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LA MÉLODIE DE SON SOUFFLE

Les effets du cancer

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Lorsqu'Atsushi ouvrit les yeux, il mit un moment avant de se souvenir d'où il se trouvait. Il était allongé dans un grand lit aux draps en soie noir, au milieu du matelas, tourné sur le flanc, un bras tendu devant lui. C'était un grand lit, avec un matelas, contrairement au sien qui n'était qu'un futon de mauvaise qualité, et la couette était aussi légère que chaude. Les draps étaient imprégnés d'une douce odeur sucrée, une mélange de fleur de coton et de figue. Atsushi battit des paupières et regarda autour de lui d'un air hébété. Il se trouvait dans une chambre qu'il ne connaissait pas, elle était grande, assez épuré, et d'élégants rideaux noires tombaient devant les fenêtres.
Épuisé, il se redressa en se frottant les yeux, retrouvant peu à peu ses esprits. Il sortit avec lenteur de son état somnolant, et resta un moment assis dans le lit. Il commençait à se souvenir d'où il se trouvait. C'était la chambre d'Akutagawa, et le parfum qui baignait le lit était le sien. Quelques heures plutôt, il s'était écroulé de fatigue dans ses bras, et Atsushi l'avait porté jusqu'à son appartement. Il l'avait amené dans son lit, mais Akutagawa lui avait demandé de rester, alors il s'était allongé à ses côtés et ils avaient dormi ensemble. Atsushi se souvenait aussi l'avoir pris dans ses bras, mais il n'était pas sûr de cela. Akutagawa n'était plus dans le lit, il devait s'être levé pour aller dans son salon. Atsushi devrait le rejoindre, pour voir comment il allait...
Il n'avait plus de force. Il avait à peine dormi et le peu d'heures de sommeil qu'il avait eues ne l'avaient pas reposé. Les larmes, l'angoisse, l'attente, les mauvaises nouvelles... Tout cela l'avait épuisé. Il se sentait vidé, il ne savait même plus ce qu'il ressentait. Mais une chose était sûre, il avait besoin de voir Akutagawa, de voir qu'il était... Toujours là.
Il passa ses mains sur son visage et se força à sortir du lit. Il portait encore ses vêtements de la veille, ce n'était pas très propre, surtout qu'il avait passé du temps à l'hôpital... Peu importe, ce n'était pas le moment de penser à ça. En sortant de la chambre, il fut immédiatement ébloui pas la lumière du jour, et il fut forcé de plisser les yeux un instant. Il marcha à l'aveuglette le temps de s'habituer à la lumière, et finit par trouver le salon. Akutagawa se trouvait bien là, il était assis au coin de son canapé, une tasse de thé fumante était posée en équilibre près de lui, et il était en train de consulter son ordinateur. Lui aussi avait l'air épuisé, son visage était encore plus marqué de cernes, et il avait encore les yeux rougis.
— Euh... Bonjour, salua maladroitement Atsushi.
Il ne reçut aucune réponse. Il s'avança alors avec gêne, en essayant d'entrer dans le champ de vision de son partenaire.
— Tu es réveillé depuis longtemps ?
— Oui, répondit Akutagawa sans lever les yeux vers lui.
— Il est quelle heure ?
— Treize heures.
Treize heures ?! Atsushi devrait être à l'agence depuis longtemps ! Il tâta ses poches avec panique, à la recherche de son téléphone, mais il ne trouva rien. Il avait dû laisser son téléphone dans la voiture de Chûya... Il devait aller le récupérer et prévenir quelqu'un qu'il ne viendrait pas aujourd'hui. Il n'avait pas la force de travailler, si ça ne tenait qu'à lui il retournerait se coucher, mais avant cela, il devait prévenir l'agence qu'il allait bien.
— Yosano t'a dit hier qu'elle préviendrait l'agence que tu ne viendrais pas aujourd'hui, rappela Akutagawa.
— Quoi, demanda Atsushi d'un air hébété.
— Hier, avant qu'on parte de l'hôpital, Yosano t'a dit qu'elle s'occupait de tout.
— Oh... Oui, c'est vrai...
Il ne s'en souvenait pas du tout, il fallait dire qu'il avait été incapable d'écouter Yosano hier tant il était bouleversé... Mais si elle avait prévenu l'agence, il pouvait être tranquille alors. Il avait bien besoin d'un jour de congé pour... Se remettre de cette nuit.
Le jeune homme fit quelques pas vers Akutagawa, hésitant à s'approcher de lui. Il voulait peut-être rester seul... Atsushi devrait partir. Mais... Il n'en avait pas envie, il avait peur que s'il parte, Akutagawa... Qu'il ait un problème. C'était peut-être irrationnel, car pour l'instant il allait encore suffisamment bien pour se débrouiller seul, et un cancer ne tuait pas subitement. Il tuait à petit feu, d'une mort lente, douloureuse et éprouvante... Alors, il y avait peu de chances qu'Akutagawa meurt en son absence. Mais Atsushi ne pouvait s'empêcher d'avoir peur, et il ne voulait pas qu'Akutagawa vivent ça seul. Il devait encore être sous le choc de l'annonce de sa maladie, il ne devaire pas rester seul. Le connaissant, il ne dirait rien à personne, et il avait besoin de quelqu'un sur qui se reposer. Alors... Même s'ils étaient ennemis la plupart du temps, ils étaient aussi partenaires, et Atsushi voulait être là pour Akutagawa.
— Comment tu te sens, demanda-t-il avec appréhension.
— Ça va.
— Tu sais... Si tu veux parler... On peut le faire...
Akutagawa ne répondit pas, et Atsushi sentit qu'il allait devoir le forcer un peu. Il vint alors s'asseoir près de lui et regarda l'écran de son ordinateur.
Une page était ouverte sur un forum de discussion, qui avait pour thème le cancer, et Akutagawa était en train de lire les différents messages. Il en était à la page six du forum, ce qui voulait dire qu'il était dessus depuis un moment. Atsushi fronça les sourcils et les lut avec lui.
« Mina : j'ai un cancer du poumon inopérable, à cause d'une tumeur trop volumineuse. On m'a dit que la chimio l'effacerait et que je serais rapidement remise sur pied. Quelques mois plus tard, je suis retournée aux urgences avec un mal de tête horrible, et j'avais des métastases dans toute la tête. La chimio ne marche pas toujours. ».
« Daiki : Mon père est mort d'un cancer des poumons il y a trois mois. Il a reçu un traitement par chimio + radio, mais ce n'était pas le traitement adapté à son cas, et les médecins ont dit qu'ils ne savaient pas toujours adapter les traitements aux patients. C'était un jeu de hasard, et six mois après la chimio, les métastases avaient envahi son cerveau. Quand les métastases envahissent votre cerveau, il n'y a plus aucune chance ».
« Tobio : j'en suis à huit mois de chimio et rien n'avance en positif. La chimio ne marche pas, la radio non plus, une immunothérapie avec plusieurs traitements non plus. Mes métastases ont migré dans les os, et ma tumeur 1 est à 17cm. Ils disent que je vais m'en sortir mais à chaque scanner j'ai des nouvelles métastases. Comment je suis censé tenir dans ce cas ? ».
Et les messages continuaient ainsi, sans qu'aucun ne soit positif. Plus il lisait, et plus Atsushi écarquillait les yeux avec horreur, paniquant de plus en plus. Finalement, il referma un coup sec l'ordinateur, et Akutagawa n'essaya pas de l'en empêcher. Ces messages étaient horribles à lire, ils ne leur apportaient que de l'angoisse...
   Un silence s'installa entre eux, et ils restèrent figés. Atsushi avait toujours sa main sur l'ordinateur d'Akutagawa, et Akutagawa regardait devant lui, l'air impassible. Lire ces messages était bouleversant... Atsushi n'avait jamais pensé au cancer, ni au nombre de victimes qu'il pouvait faire. C'était une maladie effrayante. Il connaissait un peu le cancer du poumon, le cancer du sein, la leucémie... Mais il les connaissait vaguement, il ne savait pas vraiment ce que signifiait « avoir des métastases dans un organe. ». Ça ne l'avait jamais concerné, alors naturellement, il ne s'était pas renseigné.
   Et soudainement, cette maladie apparaissait autour de lui et prenait la place dans toutes ses pensées. Il avait l'impression d'être envahi de termes qu'il ne connaissait pas, de noms de médicaments, de parties des poumons, de traitements comme la chimiothérapie ou l'immunothérapie. Ces mots étaient terrifiants, pas parce qu'il ne les connaissait pas, mais parce qu'ils étaient liés à une maladie mortelle. La vie d'Akutagawa était prise en otage par son propre corps, par une maladie si complexe qu'il ne pourrait jamais se battre seul contre elle. Et lire tous ces messages... C'était se prendre la réalité de plein fouet.
   Akutagawa était gravement malade, et il risquait de ne pas s'en sortir. Des personnes étaient mortes de cela, et peut-être que lui aussi, il ferait partie de ces personnes. Et Atsushi ne pouvait pas le protéger, il était parfaitement inutile dans son combat. Jusqu'alors, il n'avait pas réalisé à quel point la situation était réelle et immédiate. Il n'avait pas eu le temps de réfléchir à tout ce que cela pouvait impliquer, à tout ce qui risquait de changer.
   Cette nuit, l'annonce de la maladie d'Akutagawa l'avait tant bouleversé qu'il n'avait pas pu prendre conscience de tout ce qui allait changer. Il avait eu peur, et son corps avait réagi avant ses pensées. Il avait pleuré, il avait tenu Akutagawa contre lui sans parler, et il avait laissé ses larmes prendre la place de sa voix. Puis ils s'étaient endormis ensemble, et maintenant qu'Atsushi était réveillé, il se rendait compte que tout serait différent à présent.
   Il avait déjà l'impression de perdre son partenaire, il sentait qu'il lui échappait et qu'il ne parvenait pas à le rattraper. Et... Il ne voulait pas qu'on lui prenne. Il ne savait pas pourquoi, mais il ne voulait pas qu'Akutagawa parte... Il ne voulait pas penser à une vie sans lui, et il ne voulait pas imaginer qu'il succombe à sa maladie. Il voulait... Il voulait garder espoir, même si ça n'avait pas de sens de vouloir protéger la vie de son ennemi.
— Je vais mourir, finir par dire Akutagawa, le regard perdu dans le vide.
— Non, dit aussitôt Atsushi.
— Rien ne va marcher sur moi.
— Non tu vas pas mourir, Aku il faut pas lire ce genre de messages.
— Je vais mourir.
— Non !
— Je suis au stade trois.
— Tu vas pas mourir ! Tu vas te battre, et tu t'en sortiras, comme plein d'autres personnes ! Il y a des traitements qui marchent, et puis toi tu n'es pas n'importe qui, tu as un pouvoir, tu es plus fort que n'importe qui ! Et Yosano sera là pour t'aider, son pouvoir peut accélérer ta guérison, elle a même dit qu'elle pouvait aider ton corps à supporter les traitements, pour ne pas perdre tes cheveux, pouvoir respirer et... Tout va bien se passer !
— Je suis trop fragile, je ne-
— Aku, s'exclama Atsushi en prenant son visage entre ses mains pour l'obliger à le regarder. Tu vas vivre, moi je te ferais vivre, et si tu peux plus te battre, je le ferai pour toi. Je te laisserai pas tomber, et quand tu t'en seras sorti, parce que tu vas t'en sortir, tu pourras me dire que c'est toi le plus fort de nous deux.
Akutagawa ne répondit pas. Ses iris semblaient plus clairs que d'habitude, ils étaient parcourus de reflets nacrés... Ou bien c'était seulement la lumière du jour qui les éclairait... Mais Atsushi les contempla un long moment, et il songea que ses iris n'avaient jamais été aussi beaux qu'en cet instant. Les larmes qui brillaient dedans les rendaient immenses et magnifiques, yes yeux étaient comme deux perles de mer, comme la surface d'un lac sous le clair de lune. Cette pensée le troubla, et il s'écarta avec gêne.
   — J'arrive pas à y croire, murmura Akutagawa avec impuissance.
   Sa voix tremblait, et ses yeux devenaient bien trop humides. Atsushi ne put résister. Il l'attira contre lui en passant ses bras autour de ses épaules, il le serra contre lui, et Akutagawa se laissa faire. Peut-être qu'il n'avait pas la force de le repousser, ou bien peut-être se servait-il de cette étreinte pour effacer ses larmes en secret. Ou alors, il avait simplement besoin d'un peu de chaleur pour ne pas craquer. Atsushi ne le savait pas, mais il ne voulait pas le lâcher.
   — Tu... Tu dois rester fort, dit-il difficilement.
   — Pourquoi est-ce que tu veux que je me batte ? Je suis ton ennemi, dit Akutagawa d'une voix étouffée.
   — Parce que si c'était moi qui étais malade, je suis sûr que tu m'aurais frappé en me disant de me reprendre en mains, de me dépêcher de guérir pour qu'on puisse de nouveau combattre ensemble, dit Atsushi d'une voix serrée.
   — ... C'est sûrement vrai. Mais c'est pas à toi de m'aider, j'ai besoin de personne.
   — Non, mais avoir quelqu'un ça pourrait te faire du bien...
   — Pour quoi faire ?
   — Pour parler ?
   — Parler, répéta Akutagawa sans comprendre.
   — De ce que tu ressens. Ce dont tu as peur... Si tu as mal... Ou juste parler de ce à quoi tu penses. Je... Je sais que t'as besoin de personne, t'es fort, et tu t'es toujours débrouillé seul. Mais là... Ton corps te dit stop, et tu peux pas garder le même rythme de vie qu'avant. Tu vas être de plus en plus fatigué, et tu risques d'être déprimé... Je sais que t'as pas besoin de moi, mais je peux quand même être là, juste au cas où... Je peux juste venir te voir de temps en temps, t'accompagner à l'hôpital, t'aider... Juste au cas où...
   Akutagawa ne répondit pas tout de suite. Il resta un moment silencieux, blotti contre lui. Il ne bougeait pas, sa respiration était presque silencieuse. Atsushi ne l'entendait pas, bien que ses lèvres soient proches de son oreille. C'était presque comme s'il n'était plus vraiment là. Mais la température de son corps prouvait qu'il était encore en vie, et Atsushi ne pouvait s'empêcher de le serrer de plus en plus fort, pour emprisonner sa chaleur contre lui.
   — Juste au cas où alors, finit par murmurer Akutagawa.
   Atsushi sourit, soulagé qu'il ne le repousse pas.
— Je garderai un œil sur toi alors, dit-il en le lâchant. Je peux venir te voir tous les jours si tu veux.
— C'est bon, j'ai pas besoin de toi à ce point, rêve pas, répliqua Akutagawa en lui poussant l'épaule.
— Mais donc tu as besoin de moi !
— Je te laisse juste le croire.
   — Bien sûr. Tu es fatigué ? Tu n'as pas beaucoup dormi cette nuit, ça te ferait du bien de te reposer, dit Atsushi en regardant les cernes de son ennemi.
   — Je dois travailler.
   — Tu es en arrêt-maladie !
   — Je peux travailler.
   — Mais... Aku, ça ne veut pas dire que tu es faible ou quoi que ce soit... Il faut que tu prennes soin de toi, dit Atsushi pour le raisonner.
   — Peut-être, mais j'ai mieux à faire.
   — Je ne peux pas te laisser travailler, désolé, dit Atsushi en lui prenant son ordinateur.
   — Si tu ne veux pas que je te tue, rends-moi mon ordinateur.
   — Désolé mais non. Je... Je te le rendrais tout à l'heure, quand tu auras dormi !
   — Sérieusement, demanda Akutagawa avec agacement.
   Atsushi hocha la tête avec détermination. Il n'avait pas l'intention de céder, il devait absolument empêcher Akutagawa de s'épuiser en travaillant. Et il ne pouvait pas lui redonner son ordinateur, sinon il allait encore lire des messages déprimants sur le cancer. Atsushi allait devoir trouver un endroit où cacher son ordinateur...
   — Quand je serai guéri, je te tuerai, déclara Akutagawa en se levant.
   Il n'avait pas perdu son sale caractère, c'était rassurant...
   — Tu as besoin d'aide, demanda Atsushi en se levant aussitôt pour le suivre.
   — Je peux marcher tout seul.
   — Oui mais tu ne dois pas faire trop d'efforts, tu seras essoufflé sinon...
   — Laisse-moi tranquille, je suis pas un vieux de quatre-vingt-dix ans qui peut plus marcher, j'ai juste un cancer.
   Akutagawa partit vers sa chambre, et Atsushi le suivit par réflexe, craignant qu'il ne s'évanouisse en chemin. Il était peut-être excessif, mais il ne savait pas à quoi s'attendre avec Akutagawa, il avait peur qu'il s'écroule à tout moment...
   Il resta alors derrière lui, prêt à le rattraper à tout moment, et entra dans sa chambre. Lui aussi avait besoin de se reposer, il aimerait beaucoup s'allonger dans son lit et rattraper ses heures de sommeil... Mais pouvait-il laisser Akutagawa seul ? S'il partait, Akutagawa risquait d'en profiter pour travailler, ou pire, pour sortir n'importe où !
   — Si je m'en vais, tu me promets que tu partiras pas travailler ou te battre, demanda-t-il alors.
   — Ça dépendra de mon humeur. Où est-ce que tu vas ?
   — J'aimerais me reposer moi aussi. Demain je vais travailler et j'ai besoin de dormir un peu...
   — Ok, dit simplement Akutagawa en s'allongeant dans son lit.
   — Tu es sûr que ça va aller ?
   — Oui.
   — Tu peux m'appeler si besoin. Ou Yosano.
   — Ok.
   — Et je reviendrai demain matin.
   — Ok.
   — Et... Si jamais tu t'évanouis et que tu as besoin de moi, ça ne te dérange pas si je casse un peu ta porte d'entrée, demanda timidement Atsushi.
   — Si ça me dérange, s'indigna Akutagawa. Ne casse pas mon appartement !
   — Mais comment je rentrerais ?!
   — Atsushi tu m'énerves.
   — J'essaye juste de trouver une solution !
   — Enregistre ton visage et ton empreinte, ma porte s'ouvre comme ça, dit Akutagawa avec agacement. Mais ne casse pas ma porte !
   — Tu es sûr, demanda Atsushi avec surprise.
   — Fais-le avant que je change d'avis. Et laisse-moi dormir.
— D'accord mais s'il t'arrive quelque chose pendant que tu dors ?
— T'es sérieux ?
— Tu pourrais très bien arrêter de respirer ou... Je sais pas... Et si t'avais un problème ?!
— Je mourrais et ça sera tant pis pour moi.
— Mais c'est horrible !
— Oh Atsushi tu me fatigues, dors avec moi si tu veux faire le héros et m'empêcher de mourir dans mon sommeil, s'exclama Akutagawa.
Il tira d'un coup sec sa couette sur sa tête, et disparut dans son lit. Le tissu de sa couette l'avait recouvert avant même qu'il ne termine sa phrase, mais Atsushi avait eu le temps de voir ses joues devenir rouges.
Venait-il vraiment de... Lui proposer de dormir avec lui ?! Non, c'était impossible... Mais Atsushi ne pouvait pas avoir mal entendu ! Et pourquoi Akutagawa aurait rougi s'il ne lui avait pas vraiment proposé ça ? Atsushi ne se trompait pas, il lui avait bien proposé de dormir à ses côtés. Il l'avait dit avec agacement et sur un ton de reproche, mais... Il lui avait vraiment dit qu'il pouvait dormir avec lui ! C'était aussi étrange que satisfaisant, Atsushi n'était pas contre cette idée...
Excepté la nuit dernière, il n'avait jamais dormi avec quelqu'un. Il partageait son appartement avec Kyoka, mais ils n'avaient jamais dormi ensemble, et il n'avait jamais été en couple. Dormir avec quelqu'un l'angoissait, il ne savait pas comment s'y prendre, où se mettre dans le lit, vers quel côté se tourner. Mais avec Akutagawa, tout avait été très simple. Ils étaient montés dans la chambre, ils avaient rapidement retiré quelques vêtements, et ils s'étaient allongés dans le lit. Ils n'étaient pas allés sous la couette, ils s'étaient simplement écroulés sur le lit et s'étaient blottis l'un contre l'autre, avant de s'endormir en silence.
Maintenant qu'il y repensait... Atsushi se rendait compte qu'il s'était endormi sur la couette, mais qu'il s'était réveillé en dessous. Akutagawa avait dû le mettre dans son lit lorsqu'il s'était réveillé. Il avait donc eu un... Un geste de tendresse envers lui ? Et ils avaient dormi dans les bras l'un de l'autre, sans se poser la moindre question. Le plus surprenant était que leur étreinte les avait apaisés, elle leur avait fait du bien et avait séché leurs larmes. Atsushi n'était pas très familier avec ce genre de gestes. Personne ne le prenait dans ses bras à l'orphelinat, et l'agence n'était pas un lieu pour se prendre dans les bras. Alors Atsushi n'était pas habitué à cela, et savoir que sa première vraie étreinte, et sa première nuit partagée, avaient été avec Akutagawa... Cela le perturbait. Mais il aimait cela, et il avait besoin de l'étreindre de nouveau. Ne serait-ce que pour sentir une nouvelle fois son cœur battre contre lui.
— Tu veux qu'on dorme ensemble, demanda-t-il timidement.
— J'ai juste dit ça pour que tu me laisses tranquille, lança Akutagawa sous sa couette.
— Donc je peux dormir avec toi ?
— Dors où tu veux.
Hésitant, Atsushi fit un pas vers le lit et s'assit délicatement au bout du matelas. Akutagawa devait vraiment se sentir mal pour lui proposer de rester à ses côtés, surtout pour dormir. Peut-être que lui aussi avait besoin d'une étreinte. Atsushi finit par grimper sur le lit, et s'avança à quatre pattes vers la forme du corps d'Akutagawa, et se glissa sous la couette. Akutagawa lui tournait le dos, il était recroquevillé sur lui-même et ne semblait pas décidé à sortir sa tête de sous la couette.
— Aku tu vas manquer d'air.
— Je manque déjà d'air.
Cette simple phrase eut l'effet d'une pierre dans le ventre d'Atsushi. Son cœur se serra dans sa poitrine, et une vague de panique glaça sa peau. Il avait dit cela d'un ton neutre, sans laisser paraître la moindre peur, ou la moindre douleur. Mais il devait souffrir, Atsushi le connaissait suffisamment pour savoir que son indifférence cachait sa peine. Il devait avoir mal, et il ne devait pas réussir à respirer correctement. Et il devait être terrifié. Akutagawa avait beau être fort et courageux, il n'avait jamais eu à se battre contre lui-même.
Il s'était battu contre de nombreuses personnes. Il avait gagné des combats, il en avait perdu d'autres. Il avait été blessé, et il avait frôlé la mort. Mais tous les dangers qu'il avait surmontés ne venaient pas de lui-même, ils étaient provoqués par des causes extérieures. La maladie était différente. Elle venait de lui, personne ne l'avait provoquée et il ne pouvait pas lutter contre aussi facilement. Il n'avait rien pour se défendre, sa force, ses pouvoirs, son agilité, tout cela ne lui étaient d'aucune utilité pour vaincre son cancer. Il ne pouvait rien faire d'autres que prier pour que les traitements fonctionnent... Son destin n'avait jamais été aussi incertain qu'en cet instant, et Atsushi se doutait qu'il devait se sentir horriblement mal.
Le connaissant, il refoulerait sa peur et conserverait cette expression indifférente qu'il arborait toujours. Il ne risquait pas de demander de l'aide à Atsushi, même s'il en avait besoin. Mais Atsushi voulait être présent pour lui, il refusait de le laisser traverser cela seul, et il était prêt à aller vers lui pour le soutenir. Atsushi hésita quelques secondes, puis il remonta Akutagawa le long du matelas, afin de faire sortir sa tête à l'air libre. Il se blottit ensuite timidement contre lui, il entoura son torse de son bras, et approcha son visage de sa nuque.
— C'est dégoûtant, tu t'es même pas changé, reprocha Akutagawa.
Un petit sourire apparut sur les lèvres d'Atsushi. Akutagawa ne lui avait pas demandé de s'écarter, ni même de le lâcher.
— J'ai pas d'autres vêtements, dit-il à voix basse.
— T'auras intérêt à changer mes draps.
— Je le ferai. Aku... Tu veux qu'on reste ensemble... ?
— Comment ça ?
— Je peux rester chez toi pour te surveiller... Juste le temps que tu guérisses...
— Tu veux dire, emménager chez moi ?
— ... Oui ?
— Non. Tu es trop fatigant et agaçant, tu me tueras avant mon cancer.
— Mais non ! C'est juste pour t'aider, et ton cancer te tuera pas !
— J'ai pas de chambre pour toi.
— Je peux dormir dans le salon.
— Et qu'est-ce que tu vas dire à l'agence ? Tu vis avec Kyoka non ?
— Je peux très bien ne pas leur dire, et je peux m'arranger avec Kyoka... Aku je pourrais vraiment t'aider. La chimio c'est épuisant, et... Et la dépression c'est un effet secondaire du cancer alors... T'as besoin de quelqu'un.
— C'est non.
— Mais pourquoi, s'exclama Atsushi. Je te collerais pas, je te le promets !
— Atsushi je te connais.
— Je suis pas collant !
— Non mais tu t'attaches trop facilement.
— Comment ça, dit Atsushi sans comprendre.
— Si tu viens ici pour me surveiller, tu vas vouloir prendre soin de moi, et tu vas t'attacher. Si je meurs et que tu t'es attaché à moi, tu vas avoir mal, alors oublie ton idée de t'installer ici. Et tu devrais aussi me laisser me débrouiller seul.
Akutagawa se tut, et Atsushi ne sut pas quoi répondre. S'il comprenait bien, Akutagawa ne voulait pas prendre le risque de... De se rapprocher de lui ? Il ne voulait pas le faire souffrir à travers sa maladie ? Atsushi ne s'y était pas attendu... Est-ce que cela voulait dire qu'il voulait le préserver ? Non, ça ne pouvait pas être ça, pourquoi voudrait-il le préserver ? Il ne le supportait pas, il n'y avait aucune forme d'attachement entre eux, alors Akutagawa n'avait aucune raison de vouloir protéger Atsushi.
Mais... Était-ce vrai ? Y avait-il vraiment aucune forme d'attachement entre eux ? Lorsqu'ils s'étaient rencontrés, ils s'étaient immédiatement détestés, et ils n'avaient pas pu se supporter avant un long moment. Mais depuis quelque temps, les choses avaient changé entre eux. Il y avait eu ce combat contre Fitzgerald, dans lequel ils s'étaient battus ensemble pour la première fois, et depuis ce jour, ils avaient collaboré de nombreuses fois. Le plus étrange était qu'ils n'avaient pas eu à apprendre à se connaître, tout était simple entre eux. Atsushi avait compris tout seul comment fonctionnait le pouvoir d'Akutagawa, et il avait appris à travailler avec. Ils avaient appris à se faire confiance, à fusionner leur capacité et même à se protéger ! Akutagawa ne cessait de veiller sur lui, d'une certaine manière. Il le rattrapait en pleine chute, il amortissait les coups à sa place, il l'écartait des explosions, et il s'était même sacrifié pour lui permettre de s'enfuir !
Il était toujours là lorsqu'Atsushi se perdait dans sa solitude, il ne l'avait jamais laissé tomber une seule fois. Plus les jours passaient, et plus ils se rapprochaient, si bien qu'ils se voyaient plusieurs fois par semaine, même en dehors de leurs misions. Atsushi se mettait à penser à Akutagawa sans le vouloir, il se demandait comment il occupait ses journées, quels étaient centres d'intérêt, de qui il était proche dans la mafia. Il trouvait toujours de nouvelles choses à apprécier chez lui, des traits de caractère qu'il découvrait, ou bien cette odeur florale qu'il portait. Et il en venait même à se dire qu'il n'avait peut-être jamais vraiment détesté Akutagawa, tout cela lui semblait bien lointain.
Et voilà qu'aujourd'hui, ils se retrouvaient blottis l'un contre l'autre dans le même lit, à laisser leur cœur battre à l'unisson. Il y avait forcément de l'attachement entre eux, même s'il était minime...
— Aku... T'es dans mes bras et on a passé la nuit ensemble... Je suis déjà attaché à toi, murmura Atsushi près de son oreille.
— Je sais... Mais j'aurais préféré que tu ne me le dises pas...

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant