Chapitre 26 - Tu te fais des films (1)

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— Félicitatioooons !

C'est surexcitée et une bouteille de crémant dans les mains que Brooke arrive au duplex ce midi. Sun est sorti et je suis en plein dans les préparations de l'exposition. Je rédige un communiqué de presse à transmettre aux journaux locaux et il me reste encore quelques détails à régler avec la galerie. Le grand soir arrive à grands pas et j'ai l'impression d'avoir mille choses à gérer. Étonnement, Sun semble plutôt serein. Il travaille sur ses œuvres presque continuellement, mais a l'air ravi de le faire. La passion se lit dans son regard et j'adore le voir s'illuminer de la sorte.

— Attends que l'expo soit un succès avant de me féliciter, réponds-je à ma meilleure amie en la faisant entrer.

— Tu as placé Sun à la 111 Minna, c'est déjà un événement qui se célèbre !

Elle n'a pas tort. Sans parler du fait que pour Sun, la simple idée de montrer ses œuvres au monde était déjà un obstacle insurmontable. Et la 111 Minna représentait le plus gros traumatisme de sa carrière artistique. Rien que de le convaincre qu'il y a sa place est une victoire. Il reprend confiance en son art et j'en suis tellement heureuse. Il me donne envie de me dépasser.

Brooke pénètre dans l'appartement et nous nous installons toutes les deux sur le canapé. Je rassemble quelques documents éparpillés sur la table basse et referme mon ordinateur avant de reporter mon attention sur ma meilleure amie.

— Je ne te dérange pas, j'espère, s'enquit-elle.

— Non, non, la rassuré-je. Tu me permets de faire une pause, je n'ai pas arrêté de bosser ces derniers jours.

— J'ai l'impression que ça fait un siècle qu'on n'a pas pu se poser tranquillement pour papoter.

Maintenant qu'elle le dit, il faut admettre que je n'ai pas eu l'occasion de fréquenter grand monde ces derniers mois. Entre le travail, ma famille, ma relation naissante avec Sun et les multiples secrets qui l'accompagnent, je n'ai vu ma meilleure amie que rarement.

— Tu as raison, il faut absolument qu'on rattrape le...

Mais je n'ai même pas le temps de finir ma phrase que mon téléphone se met à vibrer dans ma poche. Par réflexe, je vérifie l'écran et y vois un numéro inconnu. J'hésite une seconde, mais je finis par adresser un sourire d'excuse à Brooke.

— Tu m'excuses une seconde, c'est peut-être pour le travail, il faut que je décroche.

Ma meilleure amie acquiesce et je m'esquive. Peut-être aurait-il été plus poli de laisser l'appel aller sur mon répondeur, peut-être aurais-je dû accorder plus d'attention à Brooke, sans doute aurais-je dû rappeler plus tard. Mais sur le moment, je n'ai pas pensé que ce simple geste pourrait avoir des conséquences.

Alors, je me contente de me rendre sur la terrasse pour décrocher. Le coup de téléphone ne dure que quelques secondes. Je salue mon interlocuteur, acquiesce à la nouvelle qu'il me transmet, prends en compte les détails de cet événement et je le remercie finalement. Ça ne prend qu'un instant et pourtant je ressors de cet appel plus déconcertée que ce que j'avais imaginé. « Tout est fini », c'est la réalisation qui me frappe à la seconde où je raccroche.

Perdue dans mes pensées, je rejoins Brooke dans le salon, mais j'ai du mal à être dans le moment.

— Tout va bien ? demande-t-elle devant mon visage défait.

Pendant un instant, j'ai envie de lui déballer tout ce que j'ai sur le cœur, mais je me rends vite compte que je ne peux pas. Pas sans révéler beaucoup trop de choses. Alors, j'essaie de donner le change en plaquant un demi-sourire sur mon visage.

— Oui, oui, c'était juste un petit souci avec le traiteur pour l'expo. Il y a eu une erreur dans le nombre de caisses de champagne commandées mais rien d'irrattrapable.

Brooke m'adresse un regard contrarié. Il n'est pas difficile de comprendre qu'elle n'avale pas le mensonge que je viens de lui servir.

— Sérieusement ? Tu vas me faire croire que tu es pâle comme un linge pour une caisse de champagne.

Je me contente de lâcher un soupire ne sachant pas vraiment quoi lui répondre. Je ne peux pas admettre la vérité, mais elle me connaît trop pour que je réussisse à mentir.

— C'est quoi le problème, Neela ? Ça fait des semaines que je n'ai pas de nouvelles, tu me caches quelque chose, je le vois bien. Et maintenant, tu me mens en pleine face ?

L'agacement dans sa voix est perceptible. Je suis au pied du mur.

— On n'est pas obligé de se dire tout sur tout en permanence. On n'a plus 16 ans, soupiré-je en levant les yeux au ciel.

Je n'ai pas envie de la prendre de haut de la sorte, mais face à la pression c'est la seule réaction que j'ai trouvée. Elle lâche un rire amer, visiblement touché par mon rejet.

— Donc tu me traites de gamine parce que je m'intéresse à ta vie, parce que je m'inquiète pour toi ?

— Je vais très bien, laisse tomber.

— Non, une vraie amie ne laisse pas tomber. Pourquoi tu te fermes comme ça ?

— Tu te fais des films, Brooke.

Une nouvelle fois, je minimise son inquiétude et je me relève en reprenant mon ordinateur pour le ranger. En réalité, je veux juste prendre du recul pour échapper à son regard inquisiteur.

— Bien sûr, c'est moi le problème, ironise-t-elle. C'est moi qui imagine que ma meilleure amie a un souci alors qu'elle tire une tête d'enterrement. C'est mon imagination qui crée cette distance entre nous. Et c'est totalement dans ma tête que tu ne m'as pas une seule fois demandé comment j'allais ou ce qu'il se passait dans ma vie ces derniers mois.

Ces mots me touchent. Peut-être parce qu'ils sont un peu trop vrais. Peut-être parce que je n'avais moi-même pas réalisé que je la délaissais autant. Peut-être parce que je ne m'attendais pas à ce qu'elle se mette autant en colère.

— Je n'ai pas dit que tu étais le problème. À vrai dire, je me tue à te dire qu'il n'y en a pas. Je ne sais pas pourquoi tu penses que l'on s'éloigne. On a juste toutes les deux été très occupées ces derniers temps.

Brooke lève les yeux au ciel devant ma mauvaise foi évidente.

— Laisse tomber, tu ne comprends rien.

Agacée, elle quitte le canapé et récupère son sac à main.

— Reste dans ton mutisme, ajoute-t-elle, tu ne pourras pas dire que je n'ai pas essayé de t'aider.

Et sur ces mots, elle tourne les talons, rejoint la porte et quitte l'appartement. Je n'essaie pas de la retenir. À quoi bon ? Je ne pourrais rien lui raconter de toute façon et cela la frustrerait d'autant plus. On s'éloigne, elle a raison. Et tous les secrets que je garde, tous les sentiments refoulés que j'enferme, sont la cause de cette distance entre nous. Devrais-je simplement lui avouer la vérité et la laisser m'aider à porter le fardeau de mes tourments ? Cela me ferait du bien de lui parler, mais Sun m'en voudrait surement. Je suis tiraillée.

Et c'est finalement le bruit de la porte d'entrée qui me fait sortir de mes pensées. Pendant une seconde, j'imagine que c'est Brooke qui revient pour que l'on ne se quitte pas sur ces mots durs, mais c'est Sun que je vois entrer dans l'appartement. Lorsqu'il croise mon regard, il semble immédiatement concerné par ma mine défaite.

🌙🌙

À bientôt pour la suite !

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