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LE REVERS DU MIROIR NOIR

Le plan de Dazai

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   Atsushi poussa la porte d'entrée et poussa un soupir de soulagement. Cette journée de travail l'avait épuisé, il n'avait qu'une envie, se glisser dans son lit et dormir quinze heures d'affilées. Il s'était levé à l'aube car on l'avait appelé en renfort pour une mission. Ensuite, il avait à peine eu le temps de prendre un café qu'il avait dû aller repêcher son collègue, Dazai, qui s'était une fois de plus jeté dans le fleuve, ce qui « nuisait aux récoltes de pêches et faisait fuir les poissons ». Il avait donc dû appeler Chûya, afin qu'il vienne contrôler les pulsions de son partenaire-ennemi, sauf qu'ils s'étaient disputés et Atsushi avait dû assister à tout cela. Après cela, il était rentré faire son rapport, il en avait eu pour plus de trois heures, sans parler de Ranpo qui n'arrêtait pas de l'interrompre pour lui dire qu'il avait faim ou que Poe avait fait telle et telle chose, et Dazai qui était revenu entre temps et qui c'était amusé à faire des avions en papier avec les pages de ses dossiers. Et à dix-neuf heures, il s'était préparé pour rentrer chez lui, mais il avait été appelé pour faire une mission de dernière minute, ce qui expliquait pourquoi il ne rentrait qu'à vingt-trois heures.
   Être dans une agence de détectives n'était pas de tout repos, entre les enquêtes qui s'enchaînaient, ses missions avec Akutagawa, Dazai qui ne faisait jamais rien, et Ranpo qui ne pensait plus qu'à Poe... Et en ce moment les journées étaient plus éprouvantes les unes que les autres. Atsushi avait vraiment besoin de repos, et heureusement, demain il ne travaillait pas alors il pourrait rattraper ses heures de sommeil.
   Le jeune homme retira ses chaussures sans défaire les lacets, et accrocha son manteau au mur, avant de remarquer une lumière dans le salon. Tiens ? Qui pouvait bien être ici à cette heure si tardive ? Atsushi s'avança à pas de loup vers la lumière. Il n'y avait pas un bruit dans son appartement, et il ne voyait personne dans la salle, ni sur le canapé. Il n'avait tout de même pas laissé la lumière allumée ici toute la journée ?! Après tout c'était possible, il était tellement étourdi le matin que cela lui était déjà arrivé plusieurs fois. Heureusement que ce n'était pas lui qui payait ses frais de logement !
   Atsushi lâcha au sol son sac de travail et partit dans la cuisine, il avait besoin d'un bon bol de riz au thé, il n'avait presque rien avalé aujourd'hui alors...
   Le jeune homme sursauta vivement et porta sa main à son cœur en entrant dans la cuisine. Là aussi la lumière était allumée, et cette fois il comprenait pourquoi ! Akutagawa était assis à sa table, son buste était à moitié couché dessus et sa tête était enfouie dans ses bras. Et près de lui se trouvait un bol de riz, dont quelques vains souffles de fumée s'échappaient encore.
   Atsushi s'approcha de lui et posa prudemment sa main sur son épaule pour la secouer.
   — Akutagawa, appela-t-il d'un air surpris. Hé Akutagawa...
   Akutagawa gémit et remua lentement. Il ne semblait pas se décider à se réveiller. Atsushi s'assit alors à ses côtés, il saisit le bol de riz et les baguettes qui allaient avec, et commença à manger. Le riz était au thé vert, il était tiède, mais ça ne faisait rien, il était très bon. Et Atsushi avait si faim qu'il pourrait le manger même s'il était gelé.
   Il ne s'était pas attendu à trouver Akutagawa chez lui, c'était assez surprenant de trouver son ennemi endormi chez lui ! Il ne savait même pas qu'Akutagawa avait son adresse, il se demandait bien comment est-ce qu'il avait pu l'avoir. Quoique, connaissant Dazai et Chûya, ce devait être eux qui lui avaient donné son adresse. Mais qu'est-ce qu'il pouvait bien lui vouloir ? Et il lui avait préparé du riz au thé ? C'était étrange non ?! Est-ce qu'il pouvait y avoir quelque chose dedans ?!
   — Fais moins de bruit en mangeant, dit Akutagawa d'une voix endormie.
   Atsushi arrêta aussitôt de mâcher et grimaça.
   — Je peux savoir ce que tu fais là ?
   — Non.
   — Mais... Mais on est chez moi ! J'ai le droit de savoir quand même !
   Akutagawa poussa un soupir d'agacement et se redressa en prenant son visage dans ses mains.
   — J'ai fait exploser mon appartement...
   — Comment ça ?!
   — C'est une longue histoire.
   — Comment est-ce que tu as pu le faire exploser, s'exclama Atsushi avec horreur.
   — ... J'étais en colère.
   — Mais ce n'est pas une raison ! Comment est-ce que tu-
   — Arrête avec tes questions, s'énerva Akutagawa.
   — J'ai le droit de savoir ce que tu fais chez moi, marmonna Atsushi, qui commençait à penser qu'Akutagawa allait aussi faire exploser son appartement, et lui avec.
   — J'ai voulu aller chez Gin mais elle n'était pas là et je déteste son appartement, alors je suis allé chez Chûya, mais quand il m'a ouvert il n'était presque pas habillé et ses jambes tremblaient, alors j'ai préféré éviter un nouveau traumatisme et je suis parti. Et à ce moment j'ai reçu un message de Dazai qui me disait, « va chez Atsushi et prépare lui du riz au thé vert », donc je l'ai fait, et c'est pour ça que je suis là.
   — Dazai t'a envoyé ici, dit Atsushi d'un air pensif. Alors il doit vouloir que je m'occupe de toi... Je suppose que je n'ai pas le choix, et vu le nombre de fois où on a travaillé ensemble, je peux bien faire ça pour toi...
   — Maintenant que je suis venu chez toi et que je t'ai fait ton riz, je m'en vais, dit Akutagawa en se levant, comme s'il ne l'avait pas écouté.
   Mais... C'était Atsushi qui était idiot ou c'était lui ?! Si Dazai l'avait envoyé ici, c'était parce qu'il voulait qu'il passe la nuit ici non ? Si Akutagawa n'avait plus d'appartement, il n'avait pas d'endroit où aller, alors Dazai l'avait envoyé ici, c'était logique non ? Dazai avait la manie de toujours essayer de les rapprocher, alors ce n'était pas surprenant venant de lui...
   Atsushi se leva et soupira.
   — Attends, je crois que Dazai veut que tu restes ici, dit-il en retenant Akutagawa par le bras.
   — Pour quoi faire ?
   — Et bien pour... Pour passer la nuit je pense...
   — Pour passer la nuit, répéta Akutagawa sans comprendre.
   — Dormir ici.
   — Avec toi ?! Jamais.
   — Mais... pourquoi Dazai t'aurait dit de venir ici alors ?
   — Pour lui prouver que je sais faire du riz, s'exclama Akutagawa.
   C'était peu probable... Atsushi sortit finalement son téléphone et composa le numéro de son collègue.
   — On va lui demander, comme ça on sera sûr, expliqua-t-il en tirant Akutagawa près de lui pour qu'il écoute l'appel.
   Akutagawa ne répondit rien, il se détacha simplement de son emprise. Atsushi dut faire trois tentatives d'appel avant de réussir à joindre Dazai, il devait être très occupé.
   — Atsushi, je suis extrêmement occupé, confirma Dazai en décrochant.
   — Désolé de vous déranger, mais Akutagawa est chez moi et nous ne sommes pas sûrs d'avoir compris pourquoi vous l'avez envoyé ici... C'est pour qu'il passe la nuit ici, demanda Atsushi, en essayant d'ignorer les bruits d'halètements qui s'élevaient de son téléphone.
   — Oui oui c'est ça, dit rapidement son collègue.
   — Mais pourquoi chez moi, demanda timidement le jeune homme.
   — Atsushi enfin ! Tu ne te souviens pas de ce qu'a dit Yosano sur la mafia ?!
   — L'arrêter ?!
   — Il faut la baise-
   — Dazai raccroche tout de suite, coupa la voix de Chûya. Ça va pas ou quoi ?!
   — Mais c'est vrai Chuchu !
   — Éteins ce téléphone !
   — Atsushi c'est le moment de baiser Aku-
— Dazai je t'interdis de leur dire ça !
   Un bruit sourd retentit, suivit d'un étrange gémissement aigu, et l'appel se coupa. Le silence revint aussitôt dans la pièce, lourd et particulièrement gênant, et Atsushi resta figer, la main toujours levée pour téléphoner.
   Il... Il avait mal compris ce que son collègue venait de lui crier. N'est-ce pas ?! Oui, Dazai n'aurait pas osé... Il ne lui aurait jamais dit ça, pas sérieusement en tout cas... C'était une blague. S'en était forcément une. Il ne venait pas vraiment de lui dire de coucher avec son ennemi. Plus précisément de « baiser » son ennemi, ce qui était encore plus explicite... Atsushi avait forcément mal entendu.
   Et puis pourquoi est-ce qu'il lui dirait ça ? C'était ridicule, Dazai détestait la mafia portuaire autant que lui, jamais ils ne feraient quoi que ce soit avec elle... Même si les bruits qui se faisaient entendre durant l'appel étaient très étranges... Surtout que Dazai était avec Chûya, et que tout à l'heure Akutagawa avait dit qu'il avait vu Chûya à peine vêtu et les jambes tremblantes... Mais non, c'était impossible que ce soit à cause de Dazai enfin ! Ils se détestaient !
   ... Ils se détestaient n'est-ce pas ?
   — Il... Il a dû boire un peu, dit Atsushi avec un petit rire gêné.
   Akutagawa ne répondit pas, et le jeune homme se rendit compte qu'il le regardait avec un regard perçant. Oula... Il n'avait quand même pas pris les instructions de Dazai au pied de la lettre ?! Le connaissant il en serait capable...
   — On... On doit pas coucher ensemble, s'empressa de dire Atsushi, de plus en plus mal à l'aise.
   — Mais il a dit qu'on devait le faire.
   — M-Mais non !
   — Il doit sûrement vouloir que je lui montre que je sais le faire, il faut qu'on le fasse, dit Akutagawa en s'approchant de lui.
   — Qu- Non ! Non je- Akutagawa, ce n'est pas parce qu'il te dit de faire quelque chose que tu dois le faire ! T'es pas son petit chien, si tu continues à faire tout ce qu'il veut, tu gagneras jamais son estime ! Et puis tu ne dois pas avoir de relation se... s-sexuelle... sur commande. C'est seulement si tu le veux, dit Atsushi en reculant machinalement.
   — Évidemment, toi tu peux faire ce que tu veux, moi non ! J'ai pas le choix, si je veux sa reconnaissance je dois faire ce qu'il me demande !
   — Non pas du tout, et encore moins faire ça, s'exclama Atsushi en le prenant par les épaules. Tu... Oublie Dazai pour une fois, il a dit n'importe quoi. S'il te demandait d'aller embrasser... Gin, tu le ferais ?
   — Non, c'est de l'inceste, répliqua Akutagawa en croisant les bras.
   — De l'inc... Oh, vous êtes de la même famille, comprit Atsushi avec surprise.
   Akutagawa le dévisagea avec irritation. Atsushi l'avait souvent vu en compagnie de Gin, mais il ne s'était jamais dit qu'elle était sa sœur... Il ne la connaissait pas vraiment, alors il n'y avait pas fait attention, et il s'était dit qu'il y avait peut-être quelque chose entre elle et Akutagawa, qu'ils étaient peut-être ensemble... Mais maintenant qu'il y pensait, c'était vrai qu'elle lui ressemblait.
   — Bon alors, s'il te demandait d'embrasser Mori, tu le ferais, demanda alors Atsushi en lâchant son ennemi.
   — Non, dit Akutagawa avec une expression dégoûtée.
   — Alors voilà, tu vois il ne faut pas toujours faire ce que dit Dazai.
   Akutagawa ne répondit rien continua de le regarder avec agacement. Il n'avait pas l'air de vouloir de lui en tout cas, c'était rassurant...
   Atsush rangea son téléphone et s'écarta de lui.
   — Tu peux dormir dans ma chambre, je resterai dans le salon. Tu as mangé ? Si tu veux je peux faire à manger ou...
   Atsushi ne termina pas sa phrase. Akutagawa lui était passé devant, en prenant bien soin de lui donner un coup d'épaule, et il partit chercher sa chambre sans rien dire. C'était mieux ainsi, chacun de leur côté, ils ne risqueraient pas de s'entretuer. Le problème, c'était que ses affaires pour dormir se trouvaient dans sa chambre, et que pour accéder à la salle de bain il fallait passer par sa chambre.
   Il n'avait pas le choix, il allait devoir recroiser son ennemi.
   Atsushi partit alors vers sa chambre, et entra prudemment. Akutagawa n'avait pas retiré son manteau ni ses chaussures, et il semblait très occuper à ouvrir tous les placards de sa chambre.
   — Euh... Qu'est-ce que tu fais ?
   — Ça te regarde pas.
   — C'est quand même ma chambre...
   — Pourquoi elle est aussi vide ? J'ai l'impression d'être dans ta vie..., dit Akutagawa en fermant un placard inoccupé.
   — Mais je... J'ai des vêtements là, dit Atsushi en ouvrant un placard pour se défendre.
   Akutagawa le poussa pour se mettre devant  son placard et tira un t-shirt de la pile de vêtements. Il le déplia un instant et l'inspecta longuement, le tournant dans tous les sens, le reniflant presque.
   — Qu'est-ce que tu fais, demanda Atsushi sans comprendre.
   — Pourquoi est-ce que tout est aussi banal chez toi, demanda Akutagawa en continuant de fouiller. Tu n'as presque que des t-shirt blancs et des chemises blanches, il n'y a aucune décoration chez toi, tes assiettes sont toutes blanches, et presque tous tes meubles sont vides. Ton appartement est aussi vide et banal que ta vie.
   — Mais... C'est juste que je ne garde que ce qui est nécessaire, se défendit Atsushi avec gêne. Et puis j'ai jamais eu d'affaires personnelles alors...
   — On ne dirait pas que c'est ton appartement, répliqua Akutagawa en s'écartant. Et qu'est-ce que tu fais là ?
   — Oh euh je suis venu prendre mes affaires pour dormir, et je dois me doucher. Si tu veux, je peux aussi te donner de quoi te changer pour-
   — Non.
   — Mais tu ne vas pas dormir habiller...
   — Je ne veux pas retirer mon manteau, rappela Akutagawa. C'est le plus pratique pour se battre.
   C'était vrai que son pouvoir partait de là... mais il n'en aurait pas besoin ici, non ? Oh, mais peut-être qu'il voulait le garder parce qu'Atsushi était là... d'ailleurs lui aussi il devrait rester sur ses gardes, après tout, Akutagawa était son ennemi... Il pourrait très bien lui sauter dessus en pleine nuit et l'étrangler...
   Atsushi écarquilla les yeux d'horreur et secoua vivement la tête pour chasser l'image d'Akutagawa en train de l'étrangler, et tendit la main à son ennemi.
   — On fait une trêve cette nuit, déclara-t-il. On ne s'attaque pas ni quoi que ce soit d'autre.
   Akutagawa le regarda d'un air impassible, et ne bougea pas d'un pouce.
   — ... Dazai l'aurait voulu..., ajouta alors Atsushi.
   Akutagawa leva alors sa main et serra celle d'Atsushi, avant de la retirer et de s'écarter de lui, comme si se tenir près de lui trop longtemps pourrait lui être nocif.
   — Je vais me doucher, tu pourras y aller après si tu veux, dit Atsushi en partant vers la salle de bain.
   Akutagawa ne répondit pas, et se contenta de partir s'asseoir sur son futon pour patienter.

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant