🪧

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DERRIÈRE LA PLUME D'UN GÉNIE


Stop la fac, on en a marre !

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   — Qu'est-ce qu'il se passe encore ?
   — Je sais pas, je viens d'arriver.
   — Pourquoi personne n'entre ? Les cours sont censés être commencés depuis une heure.
   — Oui mais on peut pas rentrer, c'est inaccessible pour l'instant. À mon avis la fac sera fermée aujourd'hui, dit Sigma avec perplexité.
   — Sérieux ? Donc là je me suis levé pour rien ?
   — ... Je pense oui.
   Nikolaï poussa un juron, et croisa les bras sur sa poitrine.
   Il venait à peine d'arriver devant son université, pour commencer sa journée de travail, et les problèmes commençaient déjà. La rue dans laquelle se trouvait l'entrée de son université était remplie d'étudiants, qui stagnaient au milieu de la route dans un brouhaha incessant, et les portes de l'université étaient fermées. Fermées. Alors qu'il était huit heures et demie du matin, et que les cours commençaient à huit heures. Nikolaï poussa un soupir de frustration, et se hissa sur la pointe des pieds.
   Des pancartes en carton étaient placardées aux portes du bâtiment, de là où il était, Nikolaï ne voyait pas ce qui était écrit dessus. En revanche, il voyait parfaitement les poubelles de tri vertes, réunies devant les portes, sur lesquelles étaient montés plusieurs étudiants. L'un d'eux tenait un mégaphone et criait des slogans à tue-tête, en ignorant les vigiles de l'université qui essayaient de rétablir l'ordre. Eren. Évidemment. Qui d'autre que lui pour organiser un blocage de la fac dès le matin ? Le connaissant, il avait dû s'installer là dès six heures du matin, et il ne devait pas avoir l'intention de bouger. Il était insupportable ! Nikolaï s'était levé tôt pour travailler avant d'aller en cours, s'il avait su que son campus était inaccessible, il n'y serait pas allé ! Il aurait profité de sa matinée pour dormir ! C'était vraiment agaçant, qu'est-ce qui lui prenait de bloquer la fac ?!
   — Qu'est-ce qu'il fout ? Pourquoi il a prévenu personne qu'il faisait blocus, demanda Nikolaï avec agacement.
   — Il a prévenu ses amis, et ceux qui étaient certains de participer, expliqua Sigma. Les blocus ça se fait par surprise, ils préviennent pas en général.
   — Sérieux ? Mais avant ils prévenaient !
   — Avant c'était pas Eren le président du syndicat.
   — Il est lourd... Et personne fait rien ? Dans mon pays il se serait fait renvoyer et enfermé ce fou.
   — Niko, on est en France. Et Eren est français, et d'origine française, alors il risque pas de se faire arrêter.
   — Surtout qu'il est dans son droit de manifester, c'est dans la loi, dit une voix derrière lui.
   Nikolaï et Sigma se tournèrent d'un même mouvement, et virent que deux jeunes hommes, et une jeune femme, se tenaient derrière eux. Celui qui avait parlé portait des lunettes sur son nez, et ses cheveux étaient teints en deux teintes de violet. Nikolaï ne l'avait jamais vu, ni le deuxième jeune homme, en revanche, la jeune femme lui disait quelque chose.
   — Vous savez ce qu'il se passe, demanda Sigma.
   — Visiblement il y a un blocus, c'est sûrement à cause des retraites, dit la jeune femme. Ça fait une heure que c'est bloqué.
   — Ça sera sûrement bloqué toute la journée, ajouta celui aux lunettes. Vous n'allez pas pouvoir entrer.
   — C'est votre campus principal ici, questionna Nikolaï en fronçant les sourcils.
   — Non, moi je suis en droit. Je suis venu là parce que mon petit ami est ici et qu'il voulait être sûr que tout ce qu'il faisait était légal...
   — Moi je suis pas là, j'accompagne juste ma meuf, ajouta l'autre jeune homme, qui tenait donc sa petite amie contre lui. J'adore les blocus, c'est super fun.
   — Ça n'a rien de fun, c'est chiant ouais ! Je me suis levé à six heures parce que je pensais que j'avais un contrôle aujourd'hui !
   — Ah bah ça c'est tant pis pour toi ma gueule.
   — « Ma » quoi, demanda Nikolaï d'un air incrédule.
   — Rin, appela quelqu'un en surgissant de nulle part. Kei veut mettre le feu aux poubelles et il m'écoute pas, en plus Dazai a dit que ça serait cool, et Eren a dit que tous les moyens étaient bons à prendre ! Ils sont fous, va les arrêter !
   — Hein ?! Mais ils ont vrillé, s'exclama le dénommé Rin en suivant immédiatement le nouvel arrivant, qui le conduisit dans la foule.
   — Le feu, excellent, dit le plus grand jeune homme en riant.
   — C'est pas drôle Shushu...
   — Ils commencent à me faire peur, dit Sigma en agrippant le bras de Nikolaï. S'ils mettent le feu ça peut mal tourner...
   — Ils mettront pas le feu, ça servirait à rien, dit Nikolaï en haussant les sourcils.
   Il se retourna vers l'entrée de la faculté, et essaya de voir ce qu'il se passait. La rue était légèrement en pente, ce qui lui permettait de voir distinctement les personnes qui se trouvaient loin de lui, et qui bloquaient l'entrée. Les vigiles s'étaient éloignés, et semblaient avoir abandonné l'idée de se débarrasser des manifestants. Eren était descendu des poubelles, il avait confié son mégaphone à l'un de ses amis, un grand garçon aux cheveux courts et gris, qui scandait à son tour des slogans... Peu entraînant. Nikolaï n'était pas sûr que « À bas la France, Vive les français » soit un slogan très pertinent. Il ne voulait rien dire d'ailleurs. C'était ridicule. Mais le plus ridicule était de loin l'homme qui se trouvait à côté de lui, et qui brandissait fièrement une pancarte « Stop la fac, on en a marre ! ». Cet homme était un professeur de la faculté. Sérieusement, à quoi jouait-il ? C'était l'un des professeurs les mieux payés, et qui faisait le plus de voyage à l'étranger, de quoi se plaignait-il ?! En plus de ça, il enseignait avec son partenaire de vie ! C'était n'importe quoi.
   En-tout-cas, Eren discutait à présent avec garçon avec de longs cheveux noirs, attaché en queue-de-cheval, et qui tenait effectivement un briquet dans sa main. Et à côté d'eux se trouvait Dazai, qui acquiesçait joyeusement. Oh non, pas lui ! Cet accro au suicide n'allait tout de même pas brûler le bâtiment juste pour s'immoler, n'est-ce pas ?! Non, il n'oserait pas... Si ?!
   Soudain, les yeux de Nikolaï se posèrent sur une chevelure de jais, qui lui était très familière. Il reconnut immédiatement le visage pâle de Fyodor, son long manteau noir, et sa pince d'argent qui retenait ses cheveux au-dessus de sa nuque. Sans réfléchir, Nikolaï s'empara du poignet de Sigma, et se rua à travers la foule d'étudiants.
   — Hé ! On va où là, s'écria Sigma avec panique. Je veux pas me faire brûler moi !
   Nikolaï l'ignora, trop occupé à se faufiler entre des étudiants pour se rapprocher de son professeur. La foule était dense, tous étaient serrés les uns aux autres, mais il parvint à atteindre le sommet de la côte, là où étaient rassemblés les bloqueurs. Fyodor se tenait juste là, à quelques mètres d'Eren, occupé à discuter avec un homme qui semblait dépassé par la situation. Nikolaï reconnut de loin son chignon noir et ses yeux étirés, c'était l'un des professeurs de l'université, c'était aussi le mari du professeur sur les poubelles. Nikolaï le plaignait sérieusement. Et près de Fyodor se tenait un jeune homme bien plus petit, que Nikolaï n'avait pas pu apercevoir de loin. Il n'arrivait qu'à l'épaule de Fyodor, il se tenait proche de lui, trop proche pour qu'il ne s'agisse que d'un simple étudiant, et ses cheveux étaient d'un roux flamboyant.
   Oh non ! Le voleur ! Le meilleur ami ! Le colocataire ! Est-ce que c'était lui ?! Oui, évidemment que c'était lui, il n'y avait pas des centaines de petits roux ! Oh non ! Très bien, Nikolaï devait rester calme. Fyodor lui avait dit qu'il était comme son petit frère, ils étaient simplement amis, pas de quoi s'inquiéter. Mais ce petit roux, Chûya, s'il se souvenait bien de son nom, n'avait pas l'air très amical... Est-ce qu'il ne risquait pas de sauter sur Nikolaï et de le tuer ?! Mais non ! Pourquoi ferait-il ça ? Il n'y avait pas de raison enfin. Rassuré, Nikolaï s'approcha de Fyodor, et lui tapota discrètement l'épaule.
   — Salut, dit-il avec joie.
   — Que... Oh, bonjour Nikolaï, dit Fyodor avec surprise.
   — Ah oui, bonjour, se corrigea Nikolaï, en se rappelant que Fyodor était son professeur, et qu'ils étaient en public. La fac est fermée ?
   — Rien a été annoncé pour l'instant, les nouvelles doivent arriver vers neuf heures.
   — Elles auraient dû arriver à huit heures, dit Chûya avec agacement.
   — La fac sera probablement fermée, les manifestants comptent rester ici toute la journée, dit le professeur d'un air qui trahissait sa fatigue. Je suis désolé, j'avais dit que les professeurs devaient être prévenus pour organiser les cours, mais on ne m'a pas écouté.
   — C'est vrai que j'aurais aimé être prévenu à l'avance... C'est surtout embarrassant pour ceux qui viennent de loin et qui se sont déplacés pour rien, dit Fyodor.
   — Je ne comprends pas pourquoi personne n'a prévenu pour le blocus, c'est un peu stupide non, demanda Chûya, qui avait les bras croisés sur sa poitrine. Si personne ne prévient, même ceux qui sont pour la manifestation ne pourront pas venir.
   — C'est vrai, ce n'est pas très malin, dit Fyodor.
   — Excusez-moi de vous interrompre, mais pourquoi M. Gojo fait le blocus avec les autres, demanda Nikolaï en jetant un coup d'œil au professeur, qui était toujours debout sur les poubelles, auprès des étudiants. Il est payé super bien et il travaille quand il veut, pourquoi il n'est pas content ?
   — Officiellement, c'est parce qu'il veut avoir une retraite. Officieusement, c'est parce qu'il prend ça pour un jeu, et qu'il a trois ans d'âge mental, soupira le professeur, en imitant Nikolaï. Ou bien il aime sentir l'odeur des poubelles... J'envisage sérieusement le divorce.
   — Et dire que c'était l'un de mes professeurs préférés, soupira Chûya. Oh non, Dazai monte aussi sur les poubelles... Je suis sûr qu'il est juste là pour s'amuser.
   — Il décrédibilise la cause, soupira le professeur. Enfin, vous feriez mieux de rentrer chez vous, si vous ne souhaitez pas participer, il est inutile de rester ici. 
   —  C'est agaçant quand même, dit Nikolaï, j'avais des trucs à faire aujourd'hui moi !
   — Nikolaï, ils ont le droit de manifester, et ils ont raison, dit Fyodor avec calme.
   — ... Ah tu... Vous êtes pour la manifestation ?
   — Je suis pour, tant qu'il n'y a pas de violence.
   ... Oh. Après tout, il avait raison, manifester c'était important. Il ne fallait pas se laisser être opprimé par la société, ni par la direction de la faculté, c'était intolérable... Ce blocus était totalement légitime !
   Nikolaï masqua sa surprise, et sourit simplement à Fyodor. Fyodor lui rendit son sourire, puis il se retourna vers le professeur pour lui demander comment faire pour ses cours de la journée. Nikolaï essaya d'écouter leur conversation, mais il fut rapidement distrait par le visage de Fyodor, et ne put s'empêcher de le fixer, les sourcils froncés.
   Il était plus cerné que d'habitude, il n'avait pas l'air d'avoir beaucoup dormi. Les contours de ses yeux étaient rosés, de la même couleur que ses lèvres écharpées, et ses cernes foncés ressemblaient à du maquillage qui aurait coulé et imprégné sa peau. Comme s'il avait pleuré toute la nuit. Pourtant hier, Nikolaï s'était assuré qu'il allait bien avant de partir... S'était-il de nouveau disputé avec Chûya ?
   Le voir ainsi l'inquiétait, il n'aimait pas le voir aller mal. Inquiet, Nikolaï tapota de nouveau l'épaule de Fyodor, en s'excusant de l'interrompre, et lui demanda de le suivre à l'écart. Fyodor accepta, et ils se frayèrent tous deux un chemin dans la foule, afin d'aller dans une rue perpendiculaire à celle de la faculté. Ils durent marcher quelques minutes en silence, pour trouver un endroit où il n'y avait pas d'étudiant, et ils finirent pas s'arrêter près d'une petite boulangerie. 
   — Tu vas bien, demanda Nikolaï en s'arrêtant derrière un mur.
   — Tu m'as fait venir ici pour me demander ça ?
   — T'as pas l'air d'avoir passé une bonne nuit, on dirait que t'as pleuré.
   — Je vais bien, dit Fyodor d'une voix calme. Je me suis expliqué avec Chûya, mais tout va bien.
   — Sûr ? Ça c'est passé comment ?
   — Bien...
   — T'as pas l'air bien, dit Nikolaï en posant sa main sur sa joue pour la caresser. Tu sais t'as le droit de te sentir mal !
   Fyodor ne répondit pas, et se contenta d'éviter son regard.
   — Si tu vas mal tu m'appelles, déclara alors Nikolaï. Tu re-veux mon numéro ?
   — Je l'ai retenu.
   — Vraiment ?!
   — Oui. Mais ne t'inquiète pas, je sais que je peux t'appeler si besoin.
   Fyodor sourit brièvement à Nikolaï, puis il se détourna, et esquissa un mouvement pour partir. Cependant, Nikolaï le retint par le bras, et le tira vers lui pour l'étreindre. Fyodor se laissa faire avec surprise, et Nikolaï en profita pour passer ses bras autour de lui. Peu importe ce qu'il disait, il voyait bien qu'il ne se sentait pas bien. Il avait dû passer une mauvaise nuit, son poignet était rougi par l'élastique qu'il portait, et ses yeux devaient avoir versé de nombreuses larmes.
   Il ne voulait pas parler, et Nikolaï l'avait compris. Mais cela ne l'empêchait pas de lui apporter un peu d'affection. Une étreinte réchauffait toujours les cœurs, et celui de Fyodor était glacé. Nikolaï sentait qu'il avait besoin de chaleur.
   — Je suis fatigué, finit par murmurer Fyodor contre lui.
   — Je sais, répondit Nikolaï en caressant doucement ses cheveux.
   Il pensait que Fyodor développerait ses sentiments, mais il n'ajouta rien, et resta blotti contre Nikolaï en silence. Il ne devait vraiment pas vouloir parler. Ce n'était pas grave, Nikolaï savait écouter son silence, et il savait qu'étreindre Fyodor avait au moins le don de l'apaiser. Il se mit alors à embrasser son visage, ses joues, son front, son nez, son menton, ses tempes, et Fyodor sourit en se laissant faire.
   — Qu'est-ce que tu fais ?
   — Je te bisoute, répondit Nikolaï sans s'arrêter.
   — Ça ne veut rien dire.
   — J'avais entendu quelqu'un dire ça et je trouvais que c'était trop mignon. T'as besoin de bisoutage pour te remonter le moral !
   — Mais je vais bien, répéta Fyodor, d'un ton qui semblait plus sincère que quelques secondes plutôt.
   — Oui, parce que je te bisoute et que t'es dans mes bras !
   — C'est sûrement pour ça... Et toi, tu vas bien ?
   — Ça va. Enfin, je suis dégoûté de m'être levé pour rien, mais au moins je peux te voir. Ça m'énerve les blocus, j'en vois pas l'intérêt. En ce moment il y en a tout le temps !
   — C'est parce qu'il y a eu des réformes importantes, et puis il y a eu beaucoup de grèves qui ont empêché des étudiants d'aller en cours, et la fac les pénalise pour ça. Ils ont raison de ne pas se laisser faire, c'est à notre génération de s'insurger et de se battre pour vivre.
   — Hmm, j'avais jamais vu les choses comme ça... Qu'est-ce que tu vas faire aujourd'hui du coup ? Tu fais des cours en visio dans cette situation ?
   — Ah non, c'est trop embarrassant, et puis personne ne suit en vision. Je vais simplement déposer les cours sur l'ENT... Je suppose que les autres campus seront bloqués aussi, il va falloir trouver un autre endroit où travailler.
   — On peut travailler dans mon lit si tu veux, proposa Nikolaï en dégageant les mèches de cheveux qui couvraient le visage de Fyodor pour l'observer.
   — Tu vas déjà travailler tout le week-end, tu es sûr que tu veux aussi le faire aujourd'hui, répondit Fyodor d'un air joueur.
   — Je pourrais le faire toute la semaine !
   — À ce point ?
   — Bien sûr, si c'est avec toi, dit Nikolaï en serrant Fyodor contre lui.
   Fyodor sourit un peu plus, et posa ses mains sur sa poitrine, comme pour le maintenir à une certaine distance de lui.
   — Je préfère qu'on attende ce week-end. Plus on attend, et plus il y aura de tension entre nous.
   — T'as raison. D'ailleurs, à propos de week-end... T'as pas répondu à mon mail.
    — Parce que tu as mon adresse maintenant. 
   — Oui mais tu m'as pas dit si tu allais mettre des vêtements sexy, dit Nikolaï à voix basse. Tu sais, je te l'ai proposé mais t'es pas obligé d'accepter, et tu peux me dire si quelque chose te met mal à l'aise, ou si ça ne te plaît pas.
   — Ça ne me dérange pas, j'aimerais bien essayer.
   — Vraiment ? T'es pas obligé de dire oui pour me faire plaisir, je comprendrais si t'as pas envie, et ça te rendrait pas moins sexy ! Je veux pas que tu te sentes obligé pour moi.
   — Je ne me sens pas obligé, assura Fyodor d'un air sincère. J'aimerais bien le faire, mais malheureusement je n'ai pas vraiment de vêtements sexy.
   — Même pas un petit string ?
   — Non, je n'ai jamais osé en acheter, et je ne me trouve pas séduisant au point de porter ça.
   — Moi je te trouve plus que sexy, t'es une véritable bombe ! Tu sais... Je peux aller t'en acheter moi.
   — M'acheter des vêtements sexy, répéta Fyodor avec surprise.
   — Oui. Je peux t'acheter un ensemble et des sous-vêtements...
   — Ça ne me dérangerait pas, répondit Fyodor d'une voix craquante.
   Sa réponse fit fondre Nikolaï, qui ne résista pas à l'attirer un peu plus contre lui, en glissant ses mains plus bas sur son corps. Il vérifia qu'il n'y avait personne autour d'eux, et en constatant que la rue était déserte, il embrassa avec un mélange de douceur et d'envie la gorge de Fyodor.
   — Je pourrais t'acheter des bas..., susurra-t-il d'une voix grave.
   — Qu'est-ce que tu entends par bas exactement, demanda Fyodor, qui avait penché la tête en arrière pour recevoir plus de baisers.
   — De quoi orner ces jolies fesses... T'as déjà mis des string ?
   — Jamais, mais je veux bien essayer...
   — Je peux t'en acheter et te les ramener vendredi, comme ça tu me fais la surprise samedi en les portant...
   — J'aime bien cette idée. Mais dans ce cas, il y a aussi une chose que j'aimerais essayer.
   — Dis moi ?
   — Du chocolat aphrodisiaque, répondit Fyodor près de son oreille. Je veux que notre plaisir soit si fort qu'il explose en nous. Et que notre première fois ensemble soit... D'une jouissance inégalable.
   Un sourire affamé apparut sur les lèvres de Nikolaï, et il releva la tête pour regarder Fyodor. C'était exactement ce qu'il voulait aussi.
   — Chocolat comment ?
   — Dulcey, c'est mon préféré.
   — Je t'en achèterai plein, répondit aussitôt Nikolaï. S'il le faut, je le fais moi-même.
   — Ça me va.
   Nikolaï se pencha vers Fyodor pour l'embrasser mais celui-ci se recula, le privant de baiser. Il lui lança un regard amusé et s'écarta de lui, et Nikolaï le laissa faire sans comprendre.
   — J'ai dit pas en public, dit-il d'un air joueur.
   — Un baiser te dérange, mais mes mains sur tes fesses non, répliqua Nikolaï en haussant les sourcils.
   — Oui. Et puis je veux te faire patienter, tu n'as plus le droit de me toucher jusqu'à samedi.
   — Mais c'est dans quatre jours !
   — Oh vraiment ? Tu n'auras qu'à te dire que plus notre envie languit, et plus notre passion sera forte, répondit Fyodor avec un sourire.
   — C'est vrai. Bon, alors je me retiendrais, même si ça sera difficile.
   — On ne s'est pas touchés pendant des mois, tu devrais pouvoir te retenir, dit Fyodor en riant.
   — Peut-être, mais j'ai découvert que j'adorais te faire des câlins, ça sera difficile d'y résister...
   L'expression joueuse de Fyodor disparut, et il le regarda avec surprise, comme si Nikolaï venait de dire quelque chose de déstabilisant. Cette réaction donna l'impression à Nikolaï qu'il n'était pas habitué à entendre cela, et qu'il ne devait pas recevoir beaucoup d'étreinte. Peut-être que ses anciens petits-amis ne le prenaient pas dans ses bras, simplement pour le tenir contre eux, comme venait de le faire Nikolaï. Hier soir, Fyodor lui avait dit que ses anciennes relations ne s'étaient pas très bien passées, il voulait peut-être sous-entendre qu'il ne recevait pas d'affection...
   Pourtant il en méritait tellement... Si Nikolaï avait été à la place de ses anciens petits amis, il aurait pris Fyodor dans ses bras chaque matin et chaque soir, ne serait-ce que pour lui offrir un sourire dans la journée. Cette pensée donna soudain une idée à Nikolaï, qui sortit son téléphone et le tendit à Fyodor.
   — J'ai pas le droit de te toucher, mais je peux t'envoyer des messages non ?
   — Si tu veux... Mais je ne suis pas du genre à envoyer beaucoup de messages, et j'ai souvent l'air froid.
   — Oh c'est pas grave, moi je suis très loquace donc j'aurais plein de choses à te dire. Et puis tant que tu me laisses t'envoyer un message le matin pour te souhaiter une bonne journée, et le soir pour savoir si tu vas bien, ça me suffit.
   — Tu n'es pas obligé de faire aussi attention à moi, tu sais, dit Fyodor d'un air déconcerté.
   — C'est pas un devoir mais c'est un droit ! J'aime bien envoyer beaucoup de messages à mes amis, et même si t'es pas mon ami, t'échapperas pas à mes messages. Si ça te soûle t'auras qu'à me le dire, mais je pense que tu aimeras ça. Promis, je t'inonderai pas de messages, dit Nikolaï avec un franc sourire.
   Il tendit un peu plus son téléphone à Fyodor, et celui-ci finit par le prendre avec hésitation. Il entra son numéro rapidement, puis il lui rendit son téléphone, et Nikolaï renomma son contact en « Futur époux », ce qui arracha un petit rire à Fyodor.
   — Merci, finit-il par dire.
   — Pourquoi tu me remercies, demanda Nikolaï sans comprendre.
   — Parce que tu fais attention à moi alors que nous ne sommes pas vraiment ensemble. Tu pourrais te contenter de coucher avec moi, et pourtant tu ne le fais pas.
   — Parce que c'est pas ça qui m'intéresse. Enfin, si, ça m'intéresse à mort, mais si je voulais juste coucher avec toi, j'aurais pas passé cinq mois à te draguer, je t'aurais directement proposé de passer la nuit chez moi.
   — Je n'ai jamais connu quelqu'un comme toi, dit alors Fyodor, après quelques secondes de silence. Et à vrai dire, je pensais que tu voulais juste coucher avec moi au début.
   — Je peux pas t'en vouloir, les premiers jours de notre rencontre, je voulais juste coucher avec toi. Mais il faut croire que ton mauvais caractère m'a séduit, répondit Nikolaï.
   — Je n'ai pas mauvais caractère, s'indigna Fyodor.
   — Disons que tu es un peu... Comment dire...
   — Je suis quoi ?!
   — Têtu, aigri, capricieux, arrogant, égoïste, mauvaise langue et cynique. Mais sache que j'accepte tes défauts, assura Nikolaï avec sérieux.
   — Je ne suis pas capricieux, ni égoïste ! D'accord je suis têtu, un peu de mauvaise humeur et oui, j'aime être cynique et mauvaise langue, mais le reste c'est faux !
   — Oui en effet. J'ai rajouté ces défauts pour que tu assumes les autres. Je pensais pas que ça marcherait aussi bien !
   — Tu m'as piégé.
   — Je n'ai fait que révéler ta vraie nature.
   — Tu n'es qu'un traître, dit Fyodor avec un regard noir.
   — Fyodor, appela quelqu'un sur le côté.
   Les deux jeunes hommes cessèrent leur chamaillerie et tournèrent la tête, pour voir Chûya, alias le rival de Nikolaï, arriver. Il était suivi de Sigma, ainsi que de Dazai, qui devait les avoir accompagnés sans leur avoir demandé leur avi.
   — Désolé de vous interrompre, mais on allait partir travailler dans un café, vous voulez venir avec nous, demanda Chûya en s'approchant.
   — Oui, c'est-ce une bonne idée, répondit Fyodor, en s'écartant de Nikolaï pour qu'il y ait de nouveau une distance respectable entre eux.
   — Il m'a proposé de venir avec eux, ajouta Sigma à l'adresse de Nikolaï. Ça pourrait être utile, non ?
   — Euh oui... Enfin je... C'est notre professeur quand même, dit Nikolaï en faisant mine d'être embarassé.
   — Oui enfin on sera que tous les quatre, dit Chûya, qui n'avait visiblement pas fait attention à Dazai. Pas besoin de faire semblant.
   — Oh mais oui, j'en étais sûr, s'exclama Dazai en fonçant sur Nikolaï. T'es l'élève de Fyodor ! Je t'avais vu avant-hier ! Pourquoi vous discutiez ici tous les deux ?!
   — Dazai, tu peux te mêler de ce qui te regarde, demanda Fyodor d'un air agacé.
   — Me dis pas que tu trompes Chûya avec ton élève ! Ou alors vous êtes plus ensemble ?! Ça y est ?!
   — Je ne suis pas sûr de comprendre, dit Sigma en fronçant les sourcils. Vous êtes en couple ? Tu le savais Nikolaï ?!
   Nikolaï ouvrit la bouche pour répondre, mais rien ne lui vint à l'esprit. Il n'avait pas pensé à prévenir Sigma que Fyodor faisait semblant de sortir avec un autre, ça lui avait semblé si peu important qu'il n'en avait pas parlé. Et Dazai n'avait pas l'air d'être au courant non plus. Et en plus de cela, il avait clairement compris qu'il y avait quelque chose entre Nikolaï et Fyodor. Cette situation était assez cocasse...
   — Je suppose qu'il faut te dire la vérité, soupira Fyodor. Je ne suis pas en couple avec Chûya, on faisait semblant car il avait besoin de faire croire à quelqu'un qu'il était en couple.
   — Vraiment ?! Mais pourquoi tu m'as pas demandé, je suis le mec le plus sexy de la fac, s'exclama Dazai en se tournant vers Chûya d'un mouvement vif.
   — Parce que tu n'es pas le plus sexy de la fac, et ensuite on est pas amis, répliqua Chûya d'un air sec. On s'est à peine parlé.
   — Mais les quelques phrases qu'on s'est échangées ont suffi à enflammer notre cœur !
   — N'importe quoi. Osamu, garde ça pour toi, ok ? Tiens ta langue pour une fois, dit Fyodor d'un air sévère.
   — Mais tu sors avec ton élève ?!
   — Pour l'instant on n'est pas ensemble, et j'aimerais bien que notre relation reste entre nous. Sérieusement Osamu, t'en mêle pas.
   — De toute façon on est majeur, on fait ce qu'on veut, ajouta Nikolaï. Il n'a que quatre ans de plus que moi.
   — Mais c'est ton professeur ! Excellent ça alors, dit Dazai avec hilarité.
   — De toute façon ils te demandent pas ton avis, lança Chûya avec mauvaise humeur.
   — Je le donne quand même ! Fyodor, Fukuchi va te tuer s'il l'apprend, je rêve de voir ça !
   — Fukuchi, demanda Sigma. Quel rapport avec un professeur de littérature ?
   — C'est mon directeur de thèse, expliqua Fyodor. Et Osamu, je t'interdis de lui répéter.
   — C'est Fukuchi le directeur de thèse, s'exclama Sigma avec horreur. Oh non, il est tellement sévère... Je pourrais jamais faire de thèse avec lui...
   — Sigma, t'es super doué, s'exclama Nikolaï. T'y arriveras, c'est sûr.
   — Ce n'est pas le seul directeur, tu choisis celui qui peut superviser le thème de ta thèse, ajouta Fyodor d'un air rassurant. Et puis il n'est pas le seul à juger ton travail, il y a un jury pour ça.
   — Oui, moi mon directeur c'est Mori, dit Chûya.
   — M-Mori ?! Mais c'est pire, lui aussi il est sévère ! Il m'a mis neuf à mon partiel de L3 alors que j'avais très bien réussi !
   — C'est vrai qu'il craint ce prof, dit Nikolaï en grimaçant.
   — Moi mon directeur c'est Fukuzawa, dit fièrement Dazai. Autrement dit, le meilleur prof. Je suis sûr de valider ma thèse, contrairement à vous.
   — On la validera aussi, et nous on aura encore plus de mérite parce qu'on aura un jury sévère, répliqua sèchement Chûya. Et puis on a pas choisi d'être avec Mori et Fukuzawa.
   — Parce qu'un directeur peut vous refuser, s'écria Sigma d'une voix étranglée.
   — Sigma calme toi, dit Nikolaï en explosant de rire. C'est pas la mort !
   — Mais si !
   — Oui, parce qu'ils ne peuvent pas superviser trop de monde à la fois, et la plupart des professeurs choisissent ceux qui les intéressent le plus, dit Fyodor.
   — J'avais demandé Mme. Ieiri mais elle avait déjà trop d'étudiants, soupira Chûya.
   — Je voulais Geto mais il m'a dit qu'il n'avait pas le droit parce qu'il était déjà trop impliqué dans mon parcours personnel, alors il ne pouvait pas me juger de manière juste, dit Fyodor avec dépit.
   — Ça donne pas envie de faire de thèse tout ça, dit Nikolaï d'un air découragé.
   — Ce n'est pas si horrible tu sais, et tu y arriveras très bien, c'est certain, dit Fyodor d'une voix adoucie.
   — Vous voulez tous les deux faire des doctorats, demanda Chûya, en posant la main sur sa hanche.
   — Moi je voulais, mais là je commence à me poser des questions, dit Sigma d'un ton qui trahissait son angoisse.
   — Moi j'hésite. J'aimerais bien, mais en même temps je saurais pas trop quoi faire, dit Nikolaï.
   — Tu as encore du temps pour y réfléchir, peut-être que tu trouveras un sujet d'études plus tard, dit Fyodor. Je propose que nous poursuivions cette discussion dans un café, bien au chaud. Osamu, je suppose que venir travailler ne t'intéresse pas ?
   — Hmm... Et bien figure toi que si ! Je vous accompagne !
   — Quelle joie de te compter parmi nous. Dans ce cas allons-y.
   Il offrit un magnifique sourire plein d'hypocrisie à Dazai, qui lui rendit, puis il se tourna vers Nikolaï. Son sourire changea immédiatement et se teinta de sincérité, ce qui réchauffa le cœur de Nikolaï. Il adorait les sourires de Fyodor, ils illuminaient son visage, comme si les rayons du soleil n'existaient que pour éclairer les fossettes de ses joues.
   Tout le monde finit par s'éloigner, pour prendre le chemin du café que Chûya avait choisi, et Nikolaï suivit le groupe en silence. Il enfouit ses mains dans ses poches, en observant le dos de Chûya, qui marchait devant lui. Il avait déjà eu l'occasion de voir Chûya à l'université, mais il ne lui avait jamais adressé la parole. Et maintenant qu'il savait qu'il habitait avec le futur homme de sa vie... Il ne pouvait s'empêcher de se méfier de lui. Ce n'était pas qu'il doutait de Fyodor, c'était seulement que Chûya n'avait pas l'air de l'apprécier du tout, et Nikolaï ne voulait pas que ça nuise à sa relation avec Fyodor. Chûya lui lançait des regards noirs dès qu'il posait les yeux sur lui, et il avait l'air d'avoir un sale caractère...
   Une main étrangère entra soudain dans sa poche, et des doigts froids vinrent s'entremêler aux siens.
   — À quoi tu penses, demanda Fyodor en se rapprochant de lui.
   — Je me disais que Chûya n'avait pas l'air de l'aimer, répondit Nikolaï, en serrant sa main avec joie.
   — Il se méfie de toi parce que j'ai tendance à sortir avec de mauvaises personnes. Si tu apprends à le connaître, tu verras qu'il est très gentil.
   — Tant qu'il se met pas entre nous deux, j'aurais aucun problème avec lui !
   — Parfait, je n'ai pas envie que vous soyez en mauvais terme.
   — Je peux faire des efforts pour toi, promit Nikolai. D'ailleurs ça te dérange pas que Sigma et moi on vienne travailler avec vous ? T'es quand même notre prof.
   — C'est peut-être un peu surprenant comme situation, mais ça ne me dérange pas, dit Fyodor d'un air détaché. Mais ça va peut-être mettre mal à l'aise ton ami.
   — Je pense pas, il a l'air de bien s'entendre avec Chûya, répondit Nikolaï en observant son meilleur ami, qui discutait avec Chûya et Dazai. Ça te dérange qu'il soit là ?
   — Tant qu'il ne se met pas entre nous deux, il ne me dérange pas.
   Fyodor adressa un sourire entendu à Nikolaï, et celui-ci le lui rendit. Il ne chercha pas à poursuivre la discussion, et laissa un silence s'installer entre eux. Tenir la main de Fyodor lui suffisait, ce qui était étrange, car en temps normal Nikolaï se sentait toujours obligé de parler sans s'arrêter, pour éviter les blancs dans les discussions. Mais avec Fyodor, il ne ressentait pas ce besoin de parler, et les silences auprès de lui étaient agréables. Il aimait simplement sa compagnie, marcher à ses côtés, et tenir sa paume contre la sienne. Se tenir la main les obligeait à rester proches l'un de l'autre, à marcher au même rythme, à harmoniser leurs mouvements. Et Nikolaï aimait cela. Il avait l'impression de faire une balade avec son amoureux, et c'était la première fois qu'il éprouvait cela. C'était particulièrement agréable...
   La paume de Fyodor se réchauffait peu à peu contre la sienne, elle devenait moite et sa peau se détendait. Leurs doigts étaient emmêlés, et le pouce de Nikolaï caressait celui de Fyodor. Ils étaient cachés, à l'abri des regards indiscrets, derrière l'étoffe de sa veste. Marcher en tenant la main de Fyodor était si réconfortant, si chaleureux, que le cœur de Nikolaï s'était mis à battre plus fort.
   Mais ils arrivèrent bientôt près d'un café, et Nikolaï lâcha à contrecœur la délicate main qu'il tenait contre lui. Il laissa Fyodor entrer avant lui dans le café, puis il le suivit, et regarda avec curiosité l'intérieur. Le décor était plutôt chaleureux et agréable, le mobilier était en bois clair, satiné, il brillait sous la lumière dorée des lampes sphériques. Ce décor créait une ambiance assez accueillante et calme, et Nikolaï se sentit tout de suite à l'aise ici. Il suivit Fyodor jusqu'à une table haute, et s'assit sur un tabouret en cuir à ses côtés. Chûya s'installa en face de Fyodor, Dazai en face de Nikolaï, et Sigma vint près de son meilleur ami. Un serveur prit leur commande, puis ils sortirent leurs affaires pour travailler (Dazai le fit également, ce qui surprit tout le monde autour de la table !). 
   Nikolaï commença par consulter ses mails, et vit que son cours de l'après-midi allait avoir lieu en ligne, et qu'il serait écourté de deux heures. Quant à son cours du matin, il était simplement annulé, et des documents étaient disponibles sur l'ent. Il les récupéra alors, et commença à les lire sans vraiment de convictions. Savoir que son campus était fermé pour la journée le démotivait, il n'avait plus envie de travailler, il voulait juste retourner se coucher. Pourtant il avait passé une bonne nuit, malgré le fait qu'il se soit levé tôt, et qu'il ait pris du temps à s'endormir car il préférait penser à une certaine personne. Et dire que cette personne se trouvait à sa gauche à présent, et qu'il lui suffisait de décaler sa jambe vers lui pour que leur cuisse se frôle...
   Il n'arrivait pas à réaliser tout ce qu'il s'était passé avec Fyodor, et il ne pouvait s'empêcher d'y penser. Il s'était passé tant de choses en seulement trois jours ! Hier, Fyodor était d'abord devenu son professeur, puis ils avaient fait des choses intimes ensemble dans les toilettes. Le soir, il l'avait croisé par hasard et l'avait invité » chez lui, il avait même pu l'embrasser de nouveau et dormir avec lui ! Et tout à l'heure, il l'avait tenu contre lui, et avait marché main dans la main avec lui ! Ces trois jours étaient définitivement les plus beaux de toute la vie de Nikolaï, il n'avait jamais été aussi heureux. Il savait depuis longtemps qu'il éprouvait de l'amour pour Fyodor, mais il ne pensait pas qu'il trouverait tant de choses à aimer chez lui, que sa simple présence lui suffirait pour se sentir bien, et qu'il n'aurait qu'à penser à ses sourires pour s'endormir. S'en était presque frustrant.
   Était-ce l'amour qui le faisait se sentir si complet ? Ou était-ce Fyodor qui, par sa simple existence, lui apportait tout ce dont il avait besoin ? Et puis, avait-il vraiment besoin de quelque chose ? Il lui avait toujours semblé qu'il était incomplet, qu'une partie de lui était manquante, oubliée dans les abysses de son esprit, perdu dans les ruines de son âme d'enfant. Il avait toujours pensé qu'il avait besoin de quelque chose, un je ne sais quoi, qui le transformerait, et ferait de lui la personne qu'il rêvait d'être. Mais Fyodor ne faisait pas cela. Il ne lui rapportait rien, si ce n'est que des moments de douceur parsemés dans une semaine de fatigue. Il ne le complétait pas, mais il le faisait se sentir complet. C'était un sentiment difficile à expliquer... Lorsqu'il était avec lui, Nikolaï se sentait pris de tendresse, il devenait un être d'amour délicat et sauvage à la fois. C'était une part de lui qu'il ne connaissait pas jusque-là. Il aimait ce que Fyodor faisait ressortir chez lui, c'était comme s'il révélait la part de lui qu'il avait oublié.
   Ses sentiments n'avaient jamais été aussi agréables que depuis qu'il aimait Fyodor.
   Un pied frappa soudain la cheville de Nikolaï, et il fut tiré de ses pensées malgré lui.
   — Arrête de fixer les mains de Fyodor comme ça, sinon Chûya va te tuer, murmura Sigma à son oreille.
   Surpris, Nikolaï battit de paupières. Sans le remarquer, il avait commencé à regarder les mains de Fyodor, qui était posées sur des copies de devoir. Cela n'avait pas échappé à Chûya, qui le fixait avec un regard noir. Son envie de meurtre était palpable. Depuis combien de temps le fixait-il ainsi ?! Nikolaï releva rapidement les yeux, et vit que Fyodor n'avait pas du tout vu qu'il le fixait depuis quelques minutes. Il avait la tête légèrement tournée, il regardait par la vitrine du café, et semblait perdu dans ses pensées.
   Il avait la même expression que lorsqu'il réfléchissait à ce qu'il écrivait. Nikolaï l'avait déjà vu ainsi, lorsqu'il allait au tutorat et que Fyodor ne s'occupait de personne, parfois il se mettait à regarder le vide, les sourcils un peu froncés, et il semblait alors très concentré. La première fois qu'il l'avait vu faire ça, Nikolaï pensait qu'il n'allait pas bien, alors il l'avait questionné, mais Fyodor lui avait répondu qu'il pensait simplement à ses histoires. Nikolaï trouvait ça amusant à voir, et il avait pris l'habitude d'embêter Fyodor lorsqu'il faisait ça.
   Il posa d'abord son index sur le sien et le caressa avec douceur, pour essayer de ramener Fyodor à la réalité. Fyodor se laissa faire, et resta plonger dans ses pensées. Nikolaï aurait continué de le caresser, mais le regard perçant de Chûya l'en dissuada. Il saisit alors un feutre noir, égaré au fond de son sac, et dessina discrètement deux points et une parenthèse sur la main de Fyodor, pour vérifier qu'il ne remarquait rien. Fyodor ne réagit pas. Ravi, Nikolaï se mit à dessiner un oiseau sur le côté de son poignet, sous le regard dépité de Sigma et Chûya, qui devaient remettre en question son âge mental.
   — Qu'est-ce que tu fais, demanda Fyodor au bout d'un moment, remarquant enfin qu'un feutre était posé sur sa peau.
   — Ben je dessine ! Regarde, ça c'est moi en oiseau, ça c'est toi, je t'ai aussi fait en colombe parce que je sais dessiner que ça, et ça c'est nos enfants !
   — Qui est la mère, demanda Fyodor avec sérieux.
   — Toi. Ouais, en fait t'as fait un déni de grossesse, on avait pas prévu tout ça...
   — T'es bête, dit finalement Fyodor avec un sourire.
   — T'as quel âge déjà, demanda Chûya.
   — Vingt-deux ans, pourquoi ?
   — Pour rien...
   — Moi aussi je veux faire du coloriage, s'exclama joyeusement Dazai. Chuchu, passe-moi ta main !
   — Je m'appelle Chûya, et non, dessine sur quelqu'un d'autre, dit sèchement Chûya, alors qu'un serveur arrivait pour déposer les cafés commandés.
   — J'adore ton sale caractère, répondit Dazai d'un air charmeur, avant de remercier le serveur.
   — J'ai pas un sale caractère !
   — Si un peu ! Mais je suppose que c'est l'aigreur de Fyodor qui a déteint sur toi...
   — Pourquoi est-ce que vous dites tous que je suis aigri, s'agaça Fyodor.
   — Parce que tu l'es, dit Dazai. En plus d'être chiant, maniaque, cynique, sadique, calculateur, froid, ennuyant-
   — Rassure-moi, tu as conscience que tu es en train de te décrire là ?!
   — Moi je suis cool, toi t'es lourd ! Et aigri, comme Chuchu. Mais Chuchu est cool, il me plaît bien, alors que toi...
   — Je m'appelle Chûya, et je suis pas aigri !
   — Je ne suis pas aigri non plus !
   — Ok, qu'est-ce que vous en pensez tous les deux, demanda alors Dazai à l'adresse de Nikolaï et Sigma.
   — C'est vrai que t'es un peu aigri, dit Nikolaï pour embêter Fyodor.
   — Moi je ne vous connais pas trop, dit Sigma avec gêne.
   — Tu peux dire que Fyodor est aigri t'inquiète, il te mettra pas de mauvaise note pour ça. Et s'il le fait, ça prouvera qu'il est méchant, et que j'avais raison, dit Dazai avec un grand sourire.
   — Je ne le trouve pas aigri, dit Sigma avec prudence.
   — Hé mais c'est vrai que tu peux nous mettre des notes, s'exclama soudain Nikolaï. C'est nos copies que t'es en train de corriger ?! On avait fait un devoir au début du semestre pour tester nos connaissances !
   — Oui, je crois que ce sont vos copies, dit Fyodor en jetant un coup d'œil au tas de feuilles devant lui.
   — Quoi ?! On a eu des bonnes notes, demanda aussitôt Sigma.
   — J'ai eu combien ?!
   — Connaissant Fyodor, il a dû vous mettre des mauvaises notes, lança Dazai.
   — Je ne sais plus si je t'ai corrigé Sigma, mais Nikolaï je n'ai pas encore vu ta copie, dit Fyodor avec calme.
   — Tu peux la corriger maintenant ?!
   — Non, tu es juste à côté de moi, ça va m'influencer. Et puis je corrige les copies sans regarder le nom.
   — Lis-la juste ! Je veux voir ta réaction, allez !
   — Tu ne me lâcheras pas si je ne le fais pas ?
   — Non.
   Fyodor poussa un soupir, puis il fouilla dans ses copies, et en sortit celle de Nikolaï. Il commença à la lire en silence, alors qu'un grand sourire s'affichait sur le visage de Nikolaï. Il scrutait le visage de Fyodor, observait ses réactions, attendant avec impatience un quelconque rictus ou sourire. Mais Fyodor ne laissait rien paraître. Il lisait rapidement, le visage de marbre, et après avoir terminé la page d'introduction, il reposa la copie.
   — C'est bien, dit-il simplement.
   — Tu me mets combien ?!
   — Je n'ai pas tout lu, je ne peux pas te noter.
   — Bon alors t'aimes bien mon plan ? Et ma problématique ? Et mon accroche ?!
   — Oui, et ton plan est intéressant, et ton introduction est bien organisée...
   — Mais ?
   — ... Mais tu peux m'expliquer pourquoi tu m'as marqué « Rousseau a écris », demanda Fyodor en pointant soudain une ligne de la copie.
   — Ben parce que la citation est de la lui, dit Nikolaï sans comprendre.
   — Ça s'écrit Rousseau a écrit avec un « t » ! Pas un « s » ! Tu fais plein de fautes d'accord !
   — Sérieux ?!
   — Oui, tu ne te relis pas ?!
   — Mais si, c'est juste que le français c'est trop compliqué, je comprends jamais les accords... Je suis étranger donc en soit c'est moins grave si je fais des fautes, tenta Nikolaï.
   — Si c'est grave, tu es en master Nikolaï, les fautes comme ça c'est intolérable ! Certes tu es étranger, mais ce n'est pas une excuse. Que tu sois étranger, dislexique ou peu importe, les fautes que tu fais ne sont pas excusables, parce que tu as des outils pour te corriger, tu as forcément des dictionnaires chez toi, des grammaires, et puis il existe des tas de logiciels pour te corriger. Et puis là tu avais le temps de te corriger, c'était un devoir maison.
