La Terre des oubliés

Chapitre 33-1

Le silence s'abattit sur eux, épais et poisseux. Même le vicieux avait cessé de rigoler et se contentait de broyer la peau de ses flancs, la sensation de sa main contre sa chair la répugnant au plus haut point.

Aurore se sentait vide de l'intérieur. Son pire cauchemar venait de se réaliser. Ce secret qu'elle gardait enfoui au fond d'elle, barricadé derrière la honte et le dégoût, venait de lui être vulgairement jeté à la figure. Et de surcroit, par l'homme qui avait fait de son existence un pur enfer sur terre. Elle se demandait quoi choisir entre vomir ou s'effondrer ; tout plutôt que de devoir affronter le regard d'Adriel et d'Ashley. Le vicieux, qu'elle se refusait d'appeler par son prénom parce qu'à ses yeux il n'avait rien d'humain, sourit contre sa tempe. Plus les minutes passaient, et plus son masque glissait. D'abord d'un calme déconcertant et froid, il avait doucement revêtu son costume d'être infâme.

Son crâne semblait peser une tonne, elle n'arrivait pas à se résoudre à affronter leurs regards. C'était indéniable, elle y aurait forcément lu du dégoût et du mépris. Alors elle fixait ses baskets poussiéreuses, celles qu'Ashley lui avait gentiment prêtées le soir où elle l'avait accueillie chez elle. Cette dernière, qui aurait été incapable de faire de mal à une mouche, devait sûrement la haïr désormais. Les comportements déviants et l'injustice ne faisaient pas partie de son vocabulaire et elle abhorrait par-dessus toute la violence. Son passé et la façon dont elle avait été traitée, qui étaient à la limite de l'inconcevable, n'avaient de cesse de lui revenir par flashs. Et voilà qu'elle avait noué des liens forts avec une personne ayant commis une telle atrocité ? Aurore eut un haut-le-cœur rien qu'en y pensant.

Mais de toute façon, à quoi s'était-elle attendue ? Comme s'il était possible d'oublier les atrocités qu'elle avait commises en les enfermant dans une petite boîte bien hermétique... Ce n'était pas ainsi que ça marchait, elle le savait très bien. La vérité finissait toujours par éclater. Et même sans ça, cela l'aurait de toute façon rongée.

Ce qui l'attristait, au point de lui en donner la nausée, c'est qu'elle savait comment Adriel se voyait, elle qui s'était habituée à devoir lire entre les lignes et l'observer discrètement. Pour lui, les actes, passés comme présents, avaient peu à peu fait de lui un être pernicieux et mauvais possédé par le besoin de vengeance et la rancœur qui s'étaient amassés dans son cœur. Pourtant, elle ne l'avait jamais vu ainsi et elle aurait tant aimé remonter le passé pour le lui répéter encore et encore avant que son regard sur elle ne change à tout jamais.

Il était inutile de se mentir, elle était bien plus mauvaise que lui et elle ne le méritait pas. Ce qu'elle avait fait... Il n'y avait aucune excuse à ça, rien ni personne n'aurait pu la convaincre du contraire.

Maintenant, il devait sûrement la percevoir autrement ; peut-être même voyait-il un monstre en elle.

La voix d'Adriel résonna soudain, pétrifiant chaque cellule de son corps.

— Qu'est-ce-que ça peut nous faire ? Tu crois que ça va changer quelque chose à notre but ? Que balancer une information pareille avec ton petit air satisfait va inverser la tendance et que je vais décider de vous tuer tous les deux, histoire de prouver que je suis une gentille petite personne éthique et morale ? Je ne suis rien de tout ça, pauvre enfoiré. Dommage que tu ne l'aies pas compris plus tôt.

Et sans prévenir la terre se mit à trembler sous ses pieds, lui arrachant un hoquet de surprise. La prise du vicieux se raffermit sur sa taille. Elle tenta bien de se dégager, mais il refusait de la lâcher malgré le sol qui tanguait dangereusement. Il laissa échapper un juron contre sa nuque et son souffle chaud contre sa peau la fit frissonner d'horreur.

Les secousses cessèrent comme elles avaient commencées. Aurore osa un regard interrogatif vers Adriel, mais il l'ignora, toute son attention focalisée sur celui qui l'agrippait toujours.