Chapitre 28 - Tu iras loin (1)

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L'arrière-salle de la 111 Minna Galery n'a rien à voir avec celle de notre dernière exposition. Le débarras d'art en perdition est ici un salon lounge pensé pour accueillir les artistes confortablement. Installé dans un joli fauteuil en tissu bleu roi, Sun agite nerveusement la jambe.

— Tu penses que Haru viendra ? demande-t-il.

Depuis notre dispute de la veille, nous n'avons eu aucune nouvelle de mon frère. Il est évident que toute cette histoire me tend, mais je ne veux pas laisser ce conflit gâcher la soirée. Et au fond, je sais pertinemment que ce n'était pas l'intention d'Haru non plus.

— J'en suis certaine. Il sera là pour te soutenir malgré tout, le rassuré-je.

Et Olivia le traînera jusqu'ici par la peau des fesses s'il décide de faire la mauvaise tête, pensé-je.

Mais, en vérité, je doute que mon frère veuille rater cette soirée, malgré sa colère. S'il est fâché, c'est justement parce qu'il tient à nous. Son égo en a pris un coup, certes. Pourtant, je le connais assez pour savoir qu'il regretterait de ne pas apporter son soutien. Il nous en veut, mais il ne pourra pas être dans cet état éternellement.

Sun ne semble pas vraiment apaisé par mes mots. Il était déjà très tendu du fait de cette exposition, cette dispute ne pouvait pas plus mal tomber. J'ai été stupide de croire que je pourrais agir dans le dos de mon frère éternellement. Mais comment aurais-je pu évoquer ce sujet avec lui ?

— Ne te prends pas trop la tête avec toute cette histoire, soufflé-je en m'accroupissant devant Sun pour être à sa hauteur. Haru est blessé et nous avons nos torts, mais tout finira par s'arranger. Vous êtes inséparables tous les deux et c'est mon frère, il est bien obligé de me supporter, plaisanté-je pour détendre l'atmosphère.

— J'espère que tu as raison, murmure-t-il.

Et sur ces mots, il se penche doucement vers moi pour me serrer contre lui. Pendant une seconde, j'ai l'impression qu'il laisse reposer toute sa peine sur mes épaules et je l'aide à la porter sans hésitation.

— On ouvre les portes, les premiers visiteurs entrent déjà, nous informe un membre de la galerie qui a passé une tête par la porte.

D'un signe de tête, je lui confirme que l'on est prêt et je me relève en prenant les mains de Sun.

— Allez, c'est parti. Laissons le monde découvrir ton talent ! lui souris-je enthousiaste.

Nous relâchons donc notre étreinte pour nous redresser et nous diriger vers la porte. J'inspire un grand coup, signe de mon stress et de mon excitation évidente, et je me lance dans la fosse aux lions. Sur mes pas, Sun semble un peu moins anxieux que tout à l'heure. Il m'adresse un signe de tête et nous nous séparons pour nous mêler aux visiteurs.

Comme lors de la dernière exposition, j'ai fait décorer la salle dans l'esprit de l'atelier de Sun. Des meubles en fer noir, beaucoup de verdure et des touches de lumière chaude de ça delà habillent l'espace avec originalité et simplicité. Ça n'a pas été une mince affaire, la Minna est bien plus grande que la galerie de June, mais je suis très satisfaite du résultat. Et c'est très important, car ce soir, tout doit être parfait.

C'est un grand jour pour Sun, mais pour moi aussi. Après avoir entendu les retours de notre première exposition, Benjamin Stromer — un des chanteurs les plus en vogue du moment — a enfin accepté de venir constater mon travail et qu'on rouvre la discussion au sujet de notre collaboration. Évidemment, rien n'est gagné, mais si tout se passe bien ce soir, cela serait un grand pas en avant.

Alors, je m'assure que tout roule comme sur des roulettes. Je papote avec les journalistes, vérifie les cuisines, m'assure qu'il ne manque pas de champagne, en somme je suis sur tous les fronts. Et finalement, Benjamin fait son entrée. Rhana Thorpe est à son bras et pendant une seconde je crains que mon ex-patronne ait récupéré le chanteur dans son agence. Mais lorsque je vais à leur rencontre pour les saluer, la jeune femme me rassure presque immédiatement.

— Pas d'inquiétude, on a décidé de séparer le plaisir et le travail. Il est toujours à la recherche d'un agent, souffle-t-elle en m'adressant un clin d'œil comme si elle avait lu dans mes pensées.

Gênée d'être aussi transparente, j'essaie de changer de sujet en leur tendant deux coupes de champagne. La conversation est légère et je tente de me montrer aussi détendue que possible. Il n'est pas question de parler de travail immédiatement. Benjamin doit d'abord passer un bon moment et constater mes talents par lui-même. Alors, je me contente d'être une hôte agréable et de les laisser découvrir les sublimes œuvres de Sun.

Je constate d'ailleurs que la mère et le frère de ce dernier ont aussi fait leur apparition. Le jeune homme semble aux anges et je suis rassurée. Quand je quitte finalement Rhana et Benjamin pour les laisser profiter de la soirée, la femme s'attarde à mes côtés une seconde.

— Joli travail, ma belle. Je suis certaine que tu iras loin, affirme-t-elle.

Elle m'adresse un sourire avant de rejoindre Stromer et son compliment me comble de joie. Mon but premier était d'impressionner le chanteur, mais la validation de Rhana est un cadeau inespéré.

Je suis tellement dans ma bulle, que j'en ai presque oublié le reste des problèmes qui m'accablent. Dans un coin de la pièce, je remarque que Haru, Liv et Brooke sont aussi arrivés. J'étais certaine que mon frère viendrait malgré notre conflit. Mais si Liv m'adresse un sourire réconfortant, Haru et Brooke, eux, ne m'adressent même pas un regard. Le visage de mon frère est fermé et je le connais assez pour savoir qu'il contient sa colère au maximum. Il faudra bien que j'apaise la situation avec ces deux personnes si chères à mon cœur, mais je n'ai pas la tête à ça ce soir.

À l'autre bout de la pièce, Sun semble particulièrement mal à l'aise face à la situation et je décide que je ferais mieux de le rejoindre pour le soutenir. Ce n'est pas le moment d'essayer de parler à mon frère. Je préfère éviter un scandale en plein milieu de l'exposition.

Toutefois, alors que je m'apprête à retrouver Sun, je suis arrêtée par le responsable des serveurs qui semble avoir un problème de plats propres dans la cuisine. Je soupire en me disant que l'aide d'une assistante sera vite requise au sein de mon entreprise. Tout faire toute seule est exténuant.

La soirée bat son plein depuis quatre heures déjà alors forcément des petits imprévus arrivent. Des plats à faire laver, quelques verres cassés, une plante qui manque d'eau, trop de monde autour de l'œuvre principale, des journalistes qui veulent parler à l'artiste. Il faut gérer tous les détails, du plus petit au plus grand. Et à nouveau, j'oublie de rejoindre Sun.

Toutefois, alors que je discute avec un acheteur potentiel, je suis interrompue par une autre conversation attire mon attention. Un homme d'une cinquantaine d'années discute avec une journaliste. Les cheveux grisonnants, il porte une veste à carreaux marron refermée sur un ventre bedonnant. Il se tient droit et a l'air fière, presque hautain. C'est d'abord l'intérêt de la journaliste pour cet inconnu qui m'a étonné, mais c'est finalement la dernière phrase qu'il prononce qui m'interpelle.

— Vous savez, Elios tient son talent de son père. Je suis celui qui l'a encouragé à faire de grandes choses. On peut dire qu'il y a beaucoup de moi dans cette exposition.

Il lâche un rire gras et pédant et la journaliste n'en rate pas une miette. Je suis horrifié par la situation. Cet homme est-il réellement le père de Sun ? Il l'appelle par son vrai prénom, cela serait probable. Mais si c'est le cas, c'est une catastrophe. Ce type a disparu de la vie de Sun depuis presque 20 ans et le voilà qui débarque sans prévenir en s'accaparant tout le mérite du succès de son fils. Immédiatement, je cherche Sun des yeux.

Sans grande surprise, ce dernier a lui aussi posé le regard sur le petit manège de l'homme et au vu de la pâleur de son visage, je comprends qu'il s'agit bel et bien de son père. Une multitude d'expressions se dessine sur ses traits et j'ai du mal à imaginer ce qu'il se passe dans sa tête. Cependant, je comprends l'urgence de la situation lorsque Sun fonce droit vers l'homme et la journaliste...

🌙🌙

À bientôt pour la suite ! 

SUNSETOù les histoires vivent. Découvrez maintenant