chapitre 13

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Il faisait presque nuit quand Séraphine entra de nouveau dans la bibliothèque, accompagnée de Lavinia.

─ Je vais vous conduire au sous-sol, dit la directrice. C'est l'heure où tout le monde regagne son logement je ne veux pas risquer de vous faire visiter le campus à cause des mouvements de foule. Vous dormirez dans les anciennes chambres.

Pendant que les héritières s'engouffraient dans le couloir, Séraphine continuait ses explications telle une guide.

─ Il n'y a pas de dortoir à l'Académie. La plupart des élèves ont leurs appartements dans le village voisin, qui s'est petit à petit transformé en village étudiant.

Enée remarqua le chignon particulièrement soigné de Lavinia pour l'occasion. Habituellement, elle se contentait d'une tresse blonde dont quelques mèches dépassaient. Elle la soupçonnait d'être particulièrement excitée à l'idée de venir à l'Académie. C'était bien la seule.

Les fenêtres donnaient sur la cour, Enée distinguait effectivement une foule d'étudiants qui allaient dans tous les sens. Elle ne s'attardait pas sur cette vue et continua de presser le pas derrière Séraphine.

─ Il y a des siècles, cette académie n'était fréquentée que par les élèves de l'île. Ils n'avaient pas besoin d'un endroit où dormir ce qui explique l'absence de dortoirs. Mais petit à petit, la renommée des enseignements a attiré les jeunes des autres royaumes. Les jeunes nés ici partaient chercher du travail dans ces royaumes dont parlaient les nouveaux arrivants. Et finalement, l'élite du monde s'est emparée de l'académie faisant de ce lieu un endroit inaccessible. C'est ainsi que la population locale se désintéressa de l'île tandis que les villages abandonnés devinrent des dortoirs pour les élèves.

─ C'est passionnant, répondit Lavinia avec un intérêt débordant.

Belladonna et Griselda se jetèrent un regard en coin face à cette réaction que chacune des héritières avaient pu prévoir. Nova suivait le groupe sans conviction.

─ Oui, affirma la directrice. Mais c'est la version simplifiée. Monsieur Nasir aurait davantage de détails à vous donner sur le sujet.

Les couloirs défilaient, jusqu'à ce qu'il faille descendre de nombreuses marches. Elles étaient probablement arrivées au sous-sol. Il n'y avait plus de fenêtre, il faisait sombre. Seules des torches fixées aux murs éclairaient le chemin.

─ C'est là ! indiqua Séraphine d'un geste de la tête vers la porte du fond.

Pénélope, qui était tout devant, l'ouvrit et entra. Les autres suivirent.

─ Il manque deux lits, remarqua Lavinia. Nous sommes six.

─ Ce n'est pas grave, coupa Pénélope, on va se débrouiller c'est déjà très aimable de nous accueillir.

─ Bien sûr, admit Lavinia d'un ton avenant. Ce n'est pas ce que je voulais dire.

La directrice hocha la tête d'un air entendu.

─ Comme je vous l'ai dit, il n'y a pas de dortoir à proprement parler. Cette pièce accueille certains professeurs qui viennent enseigner de loin. Vous m'en voyez navrée. C'est tout ce que je peux vous proposer pour cette nuit. Je vais dire à mon équipe de descendre vos bagages.

Séraphine fit demi-tour.

Pénélope se mit à pousser un lit à l'aide de ses genoux.

─ Il faut les coller pour faire un grand lit, ordonna-t-elle.

Lavinia s'attela à approcher un second lit. Belladonna et Griselda, un troisième et un quatrième.

─ Ca fait quoi ? Vingt ans qu'on n'a pas dormies dans le même lit, sœurette.

Pas assez longtemps à mon goût, rétorqua Griselda.

Nova esquissa un semblant de sourire, tandis que Pénélope réprima un rire. Lavinia les observait. Et Enée s'assit sur la chaise en bois bancale qui se trouvait dans un coin de la pièce pour attendre. Elle entendit des pas provenant du couloir malgré l'épaisseur des murs qui étouffait le bruit.

Séraphine entra la première, suivie par des hommes chargés de valises. Ils déposèrent tout au sol avant de repartir. La chambre s'était rapidement transformée en labyrinthe où il était difficile de circuler sans se prendre les pieds dans quelque chose.

─ Je reviendrais vous chercher demain matin pour la visite. Essayez de vous reposer, termina Séraphine.

Pénélope la remercia et elle s'en alla.

─ Se reposer est un grand mot, railla Griselda en fixant les lits collés.

Je rêve d'un bain, poursuivit sa sœur.

Les héritières se changèrent avant de se hisser entre les draps. Les deux sœurs étaient les premières à s'allonger, suivi de Nova et Lavinia, et Pénélope. Enée monta la dernière pour être sur le bord, malheureusement face à Pénélope. Elle se demanda finalement si elle n'aurait pas préférée être au milieu. Mais elle était trop fatiguée pour se torturer l'esprit. Pourtant elle savait qu'il serait difficile de trouver le sommeil au milieu de tous ces changements. La nuit allait être longue et éprouvante.

─ Bonne nuit, s'exclama Belladonna.

Je ne peux même pas tourner le dos à Pénélope, pensa Enée. Ce serait trop risqué. Elle avait déjà échappé de justesse à cette situation lorsqu'elles avaient pris un bain. Si elle remarquait sa nuque, les conséquences seraient irréversibles. Et elle n'avait aucune envie de passer de l'Académie à la prison.

Elle profitait que celle-ci avait les paupières closes pour détailler son visage puisqu'elle n'avait rien d'autre à faire. La faible lueur d'une bougie éclairait ses traits. Pénélope avait de longs cils, des lèvres ni fines, ni pulpeuses, un nez fin, des pommettes hautes, et un air sérieux mais paisible. Comment parvenait-elle à être paisible dans une telle situation ? Enée n'en était que plus agacée. Son esprit la tourmentait, alors que Pénélope était déjà en train de dormir. N'avait-elle pas de tracas ? Bien sûr que si, seulement elle savait gérer ses émotions. Encore une qualité qui semblait innée. Enée expira mais cela ne parvenait pas à chasser ses pensées, ni même à les éloigner un peu. Elles étaient là, partout, tapies dans l'obscurité. 

Le trône des héritièresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant