Chapitre 29-1

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L'air frais de la nuit vint s'immiscer sous son pull, la faisant frissonner. Selon Samuel, ils ne risquaient rien ici, pourtant Aurore se sentait mal à l'aise. Peut-être était-ce le fait qu'ils soient partiellement à découvert, la lune éclairant faiblement le cercle naturel que formaient les arbres autour d'eux, ou bien leurs corps fatigués qui la rendait anxieuse. Elle avait peur qu'ils soient moins vigilants. 

Ashley l'inquiétait également. Elle avait insisté à renfort d'invectives particulièrement acerbes, du haut du dos d'Ethan, pour faire le reste du trajet toute seule. Elle avait réussi, certes, mais à quel prix ? Sa tête dodelinait contre elle et elle pouvait voir l'effort qu'elle fournissait pour se maintenir éveillée. Elle lui avait confié, quelques minutes plus tôt, avoir peur de revenir là-bas. 

Devant le regard affolé d'Aurore, Ashley lui avait attrapé le bras avec vigueur en faisant de petits gestes de la main pour la rassurer. 

— Ça ne veut pas dire que je ne veux pas y aller ! C'est simplement que j'appréhende, ce qui est assez normal finalement. Mais je sens que j'en ai besoin, peut-être pour tourner la page, ou bien pour affronter mes peurs ? Je n'ai pas encore réussi à trouver, avait-elle expliqué en se mordant les lèvres. 

Aurore avait hoché la tête, se promettant de veiller sur elle. D'une certaine façon, elle la comprenait. Surtout depuis qu'elle avait retrouvé ses souvenirs. Tout n'était que chaos et angoisse, là-bas. Certaines choses ne méritaient même pas qu'on les nomme, tant l'Homme s'était abaissé aux plus basses manoeuvres. Le manque de soleil et l'enfermement constant avaient en outre eu raison de leur lucidité. Les hommes devenaient violents, tuant pour la moindre raison. Les femmes, pour celles qui avaient conservé un semblant d'humanité, avaient pour la plupart accepté leur destin. Mornes et le regard vide, elles déambulaient dans les couloirs et vaquaient à leurs occupations tels des robots. Bien-sûr, cela ne concernait que sa catégorie et celle qui se situait juste au-dessus. Les autres, c'était une autre histoire. Il était de notoriété publique que plus de la moitié des vivres leur revenaient, ainsi que les petits plaisirs qui allaient avec. La frontière qui les séparait n'avait fait que se durcir depuis qu'Aurore avait l'âge de réfléchir, et bien malgré elle, elle était contente d'avoir quitté cette misère. 

Mais jamais elle n'aurait pensé se retrouver dehors sans sa soeur. À cette seule évocation son coeur se serra, laissant la douleur s'emparer de son corps et de son âme. 

Il ne fallait pas y penser, pas tant qu'elle ne l'aurait pas retrouvée. Ensuite, elle aurait toute son existence, aussi courte soit-elle, pour s'en vouloir. La seule chose qu'elle se répétait, c'est qu'elle était en vie et qu'elle l'attendait. Elle la savait intelligente et débrouillarde, lui ayant appris depuis son plus jeune âge à se nourrir de rien et à sourire et aider les gens en échange de quelques broutilles. Anna pouvait le faire, elle le savait. Restait à la trouver dans ce véritable labyrinthe. Ils n'auraient pas laissé une enfant de dix ans toute seule dans un logement prévu pour une famille entière, la charité et la compassion ne faisant pas partie de leur vocabulaire. Pour l'instant, ses pensées ne lui amenaient rien de concluant quant à sa possible localisation, mais elle espérait avoir un déclic une fois sur place.

La tête d'Ashley se posa finalement sur son épaule, et Aurore remonta sa veste sur son frêle corps. Elle n'avait pas sommeil, se rendit-elle compte. Et pourtant, son corps était fatigué. Elle ne savait pas pendant combien de temps ils avaient alterné entre marche et course, mais elle pouvait sentir ses jambes lourdes protester, ainsi repliées contre sa poitrine. Samuel s'était assoupi non loin, ses lunettes posées sur ses mains jointes sur son ventre. Ses lèvres s'étirèrent dans un sourire. Même endormi, il demeurait sage. Ce qui n'était pas du tout le cas d'Ethan, qui ronflait bruyamment. Le corps en étoile, la bouche grande ouverte, son corps était quelque fois agité de soubresauts. 

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