Chapitre 2-1 : Adriel

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La végétation était dense, Adriel avait toutes les peines du monde à avancer. En temps normal, il pouvait se déplacer en forêt les yeux fermés et se repérer avec les odeurs et les bruits environnants, seulement aujourd'hui était un jour tout à fait différent.

Il haletait, se tenant d'une main le flanc droit et gardant dans l'autre son couteau. Le sel de sa sueur lui piquait les yeux et son souffle s'affolait dans sa poitrine brulante. Tel le petit poucet, il laissait derrière son passage des taches sombres à l'odeur cuivrée. Ses pas étaient maladroits, et bientôt la rage vint déformer les traits de son visage. Il était énervé contre lui-même, mais bien plus encore contre le camp. Ou plutôt, se corrigea-t-il, son ancien camp.

Les jambes flageolantes, il repéra à une cinquantaine de mètres devant lui un grand arbre imposant.

— Tant pis, je devrai me contenter de ça, grogna-t-il, la douleur terrassant tous ses sens.

Tout en se traînant et en maudissant sa démarche claudicante et le boucan qu'il faisait, il attrapa d'une main l'arc accroché dans son dos et le serra fort, tâchant de sang son bois poli. Qu'ils osent venir m'achever, pensa-t-il.

Son cœur battait bien trop vite à son goût. Il s'arrêta un court instant, se concentrant sur sa respiration, et prit le temps de se calmer en inspirant profondément. Le visage emprunt par l'absorption, Adriel reprit sa progression en se concentrant sur son ouïe.

Une fois arrivé auprès de l'arbre, son dos glissa le long de son écorce et un grognement lui échappa. L'arbre qu'il avait choisi, bien qu'il n'ait pas non plus poussé la réflexion, offrait un parfait camouflage sous ses branches épaisses et extrêmement garnies. Adriel avait peu de temps devant lui, il lui fallait s'occuper de sa blessure et trouver un abri avant la tombée de la nuit. Le visage en sueur, il releva doucement le bas de son tee-shirt et grimaça.

La plaie n'était pas jolie et paraissait plutôt profonde. Ses bords, rouges vifs et boursouflés, l'inquiétèrent suffisamment pour qu'il se maudisse intérieurement de ne pas avoir été plus vigilant. Il avait également perdu beaucoup de sang. Repérant sur sa droite une plante aux feuilles épaisses qu'il connaissait bien, il s'en servit comme bandage après avoir nettoyé comme il le pouvait la plaie avec le jus récolté d'un fruit écrasé, connu pour ses bienfaits antiseptiques. Chez lui, on appelait cette plante une ugalogi ; ses capacités réparatrices étaient plus que prodigieuses. La chance semblait lui sourire, finalement. 

La douleur se calma quelque peu. Son sac contenait quelques maigres affaires ainsi que des armes et une photo, et c'est avec nostalgie qu'il s'en saisit entre ses doigts tremblants. Elle était abîmée par le temps et la saleté, mais l'on pouvait tout de même en deviner l'essentiel. C'était un cliché de lui tout juste né, tenu fermement par sa mère qui affichait un pâle sourire. Quant à son père, il se trouvait debout derrière elle, les yeux luisants de larmes et une main fièrement posée sur l'épaule de son épouse.

Cette photo était la seule trace qu'avait Adriel de ses parents, décédés peu après sa naissance. Ses lèvres se retroussèrent dans un rictus haineux. À chaque fois qu'il admirait ce cliché, il pensait à la vie, et à la mort. Certains jours, il ne savait pas ce qu'il désirait le plus entre les deux.  La haine lui serrait si souvent le coeur qu'il avait fini par l'accueillir comme s'il s'était agi d'une vieille amie. Comme pour l'aider, elle lui rappela brutalement les dernières heures passées au sein du camp. 



— Adriel !

Il leva la tête de son sac, un couteau coincé entre les dents. Sans donner de réponse, il continua avec empressement de remplir son paquetage. Ses sens éveillés, il pouvait sentir l'impatience et la colère qui enflaient au sein du camp.

La Terre des oubliésOù les histoires vivent. Découvrez maintenant