Chapitre 6-1

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La respiration sifflante, Adriel tentait de tenir sur ses jambes. Il ne lui restait presque plus de forces, seule la volonté lui permettait de rester debout. Les mains tremblantes, il contemplait la clairière, ou du moins ce qu'il en restait. Le sol jadis parcouru d'une végétation haute et luxuriante n'était plus que l'ombre de lui-même. Il ne restait plus une seule plante, plus un seul arbre sur un rayon de cent mètres ; tout avait brûlé. Anoki maîtrisant le feu, il s'était fait une joie de tout raser sur son passage.

De la cendre recouvrait le sol désormais sec et aride. Une teinte brune avait remplacé son vert éclatant, le rendant triste et desséché. Une crevasse d'environ trois mètres s'était formée, non loin de lui. Il supposa que c'était le résultat de l'explosion de son pouvoir : cela ne lui était pas arrivé depuis longtemps. La dernière fois, il devait avoir dix ans quand il avait découvert qu'il pouvait aussi maîtriser la Terre. Il avait alors senti le flot d'énergie lui échapper, comme attiré par une force obscure qui dépassait de loin sa volonté. Adriel avait contemplé, impuissant, la terre se fissurer à ses pieds et une énorme faille s'était créée, ravageant tout sur son passage. Traversant toute l'étendue du camp, elle avait obligé les habitants à se mettre à l'abri et à prier. Elle s'était finalement arrêtée quelques kilomètres plus loin, comme fatiguée d'avoir parcouru autant de distance. Malheureusement, le camp ne s'en était pas sorti indemne. Des maisons s'étaient écroulées, des habitants en étaient ressortis blessés et handicapés à vie, voire morts.

Cela l'avait irrémédiablement marqué, et il s'était promis de tout faire pour éviter que cela ne se reproduise. Voilà maintenant que le trou béant semblait le narguer ; véritable œuvre de son échec personnel.

Il soupira, déçu de lui-même, puis son regard dévia sur sa gauche, là où se trouvaient Anoki et Laurent quelques secondes plus tôt. Il se souvenait avoir tout donné en sachant que ce serait son assaut final. Comme dans un cauchemar, la nature s'était tue et des cris longs et déchirants avaient résonné. Il en percevait encore l'écho, comme s'ils résonnaient toujours en lui. Usant du pouvoir de la Terre, il avait fait jaillir de leurs pieds de longues et épaisses lianes. Telles des serpents, elles s'étaient enroulées autour de leurs corps pour les immobiliser et dans un mouvement sec du poignet il avait relâché ce qui lui restait de pouvoir, enserrant leur cou d'une étreinte mortelle. Anoki, bien plus vif que Laurent, avait cependant réussi à s'en extraire. Adriel ne le portait pas dans son coeur, et pourtant, la culpabilité l'avait étreinte amèrement alors qu'il lançait un pieu façonné avec la terre et les racines de cette forêt en plein dans son coeur. 

Sans ciller une seule seconde, il avait regardé la lumière quitter son regard encore flamboyant.

Il contemplait désormais ces deux corps sans vie. Immobile, Adriel laissa la haine et le dégoût le posséder. Sa peau glacée sembla lui rappeler que la mort coulait dans ses veines, mais qu'elle était suffisamment malsaine pour l'épargner. Pendant un court instant, alors qu'Anoki dirigeait la fureur de son feu sur lui, il y avait songé. Et s'il l'acceptait ? Personne ne le remarquerait et il aurait enfin la paix qu'il attendait depuis si longtemps. Mais mourir des mains de cet homme était visiblement trop mortifiant pour lui, parce qu'il avait évité son attaque au dernier moment avec un élan de rage. 

Incapable de contrôler le tremblement de ses mains, il les fourra dans ses poches et grogna de douleur. Soudain, un bruit fracassant résonna dans son dos. Il plissa les yeux, le corps en alerte. Un nuage de poussière s'élevait dans les airs, au-dessus de débris encore fumants. 

Il grimaça, s'apercevant qu'il avait complètement oublié de libérer Aurore de l'abris de fortune qu'il avait érigé à la va-vite. À l'instant où il l'avait aperçue, debout au milieu de la clairière sur la trajectoire directe des tirs, il avait su qu'elle était en danger. L'idée lui était venue rapidement, et bien que ce ne soit clairement pas l'idéal, il avait au moins pu se concentrer sur le combat sans craindre qu'elle vienne le déranger en risquant de se faire tuer au passage. 

La Terre des oubliésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant