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SUR LES PAS DES ANGES

Les mots de trop

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   — Tu comptes vraiment dormir avec tes bandages, questionna Chûya en regardant Dazai se glisser sous la couverture, près de lui.
   — Bien sûr ! Ils sont propres tu sais !
   — Tu ne les retires vraiment jamais ?
   — Si, quand je me douche !
   Chûya ne répondit rien. Il connaissait Dazai depuis des années, depuis qu'ils avaient quinze ans même. Il le connaissait par cœur. Il pourrait reconnaître sa voix dans un chœur, il pourrait reconnaître son regard même si une centaine de paires d'yeux étaient rivés sur lui, il pourrait le reconnaître, marchant à travers une foule, rien qu'au son de ces pas. Il pourrait le reconnaître au son de sa respiration, à son souffle qui sifflait entre ses lèvres légèrement ouvertes, et à sa manière d'expirer, lentement, doucement.
   Il le connaissait si bien qu'il pouvait parler avec lui sans échanger un mot, un simple regard traduisait leurs pensées, et un simple sourire leur suffisait pour se comprendre. Chûya pourrait dépeindre chaque trait de Dazai, le dessiner sans modèle et n'omettre aucun détail. Et pourtant, il était bien incapable de dire pourquoi Dazai portait constamment ces bandages.
   Au départ, lorsqu'ils étaient bien plus jeunes, Chûya pensait qu'il les portait pour se donner un style, qu'il le faisait seulement pour attirer l'attention. Après tout, que pouvait-il bien vouloir cacher à quinze ans ? Mais plus ils avaient grandi, et plus Chûya avait fini par se dire qu'il fallait vraiment être stupide pour faire cela. Si Dazai portait des bandages, c'était qu'il cachait quelque chose. Mais quoi ? Des cicatrices ? C'était le plus évident, mais cela faisait au moins sept ans que Dazai portait ces bandages, pouvait-il vraiment avoir honte à ce point ? Chûya avait du mal à le concevoir, après tout une cicatrice n'avait rien d'effrayant, pourquoi les cacher si elles n'étaient plus fragiles ?
   Ou bien Dazai était un mutan et sa peau était couverte d'écailles, ce qui l'obligeait à la cacher. Chûya n'avait pas d'autres explications.
   — Je peux voir tes bras, demanda alors le jeune homme.
   Dazai lui tendit son bras, à sa grande surprise, et Chûya le saisit. Il ne pensait pas que Dazai accepterait aussi facilement. Chûya inspecta les bandages blancs qui couvraient son bras, et les effleura du bout des doigts. Il ne sentait aucune écaille cachée sous le coton, Dazai n'était probablement pas un mutan. Chûya glissa doucement son doigt sous l'un des bandages, et Dazai le laissa faire. Sa peau était douce, moite, et lisse. Là où son doigt était posé, il n'y avait aucune cicatrice non plus. Chûya souleva alors le bandage avec curiosité, mais Dazai retira vivement son bras et remit ses bandages en place, en jetant un coup d'œil à Atsushi et Akutagawa.
   Ils n'avaient pas l'air d'avoir fait attention à eux, et encore moins d'être intéressé par les bandages de Dazai. Eux aussi s'étaient installés dans leur lit, Atsushi était occupé à lire une carte de la ville, sûrement pour préparer leur mission de demain. Et Akutagawa était à ses côtés, il le regardait faire en silence, sa tête semblait même posée sur son épaule.
   — Ils ne font pas attention, tu peux-
   — Nous aussi on devrait se préparer pour demain, coupa Dazai d'un ton léger. On doit inspecter toute la ville, il va falloir qu'on se sépare.
   — Si on part chacun de notre côté ça risque d'être dangereux pour nous, et puis il ne faut pas qu'on se disperse trop, dit Chûya.
   — On pourrait faire des groupes de deux ! Les petits vous en pensez quoi ?!
Akutagawa et Atsushi s'écartèrent aussitôt l'un de l'autre alors que Dazai se tournait vers eux, et firent comme si de rien était.
   — O-Oh euh... Oui, avec Akutagawa on s'était dit qu'on pourrait inspecter le nord de la ville, dit Atsushi d'un air embrassé.
   — Qu'est-ce qu'il y a d'intéressant dans le Nord ?
   — Il y a plusieurs cafés à thème, et il y en a un qui passe des musiques classiques. Ça pourrait attirer Fyodor, dit Akutagawa.
   — Oui, il pourrait très bien passer par ce genre d'endroit.
   — Je pense que ça vaut le coup d'y passer. Et au Sud il y a des casinos alors c'est toujours intéressant d'aller y jeter un coup d'œil. Peut-être que vous pourriez y aller tous les deux ? Je pense que vous serez plus à l'aise dans ce genre d'endroit, non, dit Atsushi d'un air pensif.
   — Tu as raison, Chuchu et moi on va y aller !
   — Je m'appelle Chûya.
   — Donc tu veux faire équipe avec Akutagawa, poursuivit Dazai en ignorant Chûya.
   — Oui, enfin c'est... C'est mieux non ?
   — Vos pouvoirs s'accordent mieux ensemble, ajouta Akutagawa.
   — C'est vrai, on est fait pour être ensemble !
   — C'est pas ce qu'il a dit, dit remarquer Chûya.
   — Si, tu n'as juste pas compris ! Tu vois, ils veulent faire équipe ensemble, ajouta Dazai d'une voix plus basse, en lançant un regard entendu à Chûya.
   Chûya haussa les sourcils et secoua la tête. Ça ne voulait rien dire du tout, et puis c'était normal qu'ils veuillent faire équipe ensemble, ils avaient l'habitude. Ce n'était pas du tout un signe qu'ils s'aimaient, n'importe quoi.
   — Bon, on peut se coucher alors, bonne nuit les petits, dit Dazai en faisant un clin d'œil à Chûya.
   Ne le tue pas. C'est ton partenaire, ne le tue pas. Ne le tue pas, ne le tue pas, ne le tue pas.
   Chûya se répéta cette phrase en boucle pour retenir la violente envie de meurtre qui le prenait, et s'allongea silencieusement dans son lit. Dazai éteignit la lumière de la chambre évidemment, il fit exprès de se pencher au-dessus de Chûya pour tirer les rideaux devant la fenêtre, qui était de son côté, avant de s'allonger à son tour. Et bien sûr, il se colla à lui. Si dans trois secondes, il était encore collé à lui, Chûya n'allait pas hésiter à lui couper la tête. Comment, il ne le savait pas encore, mais il allait vraiment le faire.
   Mais heureusement pour lui, Dazai finit par se tourner sur le côté, se mettant dos à Chûya. Parfait ! Il allait enfin pouvoir s'endormir en paix. Chûya l'imita et se tourna vers la fenêtre, soulagé que Dazai ne l'embête pas plus longtemps. Il ferma les yeux et essaya de s'endormir, mais la fatigue qu'il ressentait n'était pas assez forte pour qu'il puisse s'endormir. Il n'arrivait pas à se détendre, son esprit continuait de tourner en boucle, et savoir que Dazai était dans le même lit que lui le perturbait.
   Il n'avait jamais dormi avec quelqu'un, il trouvait ça un peu étrange de partager son lit, surtout quand ce quelqu'un en question était la personne qu'il supportait le moins au monde. Dormir avec un autre impliquait une certaine intimité, c'était assez embarrassant de le faire avec Dazai... D'un autre côté, Chûya ne voyait que lui pour dormir à ses côtés. Il pouvait accepter Dazai dans son lit, même si ça l'énervait, mais il n'aurait pas pu accepter quelqu'un d'autre. Peut-être parce que Dazai n'était pas n'importe qui.
   Après tout, il était le seul à qui Chûya confiait sa vie sans hésiter. Il lui faisait aveuglément confiance malgré tout, et il était plus proche de Dazai que de n'importe qui, même si c'était difficile à avouer...
   Au bout d'un moment, Chûya sentit Dazai remuer près de lui, et une main tapota son épaule. Il se tourna alors et se retrouva nez à nez avec Dazai, qui arborait un sourire plein de malice.
   — Quoi ?
   — Regarde les petits, murmura-t-il avec excitation.
   — Les petits ?
   — Oui !
   Les petits étaient probablement Atsushi et Akutagawa, puisqu'ils étaient les plus jeunes ici. Chûya se releva alors discrètement sur un coude, mais Atsushi, qui était le plus proche d'eux, était tourné de dos, et Akutagawa était caché derrière lui. Chûya dut alors se redresser davantage, il se pencha au-dessus de Dazai, et observa les « petits », avant d'écarquiller les yeux. Il rêvait, ce n'était pas possible !
   Akutagawa était tourné vers l'entrée, endormi, et Atsushi l'enlaçait ?! Il avait passé son bras sous la tête d'Akutagawa, avant de le replier autour de ses épaules, et son autre bras était passé autour de son torse. Et ils se tenaient la main ?! Et Atsushi caressait l'épaule d'Akutagawa ?! Et il embrassait son cou ?! Non. C'était impossible, Chûya rêvait. Ils dormaient l'un contre l'autre, ça ne pouvait pas être vrai !
   — Tu vois ils sont amoureux, murmura Dazai d'un air supérieur.
   — Mais comment c'est possible ?!
   — Je sais pas, mais j'avais raison !
— Mais... J'arrive pas à y croire...
— Baisse-toi, fais comme si tu dormais, chuchota Dazai en poussant Chûya en arrière.
Chûya se laissa faire et se rallongea, disparaissant derrière le corps de Dazai. Atsushi et Akutagawa... Ensemble... Ça n'avait aucun sens ! Depuis quand étaient-ils aussi proches ?! Depuis quand Akutagawa pouvait aimer quelqu'un, excepté Dazai ?! Akutagawa ne supportait pas les gens en général, et il avait trouvé quelqu'un avant Chûya ?! C'était plus que de l'injustice là !
— Ils ont été ensorcelés, dit-il en secouant la tête.
— N'importe quoi. J'étais sûr qu'il était fait l'un pour l'autre en plus, c'est moi qui ait tout fait pour les rapprocher !
— T'es grave. Akutagawa est trop fragile pour avoir une relation, et ça c'est de ta faute.
— Mais non, et Atsushi prendra soin de lui ! En plus t'entends ? Il ronronne ! C'est parce qu'il câline son chéri.
Chûya tendit l'oreille. En effet, un léger ronronnement s'élevait dans la pièce. Il ne savait pas qu'Atsushi pouvait faire ça, mais ça venait sûrement de son pouvoir. Et câliner Akutagawa le faisait ronronner... C'était adorable, et à la fois vraiment frustrant, Chûya n'était pas prêt pour ça ! Akutagawa était comme son petit frère, il n'était pas prêt à le voir partir avec quelqu'un, il était trop jeune pour ça ! Et il ne pouvait pas trouver quelqu'un avant lui !
— C'est vraiment la honte pour nous, murmura-t-il avec dépit. Les petits sont en couple et nous on est aussi seul que le squelette de l'ancien chef de la mafia...
— Si tu veux on peut se mettre ensemble, proposa Dazai en reprochant de lui.
— Reste loin de moi, dit sèchement Chûya.
— T'es pas drôle Chuchu.
— Je m'appelle Chûya.
— Tu penses qu'ils l'ont déjà fait, demanda curieusement Dazai en l'ignorant.
— De quoi ?
— Coucher ensemble !
— Jamais, ça va pas ! Akutagawa le laisse le toucher, c'est déjà bien. Et puis tu vois vraiment Atsushi faire ça ?
— Il a l'air trop pur pour faire ça, mais d'un autre côté, il a dix-huit ans et à cet âge les hormones sont en feu !
— Parce que tes hormones étaient en feu à dix-huit ans, répliqua Chûya d'un ton moqueur.
— Pas toi, renchérit Dazai avec surprise.
Chûya se redressa vivement et dévisagea son partenaire sans comprendre.
— T'as couché avec qui, s'exclama-t-il à voix haute.
Dazai le tira aussitôt vers lui et plaqua sa main sur sa bouche pour le faire taire, avant de se tourner et de vérifier que les petits n'avaient rien entendu. Mais ils restèrent parfaitement endormi, seul Akutagawa poussa un grognement dans son sommeil, avant de se retourner pour se blottir contre Atsushi.
— Chuchu fais pas de bruit enfin !
— T'as couché avec qui, répéta Chûya d'un ton irrité. Kunikida ? Yosano ? Ranpo ?!
— Avec des femmes merveilleuses, dit Dazai d'un air rêveur. Le problème c'est qu'aucune d'elles n'a voulu se suicider avec moi, mais au lit elles étaient incroyables !
   — Ah...
   — Me dis pas que t'es vierge, s'exclama Dazai avec excitation.
   — Si.
   — Si tu veux je peux changer ça !
   — Non merci, dit Chûya en s'écartant de Dazai.
   — T'es vexé ?!
   — Non, je pensais juste que tu me l'aurais dit plus tôt.
   — Parce que t'en as quelque chose à faire, demanda Dazai en se tournant sur le ventre. Je pensais que tu m'enverrais balader.
   — Tu l'as fait avec qui ?
   — Des femmes sans importance. J'ai oublié leur nom.
   Chûya ne répondit rien, et regarda longuement le plafond au-dessus de lui. Dazai avait eu plusieurs relations avec des femmes, et ce depuis ses dix-huit ans... À dix-huit ans il était encore dans la mafia, et il était le partenaire de Chûya. Ils étaient proches à cette époque. Enfin, c'est ce que Chûya pensait. Il ne savait pas comment  prendre le fait que Dazai ne lui ait jamais rien raconté jusqu'à aujourd'hui. Peut-être que c'était normal, ça concernait son intimité, et visiblement ça ne comptait pas pour lui...
   Mais cette révélation laissait un étrange sentiment de vide à Chûya, il ne saurait expliquer pourquoi. Peut-être parce que lui, il en aurait parlé à Dazai. Ou peut-être que c'était parce qu'il réalisait que Dazai avait été plus proche de femmes qu'il connaissait à peine que de lui. Et à présent, son cœur était oppressé dans sa poitrine, des lianes l'entouraient et se resserraient autour, et Chûya ne pouvait plus rien faire pour libérer son cœur. Il était pris, piégé, et presque mourant dans sa poitrine encore pleine de vie.
   — Ça va, demanda Dazai au bout d'un moment.
   — Hm.
   — Pourquoi tu dis plus rien ?
   — J'ai rien à dire.
   — Tu sais ça veut pas dire que je te fais pas confiance, c'est juste que je voyais pas l'intérêt de te le dire, c'était pas intéressant et-
   — Ça va t'as pas besoin de te justifier.
   — Je sens que t'es pas content Chuchu.
   — Je suis pas en colère.
   — Vraiment ?
   — Oui. Dazai je... Enfin... Ça t'a déjà manqué de faire équipe avec moi ?
   — Pas du tout, je suis bien mieux loin de toi, s'exclama Dazai en riant. Au moins maintenant j'ai des partenaires à la hauteur !
   — Des partenaires, répéta Chûya d'une voix sourde.
   — Kunikida, c'est mon partenaire. Et j'ai l'agence, on peut faire équipe avec plusieurs personnes, mais je reste surtout avec Kunikida.
— Oh...
— Son pouvoir est plutôt cool même s'il manque parfois de puissance, et il est plus facile à utiliser. Toi ton pouvoir est plus puissant, tu fais jamais les choses à moitié et il y a toujours des dégâts, alors que Kunikida est plus dans la mesure. D'ailleurs tu sais que j'ai toujours mes carnets de plaintes sur toi ?! Et je les remplis toujours, c'est dingue de toujours trouver de nouvelles raisons de... Ben tu vas où ?
Chûya n'avait pas attendu que Dazai termine sa phrase. Il s'était relevé pour sortir du lit, en rejetant volontairement la couette qui le couvrait sur Dazai. Il contourna le lit en l'ignorant, passa devant Dazai, et s'approcha de la porte de la chambre.
— Chuchu qu'est-ce que tu fais, s'exclama Dazai en se redressant.
— Je vais loin de toi.
— Mais qu'est-ce que j'ai fait ?!
   — Laisse-moi tranquille.
   — Chûya c'était une blague !
   Mais Chûya avait déjà claqué la porte de la chambre, et la voix de Dazai s'éteignit, comme aspirée par le vide qui les séparait.

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Je reviens juste sur un passage de l'os, celui où Chûya se demande pourquoi Dazai porte des bandages. La façon dont il en parle peut donner l'impression qu'il trouve ça ridicule de cacher des cicatrices, ou qu'il pense qu'il n'y a pas de raison de se faire du mal à 15 ans.
Je voulais juste dire qu'il ne faut pas prendre mal ses paroles. C'est ok d'avoir des cicatrices, c'es ok de les montrer et c'est ok de les cacher. Pour ceux qui en ont, ce sont vos cicatrices, votre histoire et votre corps, alors vous faites ce que vous voulez et n'ayez pas honte. Prenez juste soin de vous :)

J'espère que l'intrigue vous plaît toujours :)

Zoubi zoubi

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant