Chapitre 5-2

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Aurore aurait aimé lui répondre que lui aussi, il était loin d'être normal, mais elle s'en garda de peur de le froisser alors qu'ils étaient plus ou moins parvenus à s'entendre. Tous deux silencieux, ils avaient rejoint le campement d'un pas fatigué. Adriel ne le montrait pas, mais elle sentait bien qu'il gardait encore des stigmates de sa blessure. Et encore heureux, sinon elle aurait fini par lui demander s'il n'avait pas non plus la capacité de guérir instantanément ! 

Visiblement en pleine réflexion, il se contenta de lui tendre un morceau de pain et des fruits qui, sous l'effet de la chaleur, déversèrent leur nectar dans la terre alors qu'elle les coupait avec le couteau qu'il lui avait confié hier. 

Le regard perdu dans le vide, elle mastiquait machinalement. Les questions, toutes plus affolantes les unes que les autres, dansaient dans son esprit : Pourquoi diable n'était-elle pas capable de se souvenir de sa vie d'avant ? Que lui était-il arrivé pour que son corps finisse ainsi marqué ? Elle ne savait même pas quel âge elle avait, bon sang. Toute son enfance et son adolescence, envolées tels des nuages de poussière emportés par le vent. Rien ne remontait à la surface. Elle avait même essayé d'effleurer les quelques cicatrices qui parsemaient son maigre corps, dans l'espoir vain qu'un déclic opérerait. Mais rien n'y faisait, sa mémoire semblait condamnée et complètement hors de portée.

Elle secoua légèrement la tête, énervée contre elle-même. Cela ne servait à rien de forcer les murailles de son esprit de la sorte. Elle était impuissante face à son amnésie, et plus elle s'acharnerait contre elle, plus il lui serait difficile de penser à autre chose. Le mieux restait de se focaliser sur autre chose et peut-être qu'un jour, elle aurait le fameux déclic qu'elle attendait avec tant de ferveur.

Coulant un regard vers Adriel, elle pinça les lèvres. Il avait fini de manger depuis longtemps et gardait le regard fixé devant lui, lui offrant son profil saisissant. Des cheveux noirs, bouclés par l'humidité, rebiquaient à la naissance de sa nuque. Son nez, qu'elle discernait enfin dans cette matinée ensoleillée, attestait de traits forts et ciselés, bien qu'une légère bosse en parcoure l'arrête. Elle n'aurait pas été étonnée qu'il se le soit cassé à plusieurs reprises. Quelques boucles venaient chatouiller ses tempes et elle ne put s'empêcher de se demander à quoi il ressemblait sans son éternel couvre-chef. C'étaient ses yeux, par-dessus tout, qu'elle aurait aimé étudier. Peut-être aurait-elle enfin une idée de ce qui pouvait bien lui traverser l'esprit ? Mais même ainsi, elle n'était même pas sûre que cela pourrait changer quelque chose. 

Des mouvements saccadés agitaient sa jambe droite, étendue devant lui, et il semblait en pleine réflexion. Se sentant de trop, soudainement, elle termina son repas en deux bouchées et poussa une complainte en se levant, ses jambes déjà courbaturées après leurs exercices du matin. Une petite promenade ne lui aurait pas fait de mal et puis, il fallait qu'elle trouve un endroit un peu plus tranquille.

— Tu vas où ? s'enquit-il.

Elle leva les yeux au ciel.

— Je ne suis pas un robot, j'ai besoin d'aller au petit coin.

Adriel hocha la tête après une seconde de flottement, manifestement gêné. Elle sourit imperceptiblement face à son embarras, amusée, et s'enquit d'un endroit suffisamment loin pour ne pas risquer de devoir effacer un souvenir humiliant de son esprit.

Sur le chemin du retour, elle se frayait un passage dans la végétation à grands coups de couteaux, le visage absorbé. Elle s'était enfoncée loin et l'obscurité était particulièrement présente dans ce recoin effacé. La nuque humide, elle accueillit avec soulagement le sentier qui la ramenait à la clairière. C'était celui qu'elle avait emprunté à l'allée, elle savait qu'il était beaucoup plus dégagé.

La Terre des oubliésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant