Chapitre 6 - Teno Anma (1)

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Sun

Cinq ans auparavant

Installé dans le salon des Gray, je prends mes aises presque comme si j'étais chez moi. Il faut dire que je commence à y avoir mes habitudes. Après avoir passé les vacances d'hiver et les fêtes avec eux, j'ai aussi été convié pour les longs weekends du Martin Luther King Jr Day et du Presidents Day.

La distance entre UCLA et la maison familiale des Gray à San Francisco est assez grande. Mais il y a une chose qui me pousse à toujours accepter l'invitation d'Haru à me joindre à lui quand il va rendre visite à ses parents. Cette motivation c'est Neela Gray. Cette déesse représente la torture ultime, la raison de mes tourments, le fruit défendu. Et même s'il serait sans doute plus facile de rester loin d'elle, je saute sur chaque occasion de la revoir. La culpabilité que je ressens est aussi grande que mon attirance. Elle est mon paradis et mon enfer personnel.

Évidemment, je sais que je dois garder mes distances et je ne la dévore que du regard. En vérité, j'avais espéré qu'en passant un peu plus de temps avec elle, en apprenant à la connaître, je la verrais enfin comme « la petite sœur d'Haru » et non l'objet de tous mes désirs. Mais pour l'instant, cette stratégie ne semble pas fonctionner. Découvrir Neela ne fait qu'augmenter ma curiosité à son égard. J'en veux toujours plus. En dehors de sa beauté hypnotique, elle est aussi douce, drôle et intelligente. Pas étonnant que mon meilleur ami tente de la protéger de tous les requins de ce monde.

S'il savait qu'il avait fait entrer son plus grand prédateur dans sa propre maison...

Mais - et même si mon corps a parfois du mal à s'en souvenir - j'ai renoncé à mi corazón à l'instant même où j'ai compris qui elle était. Des femmes, il y en a des milliards, mais l'amitié que j'entretiens avec Haru est unique. Et à sa place, je ne voudrais pas d'un type comme moi pour Neela. Il est au courant de mon point de vue fataliste sur les relations amoureuses ainsi que de ma tendance à ne pas les prendre au sérieux. Il faut être honnête, je n'ai rien du gendre idéal. Si j'entamais quoi que ce soit avec Neela, nous irions droit à la catastrophe.

Alors, je me contente d'apprécier la paix et la chaleur que je retrouve chez la famille Gray. Suite à nos vacances en Floride pour le Spring Break, Haru m'a proposé de passer les derniers jours de congé de printemps chez ses parents. Après quatre jours de fête intenses et ininterrompus, retrouver le calme et la tranquillité d'une maison familiale de banlieue est agréable. Pourtant, je n'ai pas le temps de me reposer. En effet, pendant que mon amie comate encore dans son lit, je me suis installée sur le sol du salon pour travailler sur mon portfolio. Yüna et James Gray sont plus prévenants que quiconque ne l'a jamais été envers moi et ici, j'ai presque l'impression de faire partie de la famille.

- Déjà réveillé, Sun ? m'interroge d'ailleurs la mère d'Haru en entrant dans la pièce.

- Oui, j'avais un peu de travail à faire.

- Ça fait du bien de voir tant d'enthousiasme et d'ambition, répond son mari qui apparaît à son tour. Il faut continuer comme ça.

Je me contente de leur répondre par un demi-sourire un peu gêné. Les Gray sont tellement gentils et encourageants que ça en est parfois troublant. Même si nous sommes en froid, j'aime ma mère de tout mon cœur. Mais après le départ de mon père, j'ai dû grandir très vite pour donner un coup de main à la maison. C'était tellement le chaos que je n'ai pas vraiment pu profiter de cette fierté parentale inconditionnelle. Alors, j'ai peu l'habitude que l'on prenne soin de moi de la sorte. Encore moins venant de personnes que je connais depuis si peu de temps.

- On va sortir pour faire quelques courses. Tu as besoin de quelque chose ? ajoute Yüna en enfilant sa veste.

- Non, tout va bien, merci.

- D'accord, bon courage alors. Et ne travaille pas trop, c'est les vacances quand même.

Et c'est sur ces mots que les Gray quittent leur foyer. Une fois seul à nouveau, c'est sans m'en rendre compte que je m'étale un peu et répands une multitude de photos de mes dernières œuvres tout autour de moi. Adossé contre le grand canapé en tissus gris, je suis installé sur le tapis central, mais mes photos s'éparpillent entre la table basse, le canapé derrière moi et le sol jusqu'au carrelage d'un blanc marbré. L'une des fenêtres du salon est grande ouverte et une brise douce fait frémir mes papiers sans les déplacer pour autant.

Je suis si concentré sur mon travail que je n'entends pas les bruits de pas délicats qui s'approchent de mon petit bazar. Je ne remarque sa présence que lorsqu'elle s'assoit en tailleur face à moi. Neela. Elle s'empare d'une de mes photos qu'elle inspecte minutieusement. Il s'agit d'une sculpture en métal cuivré qui représente la silhouette d'une jeune femme. Sa pose respire la paix et la liberté et sur sa poitrine un cœur réaliste est gravé avec finesse. Dans sa main, elle tient une pivoine qu'elle porte à son nez, humant son odeur pour l'éternité.

Le sourire qu'affiche Neela devant ma sculpture me déconcentre totalement de mon travail.

- C'est joli, j'aimerais bien la voir en vrai.

- Tu auras peut-être l'occasion de la voir bientôt si je gagne le concours de la 111 Mina galery pour lequel je prépare ce portfolio.

- La Mina ? Mais c'est juste à côté d'ici, s'enthousiasme Neela. C'est une galerie très cotée.

- Oui, c'est mon prof d'histoire de l'art qui m'a parlé du concours pour artistes débutants qu'ils organisent ici. Selon lui, j'ai toutes mes chances et ça serait une formidable opportunité d'être exposé dans cette galerie. Tous les gagnants du concours Mina ont vu leur carrière décoller rapidement par la suite.

Et avec cette grande opportunité, c'est aussi le stress et la pression qui sont très grands. La deadline finale pour le rendu des portfolios est dans une semaine, les résultats seront dans deux. D'où mon incapacité à me détendre et à me reposer durant la fin de ce spring break.

- C'est sûr que tu vas être sélectionné. Tes sculptures sont géniales !

Neela s'empare d'autres photos et les admire avec tout autant d'intérêt. Je ne suis pas encore très habitué à montrer mon travail alors, je suis un peu gêné. Mais il faut admettre qu'il est plaisant de la voir s'extasier sur mes sculptures.

- J'espère que le jury sera du même avis, me contenté-je de lui répondre.

- Il n'y a pas de raison que ce ne soit pas le cas, tu as du talent.

- Mes concurrents en ont sans doute beaucoup aussi. Ce qu'il me faut c'est un travail qui se démarque... et un peu de chance aussi.

- Un peu de chance ? répète-t-elle plus pour elle que pour moi.

Je l'interroge du regard pour essayer de savoir ce qu'elle n'a pas compris dans cette simple phrase, mais elle n'ajoute rien de plus. Elle se contente de remettre les photos en place avant de passer ses deux mains dans son cou pour détacher la petite chaîne dorée qui s'y trouve.

- Je n'y connais pas grand-chose en art, mais pour ce qui est de la chance... Tiens, souffle-t-elle en me tendant le bijou.

- Qu'est-ce que... ?

- C'est un porte-bonheur. Il contient de l'eau du Gange qui est connu pour apporter la protection de la déesse Shiva.


🌙🌙

À bientôt pour la suite !

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