SUNSET

Chapitre 29 - Tout est fini (1)

Sun

J'aurais sans doute dû choisir un endroit plus éloigné des lieux que tous mes proches fréquentent habituellement, mais ce soir, j'ai besoin d'un endroit familier. Alors, j'ai opté pour Le Rouge malgré le risque de croiser une de mes connaissances.

Cette soirée a été une catastrophe sans nom et même si c'était un soulagement d'enfin coller un poing dans la gueule de cet enfoiré, je ne peux nier que le revoir reste bouleversant. J'ai toujours su que mon géniteur était un connard fini. Mais, avec le temps, je crois que son souvenir s'est adouci dans mon esprit. Malgré moi, je voulais me rappeler des rares bons moments et espérer qu'aujourd'hui il pouvait changer. Ce soir, j'ai laissé mes espoirs derrière moi. Certaines personnes ne sont pas faites pour être parents et je me dois de l'accepter. Ça n'en est pas moins douloureux pour autant.

— J'peux en avoir un autre, s'il te plait ?

Le barman accepte d'un simple signe de tête avant de remplir mon verre à nouveau. Je suis dans un bar à vin, mais je ne bois que du whisky ce soir. C'est encore moins logique d'être venu ici. En réalité, je crois simplement que l'endroit m'apaise. En plus d'être familier des lieux grâce aux soirées passées avec Haru, Neela et les autres, j'aime aussi la légère nostalgie qu'il m'évoque.

L'ambiance et le concept me rappellent les tentatives de monsieur Gray à me donner des cours d'œnologie alors que je ne faisais que déguster son vin en le taquinant avec Haru. Les parents de mon meilleur ami sont vite devenus une seconde famille à mes yeux. Je culpabilise en pensant aux réprimandes que monsieur Gray aurait eues à mon égard s'il avait entendu la façon dont j'ai parlé à Neela ce soir.

Ça a été plus fort que moi. Impossible de me retenir. Mes nerfs étaient à vif et elle était là, à essayer de m'aider, comme toujours. Sauf que ce soir, son aide s'est retournée contre moi. Je n'ose même pas imaginer la tête de ma mère quand elle lira l'article où mon soi-disant père se vante d'être mon inspiration. Neela a causé tout ça. Ses intentions étaient sûrement très bonnes, mais sa naïveté et son entêtement m'ont valu une très mauvaise surprise. Parfois, en voulant changer les choses, on ne fait que remuer la merde.

En vérité, plus que contre elle, je crois que je suis surtout furieux après le monde entier. J'avale une nouvelle gorgée pour me calmer les nerfs et la chaleur de l'alcool dans ma gorge me distrait de mes problèmes durant une seconde. Assis au bar, je me perds dans la contemplation des glaçons que je fais tournoyer dans mon verre lorsque j'aperçois une silhouette s'installer à mes côtés. Je n'y prête d'ailleurs pas attention, mais sa voix m'interpelle quand le nouveau venu passe sa commande.

— Je n'ai pas la force de me faire engueuler. Si tu m'en veux, colle-moi un pain et laisse-moi tranquille.

— Ce n'est pas l'envie qui manque, mais je préfère éviter d'être banni de mon bar préféré, me répond Haru sur le même ton.

Le barman lui dépose un verre de vin rouge et il le porte à ses lèvres. Je n'ajoute rien. Il n'y a pas grand-chose à dire de toute façon. Il sait tout ce que je lui cache depuis des années et il n'y a aucune excuse à mes mensonges.

— J'ai vu ton père à la galerie.

Ses mots me surprennent. Je ne pensais pas qu'il aborderait ce sujet au vu de notre situation.

— Moi aussi, me contenté-je de répondre en haussant les épaules mollement.

— Et je l'ai également vu repartir avec le nez en sang, ajoute-t-il.

J'avale une nouvelle gorgée de mon verre. S'il y a bien une chose que je ne regrette pas de cette soirée, c'est cela.

— Ça soulage ? demande-t-il devant mon mutisme.

Dans sa voix, je suis étonné d'entendre une pointe d'amusement. Et lorsque je croise son air moqueur, je suis inévitablement contaminé par son sourire en coin.

— Tu n'imagines pas à quel point, avoué-je.

Il lâche un bref rire et desserre la cravate qu'il porte autour du cou. Il est tard et la salle est quasiment vide. Au fond de la salle, un groupe d'amis semble fêter un anniversaire et quelques éclats de rire nous parviennent étouffés.

— Je suis désolé qu'il ait gâché ta soirée.

Une nouvelle fois, je me contente de hausser les épaules. Il a gâché une bonne partie de mon enfance alors un peu plus ou un peu moins...

— On n'y peut rien. Et puis, au moins maintenant je suis certain de la personne qu'il est.

Au fond, c'est douloureux, mais je pense ce que je dis. C'est plus facile de faire face au monstre affamé de gloire qu'il est, plutôt que de fantasmer le bon père qu'il aurait pu être.

— J'aurais aimé que les choses se passent autrement pour toi.

Une nouvelle fois, je me contente de soulever mollement les épaules. La sollicitude de mon ami me touche, mais cela ne change pas grand-chose à la situation.

— Pourquoi tu te soucies de cette histoire ? Je pensais que tu ne m'adresserais plus jamais la parole après cette histoire avec ta sœur.

— J'y ai pensé aussi, admit-il. Mais il faut croire que je suis un meilleur ami que toi.

Son ton est moqueur, mais je me doute qu'il y a une pointe de vérité dans ses mots.

— Tu as raison. Je suis désolé de m'être rapproché de Neela. Je sais que c'est la pire chose que j'aurais pu faire, à tes yeux.

Haru pousse un profond soupir en secouant la tête de gauche à droite. Je reporte mon regard sur lui et capte une expression agacée sur son visage.

— Tu ne comprends vraiment rien. Le problème n'est pas que tu sois avec ma sœur. Enfin... l'idée ne me ravit pas grandement, mais quitte à ce qu'elle fréquente quelqu'un, autant que ce soit quelqu'un de bien.

Il faut l'admettre, je ne comprends pas vraiment. À entendre Haru, il a toujours voulu que Neela finisse sa vie au fin fond d'un couvent. Sa surprotection est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles on a gardé le secret.

— On n'est pas vraiment ensemble de toute façon, me contenté-je de rectifier.

— Je n'ai pas besoin des détails, grimace Haru. Mais j'aurais tout de même souhaité que vous ne fassiez pas les choses dans mon dos.

...

🌙🌙

À bientôt pour la suite !