Chapitre 27-1

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Aurore mettait un point d'honneur à ne pas se retrouver seule. Elle avait menti, elle n'en avait rien à faire du couteau qu'il lui avait donné, ou plutôt, elle n'avait pas besoin de se déplacer pour aller le chercher, c'était ridicule. La vérité, c'est qu'elle était terrifiée à l'idée de rester toute seule dans cette maison. Il lui aurait alors été impossible de fuir ses souvenirs et ces choses monstrueuses qu'elle avait fait. Finalement, rester amnésique ne lui aurait pas déplu, loin de là. Elle qui ne cessait de reprocher à Adriel son manque de prudence, elle se rendait compte qu'elle était peut-être pire.

Tout à l'heure, à table, elle avait été si émue par le discours d'Ethan et Ashley. Ils savaient être sincères, vrais. Ce qu'ils ressentaient était si pur, si touchant, presque autant que la confiance aveugle d'un enfant vers ses parents. À côté, elle faisait pâle figure. L'impression d'avoir inventé de toutes pièces un personnage depuis le début lui laissait un goût amer sur la langue. Cette Aurore timide et balbutiante était à mille lieux de lui ressembler. Du moins, ce n'était plus elle. Bien-sûr, sa véritable nature resurgissait à quelques occasions, principalement quand elle était en danger ou énervée, mais pour le reste, c'était finalement de la pure comédie. Involontaire, certes, mais c'en était tout de même. Son corps s'était retranché derrière ce vulgaire mécanisme de défense qu'étaient la peur et l'espoir, mais il aurait mieux fait de se souvenir que c'était la colère et la rancoeur qui alimentaient jadis sa force. Rien n'avait jamais été plus efficace. Jusqu'à maintenant, remarqua-t-elle en pensait à Adriel.

Cela lui paraissait bien loin, maintenant. C'était de sa faute si elles étaient séparées, sa soeur et elle. Le visage paniqué de sa soeur, le jour où les gardes l'avaient emmenée, s'invita à elle malgré toute la force qu'elle mettait en oeuvre pour le chasser. Elle serra les dents. Cela aurait pu être évité, surtout que son petit manège afin de la retrouver et d'obtenir des informations n'avait été d'aucune utilité : sa soeur était seule, voire probablement morte. Et c'était entièrement de sa faute.

Un rire amer lui échappa, bien malgré elle. Pour rattraper le coup, elle feignit être prise par une quinte de toux. Cela ne sembla pas échapper à Adriel.

— Ça va ?

Elle lui sourit furtivement, puis fit un geste du menton pour lui signifier qu'il y avait du mouvement devant eux. L'un des gardes qu'ils surveillaient, un verre fumant à la main, salua un homme qui arrivait à sa hauteur.

Des nuages menaçants recouvraient peu à peu le soleil timide de cette fin de journée. Cela faisait une demi-heure qu'ils guettaient la relève, accroupis derrière ce vieux puits abandonné entre deux maisons gagnées par la végétation. Ils avaient convenu d'attendre que ce jeune garde, John, prenne son premier quart. Il aurait été bien plus difficile d'espérer s'introduire discrètement alors que ce garde à la carrure menaçante gardait l'entrée du bâtiment. Selon Samuel, il était peu commode et n'aurait pas hésité à tirer à vue, étant plutôt du style à agir, puis à réfléchir. Ce John, en revanche, avait commencé tout en bas de l'échelle il y a de cela moins d'un mois. Aurore n'était même pas sûre qu'il sache se servir d'une arme.

— Prépare-toi, souffla Adriel sur sa gauche, sa main posée contre son flanc.

Elle hocha la tête, faisant le vide dans son esprit. Le jeune garde cala son corps svelte contre la palissade du bâtiment et se mit à siffler, le regard perdu dans le vide. Aurore se leva en même temps qu'Adriel, sur le point de prendre à droite et lui à gauche, quand un autre garde arriva subitement avec un long fusil calé sur l'épaule. Il tapa dans le dos de John avec un large sourire, puis plissa les yeux en parcourant du regard les environs.

Elle se rassit précipitamment.

— Merde, grogna Adriel. Samuel craignait qu'ils ne renforcent leur effectif, eh bien il avait raison.

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