   — Mais j'aime pas me corriger, c'est ennuyant, soupira Nikolaï en laissant tomber sa tête sur l'épaule de Fyodor. Je regarde tout le temps le TLF* et mes conjugaisons, mais des fois je fais pas attention et je marque n'importe quoi...
   — Ça va te pénaliser si tu ne prends pas le temps de te relire, en études comme dans la vie. Les fautes que tu fais te retirent automatiquement deux points.
   — Quoi ?! Deux points ?! Mais les autres profs retirent pas autant pour les ERASMUS !
   — Moi je le fais, seulement pour les travaux à la maison. Nikolaï tu es en lettres, tu dois savoir écrire.
   — ... Mais tu veux pas faire une exception pour moi, tenta Nikolaï.
   — Non.
   — Même pas en échange d'une pipe ?
   — Non, s'exclama Fyodor en repoussant sa tête, alors que ses joues devenaient rouges.
   — C'est bon je rigole, dit Nikolaï en riant.
   — Ça sert à rien d'essayer de l'amadouer, intervint Dazai d'un ton désinvolte. Tu peux le sucer autant que tu veux, il a pas de cœur donc il se gênera pas pour te mettre des cinq à tes exams.
   — Je ne lui mettrais pas de cinq, il aura probablement dix-sept sur vingt, se défendit Fyodor.
   — Ça c'est ce que tu dis maintenant, mais quand tu liras sa copie, au bout de trois pages t'en auras marre de ses fautes et tu lui retiras un point par faute !
   — N'importe quoi.
   — Je trouve que tu parles vraiment bien pour un étranger, fit remarquer Dazai. Sigma aussi, vous parlez très bien tous les deux. Vous venez vraiment de Russie ?
   — Je me suis toujours bien débrouillé en français, et puis au bout de quatre ans ici on finit par se faire au français, dit Nikolaï en haussant les sourcils.
   — Oui, mais je trouve qu'on entend encore trop mon accent et ça me dérange, dit Sigma. J'aime pas mon accent...
   — Pourquoi ?
   — C'est embarrassant. À chaque fois que quelqu'un l'entend il me demande si je suis russe, et quand je dis que oui, on me regarde comme si j'allais déclencher une guerre ici.
   — Les français sont racistes, enfin les vieux surtout, dit Fyodor. Moi aussi ils me regardent comme ça. Il ne faut pas y faire attention, ni avoir honte de ses origines. Et l'accent russe est très joli à entendre.
   — Oui mais bon... Le votre n'est pas très marqué, j'aimerais bien que mon accent s'efface aussi...
   — Attendez, mais vous êtes tous les trois russes, demanda Chûya. Pourquoi vous vous parlez en français ?
   — C'est vrai ça, dit Sigma.
   — Ben Sigma je lui parle dans les deux langues, mais Fyodor je l'ai rencontré en lui parlant en français, et on s'est toujours parlé dans cette langue, donc... Je sais pas. C'est vrai qu'on pourrait se parler en russe, dit Nikolaï en tournant la tête vers Fyodor.
   — Oui c'est vrai. Tu peux me parler dans la langue que tu veux, mais j'aime bien t'entendre parler français, avoua Fyodor.
   — Vraiment ?
   — Oui, j'aime bien ton accent, expliqua Fyodor avec un sourire.
   — Moi aussi j'aime le tien, il est doux !
   — Oh pitié, arrêtez de flirter devant nous, supplia Dazai en prenant un air dégoûté.
   — Oui, épargnez-nous ça, ajouta Sigma.
   — Je suis d'accord, et Nikolaï je te surveille, dit Chûya en le fixant.
   — Chûya, tu n'as pas besoin de le surveiller, dit Fyodor.
   — Bien sûr que si. Vous allez passer le week-end ensemble, je dois m'assurer que c'est une personne de confiance, et qu'il ne te fera rien.
   — Je lui ferai quelque chose, mais ça sera rien de mal, dit Nikolaï avec un sourire entendu.
   — Est-ce que vous pouvez ne pas parler de ça ? C'est super gênant, dit Sigma avec une grimace.
   — Ok, on dit plus rien. On se garde pour ce week-end, dit Nikolaï en reposant sa tête sur l'épaule de Fyodor. Je dirai rien sur ce que je te réserve.
   — Tu n'as pas peur d'être déçu, demanda Fyodor dans un murmure.
   Nikolaï sourit et releva les yeux vers lui.
   — Avec toi je sais que je serai jamais déçu.

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* TLF : Trésor de la Langue Française, dictionnaire de référence pour les personnes dans le domaine des lettres en France.

La tête en l'air que je suis a oublié de vous expliquer quelque chose au propos de Fyodor hier 🤡. Il se fait connaître avec son premier roman Les Pauvres Gens, auquel Nikolaï a déjà fait référence dans l'histoire. Ce roman a beaucoup de succès car il dépeint la misère sociale de l'époque. Ensuite, il écrit Le Double, mais il n'obtient pas le succès attendu, et se fait violemment critiqué par de nombreuses personnes. Les sentiments qu'il éprouve dans le dernier chapitre sont donc créés sur une base réelle.
La qualification de « littérature d'hôpital » pour son roman est aussi réelle, elle vient de Biélinski, critique littéraire de l'époque. Il faut savoir que Biélinski a beaucoup (vraiment beaucoup) critiqué Fyodor dans sa vie. Pour Le Double, il lui reprochait d'avoir fait une histoire trop psychologique et incohérente (en vrai c'est juste que Fyodor était en avance sur son temps). Pour ses autres histoires, globalement il a dit que c'était de pire en pire et que ça en valait pas la peine. Baxtin, un autre critique, reprochait aussi à Fyodor d'avoir fait des « discours qui se perdent en gestes illocutoires sans jamais former un énoncé constatif précis et cohérent ; il en résulte un jeu de langage purement formel, privé de sens référentiel. ». Cette critique vient du fait qu'il n'ait pas pris en compte le fantastique de l'histoire, ni les événements narratifs et la folie du personnage.

Funfact : Biélinski a écrit une lettre à Nikolaï pour se plaindre de Fyodor et de ses opinions politiques, et c'est ce qui a envoyé Fyodor au bagne et lui a fait frôlé la mort.

Ensuite ! Pour éviter toutes incohérences ou ambiguïté, je dois préciser quelque chose. Dans ses premières œuvres, Fyodor s'est énormément inspiré du style de Nikolaï et de sa propre personnalité, il a une place importante dans ses histoires. Ici, il ne l'a connu qu'après avoir publié ses premières histoires, il ne s'est donc pas encore inspiré de lui.

J'espère que le chapitre vous a plu, et que l'intrigue vous plaît globalement ! On verra bientôt de nouveaux personnages apparaître 👀

À demain 🦦

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant