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LES CHRONIQUES DE YOKOHAMA

L'Achillée

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   — Tetchô, pourriez-vous me rendre un service ?
   — Bien sûr, que dois-je faire ?
   — Pourriez-vous mettre cela ?
   Akiko leva une longue robe en soie, et regarda avec amusement la bouche de son époux s'ouvrir. Il s'agissait d'une robe réservée aux femmes, elle portait un décolleté brodé en dentelle, de fines bretelles, et le tissu devenait transparent au bas de la robe. Il s'agissait d'une nouveau modèle de création d'Akiko, la robe était encore loin d'être finie, mais elle avançait bien et elle serait bientôt prête à offrir. Mais pour cela, Akiko devait faire des ajustements et ajouter des perles, ce qui nécessitait qu'un mannequin porte sa robe. Et par chance, son époux était à la maison aujourd'hui, alors autant en profiter !
   Akiko ne loupait jamais une occasion de l'embêter. Elle s'approcha joyeusement de Tetchô, qui était assis sur le plancher du salon. Il ne portait pas de haut, il n'en portait jamais lorsqu'il faisait quelque chose de physique, et était occupé à polir la lame de l'un de ses sabres.
   — Je ne suis pas sûr de pouvoir porter cela, dit Tetchô en regardant sa robe.
— Ne vous en faite pas, cette robe vous ira comme un gant !
— Je n'ai pas les proportions d'une femme et puis je-
— Cela n'est pas nécessaire, j'ai simplement besoin d'un mannequin pour que cette magnifique création ne tombe pas au sol, coupa Akiko avec enthousiasme. S'il vous plaît, si vous acceptez, j'accepte d'organiser un dîner avec les Saigiku.
— Cela vous rendrez davantage service, Kôyô est votre meilleure amie.
— Mais vous aimez beaucoup son mari !
— Je ne...
— Ne me mentez pas, je sais très bien que vous êtes très proche de Jôno. Enfilez cette robe et je vous organise un petit tête à tête.
— ... Je la mets mais seulement pour vous venir en aide, finit par dire Tetchô en prenant sa robe.
Évidemment, cela n'avait aucun rapport avec Jôno. Pourquoi cela en aurait un ? Tetchô n'aimait pas du tout Jonô !
Tetchô se leva et saisit sa robe, avant de l'enfiler maladroitement. Il la fit passer par la tête et la robe tomba gracieusement autour de lui, enveloppant son corps d'un voile de jade. La manière dont il se tenait ne devrait pas mettre en avant la robe, mais celle-ci restait tout aussi belle, et Akiko ravie de voir que sa robe était belle même sur Tetchô.
— Vous êtes ravissant, dit-elle d'un air taquin, avant de s'agenouiller devant lui pour saisir le bord de sa robe.
   — Si quelqu'un me voit ainsi je perdrais toute ma dignité, dit Tetchô en parcourant le salon des yeux.
   — Cela ne durera pas longtemps, je dois seulement coudre de la dentelle.
   — Pour qui est cette robe ?
   — Elle est pour Margaret, je lui ai promis de lui faire un trousseau pour sa lune de miel. Qu'en pensez-vous ?
   — Je ne connais pas vraiment la mode féminine... Mais je la trouve belle. N'est-elle pas osée ?
   — Elle l'est, on me brûlerait sur la place publique si de mauvaises personnes trouvaient mes robes.
   — Vous ne vous ferez pas brûler, dit Tetchô en souriant. Cela ne se fait plus.
   — Vraiment ?! Pourquoi le roi dit toujours qu'il va brûler ceux qui l'agaçent dans ce cas, demanda Akiko avec surprise.
   — C'est une façon de parler, mais il n'a plus le droit de faire brûler des personnes.
   — Oh...
   — Cela se fait par décapitation.
   — Pardon, s'exclama Akiko en relevant vivement.
   — Ici pour exécuter quelqu'un, on lui coupe la tête, expliqua Tetchô. Cela va plus vite qu'un bûcher.
   — Cela est répugnant. Les femmes qui cousent de la lingerie sont-elles décapitées ?!
   — Oh non, la Princesse Gin ne laisserait jamais cela arriver. Vous vous entendez bien avec elle, il ne peut rien vous arriver. Et cela n'est pas un crime suffisamment important pour se faire décapité, dit Tetchô d'une voix pensive.
   — Dans mon pays, cela est suffisant. Que faut-il faire pour être décapité dans ce cas ?
   — Un meurtre, ou bien s'en prendre à la royauté, je suppose. Mais ne vous inquiétez pas, il ne vous arrivera rien ici, vous êtes amie avec la princesse. À ce propos, ne deviez-vous pas lui rendre visite aujourd'hui ?
   — Si, je lui apporterai les robes que je lui ai cousues cette après-midi.
   — Votre commerçant semble marcher de mieux en mieux, constata Tetchô.
   — Vous doutiez de moi ?
— Je pensais que vous auriez plus de difficulté à chercher des clientes, tout le monde n'accepte pas de porter de telles toilettes. Et je ne pensais pas que vous vous attaqueriez à la princesse en premier.
— Plus notre cible est grande, plus notre renommée sera importante. La princesse m'a beaucoup plu, c'est une belle femme et je n'y suis pas indifférente. Je n'ai pas peur de chercher des clientes chez les grandes familles, déclara Akiko d'un air serein.
— Je suis fier de voir que vous vous donnez les moyens de réussir, dit alors Tetchô. Je suis heureux pour vous.
Akiko finit de coudre la dentelle sur la robe, et se releva en enroulant son fil autour de sa bobine.
— Merci de ne pas vous mêler de mon commerce. J'avais peur que vous nuisiez à mes libertés, mais je suis rassurée de voir que cela vous importe peu.
   — J'ai appris à ne jamais me mêler des affaires des autres, et j'apprécie le fait que vous braviez les règles pour votre passion. Qui suis-je pour nuire à une affaire si fleurissante ?
   — Merci Tetchô, dit Akiko avec un sourire. Vous pouvez retirer la robe.
   Tetchô la retira aussitôt avec soulagement, et la rendit à Akiko en la pliant soigneusement.
   — Ne parlez de cela à personne, ordonna-t-il avec gêne. Surtout pas à votre amie Kôyô.
   — Je suis certaine que Jôno vous trouverez ravissant dans une robe, répliqua Akiko en riant. Il pourrait toucher votre corps et imaginer votre robe.
   — Cessez de vous moquer de moi ! Je ne porterai plus jamais cela, et Jôno ne m'imaginera jamais ainsi !
   — C'est cela. À présent je vais vous laisser, je dois aller voir la princesse.
   — Allez-vous passer la soirée au palais ?
   — Pourquoi le ferais-je ?
   — La princesse semble vous apprécier, alors je ne serais pas étonné d'apprendre un nouveau rapprochement entre vous, répondit Tetchô d'un entendu.
   — Je ne vois pas du tout de quoi vous parlez !

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant