Chapitre 36

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Le soleil se couchait, leurs ombres semblaient s'étirer à l'infini sur le sable. lls marchaient depuis des heures sous la chaleur implacable de cette journée ensoleillée. Personne n'avait opposé de résistance quand Adriel avait suggéré d'aller trouver refuge chez lui, dans son camp. Pas plus quand il avait déclaré qu'ils devaient mettre le plus de distance entre eux les Omégas. Il n'était pas sûr qu'ils veuillent les rattraper, mais il n'allait certainement pas attendre pour le vérifier.

Tout le monde était épuisé, mais ils devaient au moins se mettre à l'abri pour ce soir. S'ils étaient restés à proximité du camp, ils n'auraient pas fermé l'oeil une seule seconde. Il était primordial qu'ils se reposent ce soir. Aurore avait insisté pour lui faire un nouveau bandage, l'ancien étant parti en lambeaux lors de leur fuite du camp. Il n'avait pas bronché, se contentant de fixer d'un oeil morne le paysage monotone qui entourait le camp des Omégas. Pour rien au monde il n'aurait échangé la foisonnante forêt dans laquelle il avait grandi contre le luxe de vivre sous terre, à l'abri des menaces extérieures. S'ils voulaient son avis, ce camp était d'ailleurs bien plus dangereux que le sien et leur comportement s'apparentait bien davantage à celui de sauvages que le sien.

S'il devait retenir quelque chose de son passage furtif chez eux, ce serait le caractère inhumain de leur vie, là-bas. Qui pouvait vivre dans ces conditions, sous les ordres d'hommes aussi barbares ? Il avait lu quelque part que les catastrophes pouvaient réunir les gens, qu'une menace commune remettait les barres à zéro et que l'instinct de préservation de l'humain primait sur le reste. Et pourtant, voilà où ils en étaient désormais. Une poignée de survivants, trois clans aux moeurs et aux règles bien distinctes mais qui, foncièrement, conservent le même but : régner sur son prochain, commander et établir une hiérarchie. Mais à quoi bon le faire si ce n'est dans l'intérêt de la vie ?

Dire qu'il était dégoutté d'appartenir à l'espèce humaine était un euphémisme, il avait cette race en horreur. Et pourtant, il lui était désormais impossible de se séparer de ses compagnons. Lui qui les avait haïs pour la plus grande partie de sa vie, se retrouvait désormais à vouloir se sacrifier pour eux. Pour elle.

Il était inutile de se voiler la face, il ne trompait plus personne.

— Là, on pourrait s'installer ici, proposa Aurore en pointant du doigt une étendue d'eau entourée de quelques arbres aux troncs fins.

C'était peu, mais c'était mieux que rien. Ils n'avaient pas de sac, pas de nourriture. Rien. Autant dire qu'ils n'avaient plus de raison de se plaindre.

Personne n'avait la force de parler, ils se contentaient de grogner ou de hocher la tête pour se faire comprendre. Bientôt, les yeux se fermèrent malgré eux. Les ventres grondèrent, mais c'était le dernier de leurs soucis. Ils étaient en vie, bien que pour certains cela relève plutôt de la punition que de la bénédiction.

Adriel, les jambes étendues devant lui et la tête reposant contre un tronc d'arbre, observait du coin de l'oeil Aurore frotter les bras d'Anna avec un tee-shirt imbibé d'eau. Elle fredonnait quelque chose, sa tête dodelinant doucement. Elle était sale et des écorchures ainsi que des ecchymoses zébraient sa peau, mais elle préférait nettoyer les stigmates de cette nuit qui marquaient sa soeur avant de s'inquiéter de son sort.

Elle pensait toujours aux autres, faisant passer ses besoins après les leurs. C'était quelque chose de si humble et beau que cela réchauffait son coeur à chaque fois qu'il en prenait conscience. Elle était brisée par quelque chose qui la hantait, qui l'avait hantée même avant de recouvrer ses souvenirs. Il ne savait pas si elle serait capable de lui en parler, un jour, mais si cela devait arriver, il serait là pour elle. Adriel voulait qu'elle le sache. Parce qu'aussi horrible cela soit, il la pardonnait déjà. Il était égoïste quand cela la concernait, et si le fait de pardonner quelqu'un dont les actions en auraient fait vomir plus d'un faisait de lui un égoïste, parce qu'il était incapable de se séparer d'elle, eh bien soit. On l'avait traité de bien pire durant sa courte, mais pénible, existence.

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