Chapitre 22-1

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Adriel éructait. Les mains serrant avec force les pages du carnet, il fixait cette phrase qui tournait en boucle dans sa tête : « je suis allé lui trancher la gorge pendant qu'il dormait ». 

C'était donc ainsi que le chef Yuma, qu'il avait admiré petit, avait quitté ce monde ? Les Anciens avaient toujours passé son trépas sous silence, arguant que sa vie lui appartenait et que c'était insulter sa mémoire que d'expliquer comment il avait connu la mort. Il comprenait maintenant ; ils avaient honte ! Honte qu'il ait été tué lâchement et que personne n'ait rien pu faire pour le sauver. Et pire, ils n'avaient jamais pu rattraper son assassin et avaient même pactisé avec lui, l'autorisant à les insulter par la même occasion. Il ne comprenait pas pourquoi ils n'avaient jamais essayé de le retrouver. 

Si Adriel avait été présent, il n'aurait jamais abandonné et il aurait même ramené sa tête en guise de trophée.

La rage semblait le consumer. Il avait parlé avec ce fou allié et s'était laissé insulter sous prétexte qu'il ne fallait pas faire de vagues. Ce malade l'avait reconnu. Il avait su, dès la minute où Adriel avait posé les pieds dans la salle du conseil, d'où il venait. Il avait osé le traiter de sauvage, lui qui avait été assez lâche pour assassiner un homme dans son sommeil.

Il n'avait qu'une envie, c'était aller le retrouver et lui retourner l'appareil. Le faire souffrir comme il les avait fait souffrir, lui, Yuma, sa femme et ses parents. 

Si le pacte n'avait pas été scellé, ses parents seraient encore en vie. Il n'aurait pas eu à grandir tout seul, haï de tous. Il le détestait de tout son être et comptait bien le lui faire savoir. Au diable la précaution, il avait un nouvel objectif et il s'assurerait de l'honorer.

Adriel ferma le journal dans un geste sec et le posa à ses pieds en se retenant de shooter dedans. Roulant des épaules, il sourit en constatant que son incroyable capacité de guérison était toujours au rendez-vous. Il n'irait pas jusqu'à dire qu'il était guéri, loin de là, mais il pouvait sentir que cela allait beaucoup mieux. Son bandage était suffisamment serré pour lui permettre de se mouvoir sans risquer de rouvrir sa blessure, et le reste n'était que superficiel : il pourrait se battre, si nécessaire. 

Dans un rictus, il palpa ses côtes et approuva de la tête. Il fallait simplement éviter les coups dans cette région, autrement elles risquaient de se casser pour de bon.

Des murmures agités, qui semblaient provenir non loin de la cabane, le mirent soudain en alerte. Deux personnes, visiblement en pleine prise de bec, faisaient bruire la végétation qui entourait la demeure ; et ils ne prenaient même pas la peine de baisser le ton.

Plus discret, tu meurs, pensa-t-il intérieurement, le dos plaqué contre le bois frais de la maison de Samuel, près de la porte d'entrée. Son couteau en main et en position fléchie, il attendait. Mais alors les voix se firent plus distinctes et le soulagement, mais aussi l'agacement, le saisirent. Après avoir levé les yeux au ciel et baissé son arme, il s'écarta du mur pour entrouvrir la porte. 

Sur le point de faire un commentaire devant leur manque évident de discrétion, il sentit sa phrase mourir sur ses lèvres devant le regard d'Ethan.

— Adriel, souffla ce dernier.

Son sourire n'atteignit jamais ses yeux. Il se crispa à la vue de ses blessures et du sang qui maculait encore son cou, mais ne fit aucuns commentaires. Adriel pensa tout de suite au pire : le corps de Nikola avait été retrouvé et tout le monde était en mauvaise posture à cause de lui. 

Se frottant la nuque, il baissa la tête, gêné :

— Écoute, Ethan, je suis désolé. Si j'avais su qui il était, je ne l'aurais pas tué, commença-t-il, bien que ces mots aient rempli d'amertume sa bouche.

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