fois. Elle se leva avec réjouissance mais ce n'était pas Pénélope. Juste deux gardes.

L'un jouait avec un trousseau de clés. Il en choisit une pour la glisser dans la serrure. Elle s'ouvrit dans un cliquetis.

Ils lui attrapèrent chacun un bras pour l'escorter jusqu'à son jugement. Et si une héritière était impliquée dans ce complot ?

Le trône des héritièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant