Chapitre 27 - Personne ne se fout de moi (1)

46 7 0
                                    

Sun

Dans la galerie 111 Minna, je fais les cent pas tel un lion en cage. Toutes mes œuvres sont en place, recouvertes de grands draps noirs pour les protéger de la vue de tous jusqu'à demain. Les préparatifs sont enfin terminés, pourtant je ne ressens aucune once de soulagement. Au contraire, je me sens plus tendu que jamais. J'observe ces silhouettes de noires vêtues et la panique m'envahit. Suis-je vraiment prêt pour tout ça ? Mon travail sera-t-il assez bon ? Ma mère, Neela et tous mes proches s'attendent à découvrir un fabuleux spectacle, mais je ne suis pas certain d'être à la hauteur.

J'étais plutôt serein jusque là, mais ce soir, je doute. Le temps était trop court. Mes sculptures ne peuvent pas être de qualité. Et puis, pour qui est-ce que je me prends ? Un artiste ? La Minna m'a déjà fait comprendre que je n'avais pas de talent. Pourquoi est-ce que je me lance tout droit vers une nouvelle humiliation ?

Mon job chez Hadès n'était pas si mal, après tout. Je n'avais certes aucune liberté créative, mais tout était plus facile. Il suffisait de suivre les directives, de réaliser les désirs des clients et de mettre le moins de moi possible dans chaque « œuvre ». Au moins, j'étais à l'abri de tout jugement.

Est-il encore temps de faire demi-tour ? Il suffirait de remballer toutes mes sculptures et d'oublier ces ridicules rêves d'expositions. Neela m'en voudrait sûrement, mais elle s'en remettrait. Au vu de notre relation, j'aurais bien fini par faire foirer quelque chose à un moment de toute façon.

Je suis dévoré par toutes ces tergiversations lorsqu'une main se referme doucement sur mon avant-bras pour arrêter mes allées et venues frénétiques. Neela se poste devant moi, un air inquiet sur le visage. Elle lance un « tout va bien ? » et j'ai envie d'exploser. Non ça ne va pas. Et je regrette de m'être laissé embarquer dans cette histoire. Je suis au bord de la crise nerveuse et elle me regarde avec ses grands yeux plein d'espoirs.

— Je... Je crois que je ne vais pas pouvoir le faire.

— Tu parles de l'exposition là ?

— Je sais que tu comptes sur cette expo pour booster ta carrière, mais je ne suis pas à la hauteur. Un fiasco ne t'aiderait pas, tenté-je de lui expliquer.

Son expression se fait pleine d'incompréhension et j'imagine que je la prends au dépourvu. J'essaie de continuer pour lui expliquer que mes œuvres ne sont pas satisfaisantes, mais elle me coupe la parole avant que je n'en aie eu le temps.

— Ne laisse pas tes insécurités prendre le dessus, Sun.

Je soupire profondément. Je déteste me retrouver dans une telle position de fragilité, encore plus devant elle. Mais puis-je la contredire ? Puis-je dire que je n'ai aucune insécurité ? Sans doute pas et je suis assez lucide pour m'en rendre compte. Pourtant, je ne peux faire taire cette petite voix dans ma tête qui me dit que cette soirée sera un fiasco. Au fond, mon père avait peut-être raison en partant. Je n'étais pas digne d'être son héritage.

— Si tu ne veux pas le faire, ne le faisons pas. Et tant pis pour ma carrière, je trouverais bien comment rebondir. Ce n'est pas l'important, là, tout de suite.

— Et c'est quoi l'important ? demandé-je.

— L'important c'est que tu comprennes enfin l'ampleur de ton talent et que tu arrêtes de laisser tes peurs te freiner.

C'est difficile de résister à Neela. Ses encouragements, sa douceur et sa façon indéfectible de croire en moi me donneraient presque envie d'y croire aussi. Elle est sans doute la seule personne sur cette terre capable de me faire cet effet.

— Je sais que c'est lâche, mais je n'ai pas la force d'affronter un nouveau rejet ici.

— C'était il y a des années. Et si la peur de l'échec t'empêchait de t'ouvrir à la réussite ?

— Tu penses vraiment que cette exposition pourrait être un succès ?

— J'en suis sûre. J'ai vu tes œuvres, j'ai également étudié le marché de l'art contemporain à San Francisco, ainsi que la réponse des différents professionnels et amateurs à ton style. La Minna a déjà validé toute ton expo. Je t'ai fait une promotion de dingue et je n'ai aucun doute sur le fait que tout va se passer à merveille.

Je crois que je n'ai jamais vu Neela aussi sûre d'elle. Ce n'est pas l'amie qui me parle, c'est l'agent et elle est excellente dans ce qu'elle fait.

— Tu sais que tu es très convaincante quand tu veux ?

— Je sais, lance-t-elle dans un sourire triomphant.

Je lève les yeux au ciel et me contente de m'approcher d'un pas pour venir l'étreindre. Elle se cale contre moi et réussit à calmer mon esprit tourmenté. Quand elle est près de moi, je ne crains plus aucune épreuve.

— Putain, vous ne vous cachez même plus ! lance une voix amère et bien trop familière derrière moi.

Dans un sursaut, Neela me repousse pour reprendre de la distance. Je me fige sur place et pendant une seconde, je prie pour que le nouveau venu ne soit pas celui que j'imagine. Mais il n'y a en vérité aucun doute sur la question. Je pourrais reconnaître cette voix entre mille et l'expression gênée de ma partenaire en dit long.

— Haru, qu'est-ce que tu fais ici ? lancé-je sur un ton jovial comme si de rien n'était.

Cette accolade avec Neela n'était pas révélatrice de grand-chose après tout. Pourtant, le regard furibond de mon meilleur ami semble dire le contraire.

— Ne fais pas l'innocent ! Depuis quand ça dure tout ça ? crache-t-il avec un dégoût non dissimulé.

À grandes enjambées Haru nous rejoint pour se poster à ma hauteur. Il est si près que je peux presque sentir les vagues de colère qui émanent de lui. Je suis pris de court et j'ai du mal à trouver une parade devant tant de fureur.

🌙🌙

À bientôt pour la suite !

SUNSETOù les histoires vivent. Découvrez maintenant