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DERRIÈRE LA PLUME D'UN GÉNIE


Critique littéraire

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   — Tu sais il est grand, il peut se débrouiller seul. Il a ses clés, son téléphone et de l'argent en plus.
   — Peut-être qu'il se balade, il reviendra quand il se sentira mieux. Il est comme ça, tu dois pas t'inquiéter pour lui.
   — Oui mais là je l'ai blessé, et j'ai peur que... Qu'il... Je sais pas...
   — Tu lui as juste dit de faire attention, ça va, je pense pas qu'il va aller se jeter sous un pont pour ça, dit Gin avec calme.
   — Je suis sûr qu'il va rentrer, ajouta Poe d'un air rassurant.
   Il posa sa main sur l'épaule de Chûya pour le rassurer, et Chûya hocha lentement la tête. Il avait du mal à les croire...
   Cela faisait plus d'une heure qu'il était rentré chez lui, et Fyodor n'était toujours pas revenu. Il avait quitté le bar hier sans rien dire, et il avait passé la nuit chez Nikolaï. Et depuis plus rien. Il ne répondait pas à ses messages, il avait même désactivé sa localisation pour ne pas être retrouvé. Bien sûr, Chuya connaissait son emploi du temps, alors il savait que le mardi il passait sa journée dans le XVIIe... Mais savoir que Fyodor avait coupé contact avec lui l'inquiétait, surtout qu'il avait passé la nuit avec Nikolaï... Il ne faisait jamais cela...
   Il lui arrivait d'avoir besoin de réfléchir, de partir se balader seul pour respirer, de rester un long moment dehors, et de rentrer tard. Mais il laissait toujours sa localisation activée, pour que Chûya puisse le retrouver en cas de problème. Mais là, il l'avait retirée, il avait dormi chez un autre, peut-être même avec lui, et Chûya n'avait aucune idée de quand il rentrerait. Si Fyodor avait retiré sa localisation et s'il ne lui envoyait pas de message, c'était parce qu'il ne voulait pas le voir, ce qui voulait dire qu'il l'avait vraiment blessé. Et s'il ne rentrait pas ? Et s'il ne voulait plus jamais le voir ? Et s'il ne voulait plus être son ami ? Sa journée devait être finie à présent, alors pourquoi ne rentrait-il pas ? Et s'il faisait quelque chose de grave ?!
   Non. Non, c'était impossible. Fyodor n'était pas très stable, mais il n'était pas suicidaire pour autant, et il ne se faisait pas de mal. Enfin, pas à ce point... Alors peut-être qui lui était arrivé quelque chose ? Peut-être qu'il n'avait plus de batterie, ou peut-être que quelqu'un l'avait agressé ? Les rues de Paris n'étaient pas toujours très sûres le soir, tout pouvait arriver... Ou alors Nikolaï l'empêchait de rentrer et le forçait à retourner chez lui ? Paniqué à l'idée qu'il fasse du mal à son meilleur ami, Chûya leva sa main et se mit à se ronger les ongles, sous le regard inquiet de ses amis.
   Il était assis sur son canapé, ses jambes croisées en tailleur, un coussin serré contre lui. Ryûnosuke et Poe l'entouraient, et Gin se tenait debout devant lui. Ryûnosuke était en dans la même université que lui, mais Chûya le connaissait depuis sa plus tendre enfance, et il le considérait comme son petit frère. Gin était la sœur de Ryûnosuke, alors Chûya l'avait aussi adoptée dans sa famille. En réalité, ils étaient tous comme une famille, car Poe veillait sur Fyodor, Fyodor veillait sur Chûya, et Chûya veillait sur Gin et Ryûnosuke. Ils étaient comme une grande fratrie. Chûya les avait appelés en voyant que Fyodor ne rentrait pas, et cela faisait un peu plus d'une demi-heure qu'ils étaient là, à essayer de le rassurer. Ils n'arrêtaient pas de lui répéter que tout allait bien, que Fyodor allait rentrer, et qu'il ne lui était rien arrivé mais... Chûya ne pouvait pas arrêter d'angoisser.
   Il connaissait son meilleur ami, et il savait qu'il avait besoin de lui. Fyodor se renfermait toujours sur lui-même, il enfouissait tout au fond de lui, il se taisait, et lorsqu'il craquait, il pleurait en silence, avant de faire comme si de rien était. Il ne devait pas rester seul dans ce genre de moment, il avait besoin de quelqu'un pour parler. Et Chûya l'avait blessé, il savait qu'il avait été trop loin en lui parlant de ses anciens petits amis, et il devait s'excuser. Fyodor n'aimait pas parler de ses anciennes relations, ce qui était compréhensible, puisqu'elles l'avaient toutes blessé. Il avait dû se sentir mal à cause de Chûya, déjà qu'il avait du mal à assumer de suivre une thérapie...
   — Chûya, tu t'inquiètes pour rien, dit Ryûnosuke en l'empêchant de se ronger les ongles. Les disputes ça arrive, vous allez vous réconcilier.
   — Oui mais je lui ai donné l'impression qu'il était faible, et qu'il faisait toujours les mauvais choix. Je voulais juste le protéger, et j'ai juste été méchant...
   — C'est pas grave, je suis sûr qu'il t'en veut pas.
   — Il est peut-être allé chez Dazai pour décompresser, suggéra Poe. Ils dépriment souvent ensemble.
   — Non, je lui ai déjà demandé et il m'a dit que Fyodor n'était pas passé... Et c'est mieux comme ça, quand ils sont ensemble, ils passent leur soirée à boire et à déprimer...
   Une sonnerie de téléphone retentit, et Chûya s'interrompit. Il se leva d'un bond et se rua sur le téléphone de la maison pour décrocher, en priant pour qu'il s'agisse de Fyodor.
   — Allô ?!
   — Hum, bonsoir ? Excusez-moi, suis-je bien chez Fyodor Dostoyevsky, demanda un homme avec un fort accent russe.
   — Oui ? Qui êtes-vous ?
   — Désolé, je suis Mikhail, son frère le plus grand ? Je ne parle pas très bien français, désolé.
   Les épaules de Chûya s'affaissèrent et il se laissa tomber contre un mur. Maintenant il reconnaissait la voix de Mikhaïl. C'était le frère aîné de Fyodor, celui dont il était le plus proche. Chûya l'avait déjà entendu, il l'avait même déjà croisé, car Mikhaïl venait souvent voir Fyodor lorsqu'il avait des vacances.
   — Bonsoir Mikhaïl. Oui... C'est Chûya, je ne sais pas si vous vous souvenez de moi, dit Chûya d'un air dépité.
   — Oh oui, tu es son colocataire. Désolé pour appeler aussi tard, mais Fyodor ne me répond pas alors je demandais si il était à la maison ?
   — Non, il... Il n'est pas encore rentré. Tout va bien ?
   — Oui, oui. J'appelais pour prendre ses nouvelles, ça fait longtemps qu'on ne s'est pas appelé. J'ai pris les jours de congé, et je terminais de lire son livre, alors je me pensais que c'était un bon moment pour l'appeler.
   — Il a sorti un nouveau livre, demanda Chûya avec surprise. Il me l'a pas dit...
   — Ah non, c'est celui de l'an dernier, Dvoïnik, hum... Je crois qu'en français c'est Double ? Je ne suis pas très avancé en français et il me l'a traduit en russe pour que je peux le lire, alors je suis un peu en retard sur les français, expliqua son grand frère.
   — Oh oui, je vois. Vous avez aimé ?
   — Oui je trouvais ça très bien, même si je n'ai pas tout compris, dit son frère avec un petit rire. En tout cas c'est bien écrit et c'est très intelligent, alors je suis fier de lui et j'espère que son livre est bien en France.
   — Il n'a pas beaucoup plu en fait, annonça Chûya avec déception. Il faisait trop psychologique et ça n'a pas marché, Fyodor l'a très mal vécu. Il est un peu perdu en ce moment à cause de ça...
   — Oh pourtant c'est un très bon livre il me semble et je pense que c'est très original. Il ne me dit pas ça, je pensais que son livre marchait...
   — Il n'a pas dû vouloir vous inquiéter. Maintenant il essaye de travailler sur une nouvelle histoire mais il ne croit plus trop en lui.
   — Je vois. Je pense venir en Paris bientôt, je pourrais le voir et parler avec lui, et ça fait longtemps qu'on ne s'était plus vu parce qu'il est resté là pour Noël, et il ne répond pas toujours à mes appels, alors on a beaucoup de choses à se dire.
   Chûya fronça les sourcils en écoutant Mikhaïl. Fyodor était resté ici à Noël ? Mais non, il était rentré chez lui. Il lui avait dit qu'il retournait en Russie pour fêter Noël avec sa famille. Chûya était aussi rentré chez ses parents pour la fin d'année, alors il n'avait plus vu Fyodor pendant les vacances, mais il pensait qu'il était parti dans son pays. Mais Mikhaïl ne l'avait pas vu... Fyodor lui avait menti ? Il était resté à Paris ? Mais pour quelles raisons ?
   — Vous n'avez pas fêté Noël ensemble, demanda Chûya sans comprendre.
   — Non parce que il avait trop de travail, alors il restait à Paris. Il n'était pas avec toi ? Je pensais que vous fêtez Noël ensemble ?
   — Je... Si. Si, on était ensemble, mentit Chûya. C'est vrai qu'il voulait travailler alors... On est pas beaucoup sorti.
   — Oui je comprends. J'espère en tout cas qu'il ne travaille pas trop, je le connais, et je sais qu'il ne s'arrête jamais.
   — Non, j'essaye de l'obliger à faire des pauses...
   — Bien, bien. Bon et bien il me semble que je vais te laisser, je rappelle demain ou peut-être plus tard pour Fyodor, finit par dire Mikhaïl.
   — Très bien. Je lui dirai que vous avez appelé.
   — Merci, bonne soirée, et à une prochaine fois peut-être.
   — Bonne soirée.
   Mikhaïl raccrocha, et Chûya resta un moment immobile, le combiné du téléphone toujours près de son oreille. Il mit du temps avant de revenir à la réalité, et de reposer le téléphone. Il resta adossé contre le mur, le regard perdu dans le vide, sans savoir quoi faire.  Fyodor n'avait pas passé Noël avec sa famille, et il semblait ne pas avoir donné de nouvelles à son grand-frère depuis un bon moment, alors qu'en temps normal, il l'appelait régulièrement. Comment se faisait-il que Chûya ne soit pas au courant ?
   Son meilleur ami ne lui faisait-il pas confiance ? Certes, Chûya pouvait parfois décevoir Fyodor, mais il était un bon ami, il prenait soin de lui, il l'aidait, il le consolait... Il pensait que Fyodor lui faisait confiance pour tout lui raconter... Peut-être que Fyodor n'avait pas eu assez confiance en lui pour lui dire qu'il restait à Paris pendant les vacances. Peut-être qu'il ne se sentait pas assez proche de lui pour lui parler de cela... En avait-il parlé à Nikolaï à la place de Chûya... ?
   Des larmes envahirent les yeux de Chûya, et sa gorge se serra douloureusement. Il considérait Fyodor comme la personne la plus proche de lui, il l'aimait vraiment, il tenait à lui et... Et... S'était-il imaginé des choses sur leur relation ? Ou bien, avait-il trop déçu Fyodor, ce qui l'avait poussé à ne pas lui parler de sa famille ? Avait-il fait quelque chose de mal ?
   — Est-ce que tout va bien, demanda Poe, en voyant que Chûya ne bougeait plus.
   — C'était qui au téléphone, demanda Gin.
   — Le grand frère de Fyodor... Il m'a dit que ça faisait un moment qu'il n'avait plus de nouvelles de lui, et qu'il n'était pas venu en Russie pour les vacances... Fyodor m'a dit qu'il y allait, dit Chûya d'une voix serrée.
   — Oh... Il a peut-être changé d'avis au dernier moment ?
   — Quand je suis rentré de chez mes parents, je lui ai demandé comment se sont passées ses vacances, et il m'a dit que tout s'était bien passé, et que sa famille allait bien. Mais il ne l'a pas vue... Il m'a menti...
   — Il s'est peut-être passé quelque chose qu'il n'a pas voulu dire, tenta Poe en se levant.
   Chûya lui jeta un regard perdu, avant de soudain se redresser. Il fit volte-face et s'empressa de partir dans la chambre de Fyodor, sans faire attention à ses amis. Il y arriva rapidement, et s'arrêta un instant sur le seuil de la porte pour balayer la pièce du regard. Sa chambre était un peu plus grande que la sienne, elle était parfaitement rangée, comme d'habitude, et elle était plongée dans le noir. Chûya alluma la lumière, il s'approcha de son bureau, et s'assit sur sa chaise. Il ouvrit un tiroir et trouva rapidement dedans une petite boîte de bois, qu'il se dépêcha d'ouvrir. Il renfermait de nombreuses lettres, ainsi que plusieurs cartes postales venant de Russie.
   La dernière lettre, celle qui était posée au-dessus des autres, datait de Noël dernier. Chûya hésita un instant, puis il la déplia, et la traduisit rapidement à l'aide de son téléphone.

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant