Recueil Bungo Stray Dogs

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LA MÉLODIE DE SON SOUFFLE

Shin soukoku

Nuit noir

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— Akutagawa, je peux te poser une question ?
— Non.
— Je le fais quand même. Est-ce que tu... Te sens bien ?
Akutagawa s'arrêta de marcher et tourna la tête vers Atsushi pour le dévisager, l'air suspicieux. Atsushi s'arrêta à son tour et soutint son regard, sans parvenir à dissimuler l'expression d'inquiétude qui devait peindre son visage. Ils venaient tous les deux de s'arrêter sur le quai qui longeait le fleuve de Yokohama, le soleil était tombé près de l'eau, qui filait au loin. Un camaïeu de rose s'étendait dans le ciel, comme une tache d'aquarelle tombée dans une goutte d'eau. L'eau du fleuve était irisée, elle brillait et la regarder trop longtemps rendait les yeux sensibles. Le crépuscule avait commencé, et avec lui venait une fraîcheur nocturne qui chassait le vent chaud de la journée. Malgré cela, l'air était encore bon, il avait la parfaite température, celle qui permettait de sortir en t-shirt comme en pull. Et pourtant, Akutagawa frissonnait.
Il marchait plus lentement, son corps était pris dans un frisson, enveloppé d'une brise polaire. Il était pâle, plus que d'habitude, si bien que la fatigue sur son visage ressortait davantage. Il semblait épuisé, comme si le simple fait d'avancer lui demandait un gros effort. Il toussait, une toux rauque et sèche, différente de celle qu'Atsushi s'était accoutumé à entendre. Il pouvait presque sentir ses cordes vocales se frotter les unes aux autres, se racler et s'effriter dans sa gorge. Et puis sa voix était cassée, rouillée, abîmée, signe qu'il toussait beaucoup. Sa capacité aussi était plus faible. Son Rashômon était déployé dans son dos, de grands bras noirs jaillissaient de ses omoplates et s'élevaient en piques au-dessus de sa tête. Mais ils étaient moins effrayants et majestueux que d'habitude, moins acérés et imposants. Il l'avait activé pour porter les nombreuses courses que Dazai les avait envoyés faire, Atsushi aussi portait des sacs dans ses bras.
Il n'avait pas cherché à comprendre pourquoi Dazai avait besoin de lui et d'Akutagawa pour faire ses courses, après tout Dazai avait la manie de donner son travail aux autres, et il adorait mettre Atsushi et Akutagawa dans la même équipe. Atsushi avait alors accepté et était parti rejoindre Akutagawa, en ce moment ils étaient plus partenaires qu'ennemis, alors... Faire des missions à ses côtés ne le dérangeait pas. La compagnie d'Akutagawa n'était pas si désagréable que cela. Mais Atsushi avait tout de suite vu qu'Akutagawa n'était pas dans son état normal. Il n'avait pas semblé lassé de le voir, il ne l'avait pas provoqué une seule fois, et il était beaucoup plus faible que d'habitude. Se pourrait-il qu'il soit tombé malade ?
— Tu n'as pas l'air en forme, expliqua Atsushi en voyant qu'Akutagawa ne répondait pas.
— Je vais bien, finit par dire Akutagawa en reprenant sa marche.
— Tu es sûr ? Tu n'arrêtes pas de tousser depuis tout à l'heure, insista Atsushi en le suivant.
— Je tousse toujours.
— Tu tousses plus que d'habitude.
— Comment tu peux le savoir ? On se voit une fois toutes les deux semaines.
— On se voit plusieurs fois par semaines depuis un moment ! Tu n'as pas remarqué que Dazai n'arrêtait pas de nous confier des taches ensemble ?
— Je n'ai pas fait attention.
— Je suis sûr que si ! Je commence quand même à te connaître, et je vois bien que tu n'es pas comme d'habitude !
Akutagawa ne prit pas la peine de répondre, et toussa une nouvelle fois. Mais cette fois-ce, Atsushi vit le mouchoir qu'il tenait devant sa bouche se colorer de rouge. Il attrapa aussitôt son poignet et le força à lui montrer son mouchoir. Il y avait du sang dedans... Atsushi leva les yeux vers Akutagawa et le regarda avec inquiétude, mais Akutagawa se détacha sèchement de son emprise.
— Je vais bien, répéta-t-il d'une voix neutre.
— Tu viens de cracher du sang !
— C'est normal pour moi. Tu devrais le savoir si tu me connais si bien.
— Tu sais tu n'as vraiment pas l'air bien... Je peux m'occuper des courses seul, tu ferais mieux d'aller te reposer. Et si tu veux, la prochaine fois je te laisserai faire les courses seul, proposa Atsushi.
— Non, il n'y a pas besoin puisque je vais bien.
— Tu as perdu du poids depuis la dernière fois qu'on s'est vu, je pense que tu as besoin d'un peu de repos... Je ne le dirai pas à Dazai si c'est ce qui t'inquiète...
— Je n'ai pas besoin de repos, je vais très bien.
Il avait dit cela d'un ton sec, qui laissait clairement comprendre qu'Atsushi n'avait pas son mot à dire. Il fit alors volte-face et reprit sa route, mais après seulement quelques pas, il s'écroula tomba à genoux au sol. Atsushi se précipita aussitôt vers lui, et se laissa tomber à ses côtés. Il lâcha ses courses et posa sa main sur son front, de plus en plus inquiet. Il était bouillant, son front le brûlait presque, et il était couvert de transpiration. Et Atsushi ne l'avait pas remarqué, mais Akutagawa haletait, comme s'il peinait à respirer. Il n'allait vraiment pas bien, il devait rentrer chez lui se reposer.
   — Je te ramène chez toi, décida Atsushi.
   — Non, je peux rentrer seul.
   — Tu ne tiens pas debout, tu n'as plus aucune force ! Tu as besoin d'aide !
   — Je n'ai pas besoin d'aide, s'exclama Akutagawa avec le peu d'énergie qui lui restait.
   — Très bien, alors moi j'ai besoin de te ramener, répliqua Atsushi. Je te promets que je ne le dirai à personne, même pas à Dazai. Maintenant, monte sur mon dos.
— Je ne monterai pas sur ton dos.
— Tu l'as déjà fait, c'est bon, je le dirai à personne !
   — ... Et les courses ?
   — Ah... Tu penses pouvoir garder ton Rashômon activé jusqu'à chez toi ? Juste pour porter les sacs ?
   — Oui.
   — Bien, alors tu les portes et moi je m'occupe de toi. Viens. Tu peux t'allonger sur moi.
   Atsushi se transforma entièrement en tigre, son corps s'allongea et se couvrit de poils blancs, et sa vue devint soudain plus précise. Il s'allongea devant Akutagawa, et il dut frotter sa tête contre ses cuisses et son ventre pour le forcer à bouger, jusqu'à ce qu'il ne se décide à monter sur son dos. Atsushi se releva doucement, en veillant à ne pas le faire tomber, et il s'élança immédiatement. Se transformer entièrement lui permettait d'aller beaucoup plus vite que s'il n'était que partiellement transformé, il serait arrivé dans quelques minutes.
Au bout de quelques minutes, Atsushi sentit Akutagawa s'allonger sur lui. Ou peut-être s'écroula-t-il de fatigue sur lui, mais son torse détendit sur son dos, il se blottit entre ses omoplates, et posa sa tête sur sa large nuque. Ses mains glissèrent dans son pelage soyeux et encerclèrent son ventre. Ses bras étaient faibles, ses mains ne parvenaient pas à rester accrochées l'une à l'autre, et ses jambes peinaient à serrer la taille d'Atsushi. Il devait être épuisé, et plus il y pensait, plus Atsushi se disait que cela faisait un moment qu'Akutagawa était malade.
Maintenant qu'il était sur son dos, Atsushi pouvait affirmer avec certitude qu'il avait perdu du poids, et s'il ne l'avait pas immédiatement remarqué, c'était forcément parce que son amaigrissement avait été progressif. Il avait déjà porté Akutagawa plusieurs fois, et il voyait bien qu'il était bien plus léger qu'en temps normal. Et même s'ils étaient ennemis... Atsushi le connaissait par cœur. Il connaissait ses réactions, il savait ce qui l'agaçait, ce qui le contrariait, ce qui l'amusait. Il pouvait presque entendre ses pensées, il suffisait d'un regard pour savoir à quoi il pensait, ils pouvaient communiquer en silence et se comprendre parfaitement. Et physiquement aussi, Atsushi le connaissait par cœur. Son visage, sa silhouette, sa voix, tout son être était gravé dans sa mémoire. Sa manière de marcher lui indiquait chacun de ses combats, ses cernes sous ses yeux lui reflétaient ses heures de sommeil, chaque détail qui le constituait avait une signification parfaitement clair aux yeux d'Atsushi. Et aujourd'hui, il ne voyait plus que des signaux d'alarme sur Akutagawa. Comme si son corps s'était teinté de rouge et qu'il l'appelait silencieusement à l'aide.
   Le trajet jusqu'à la mafia portuaire lui sembla interminable, et plus le temps passait, plus Atsushi s'inquiétait. Il réalisait que c'était bien la première fois qu'Akutagawa acceptait de se montrer aussi faible, jamais il ne se serait laissé porté et ramené chez lui en temps normal... Cela voulait dire que lui aussi savait qu'il allait mal, peut-être même qu'il savait ce qui lui arrivait...
   Après un long moment, Atsushi arriva enfin devant l'un des bâtiments de la mafia et reprit immédiatement sa forme humaine. Il se transforma en gardant volontairement Akutagawa sur son dos, de manière à pouvoir continuer de le porter.
   — Je peux marcher, dit Akutagawa alors qu'il se relevait.
   — Et moi je peux te porter.
   — Dès que je le pourrai je te tuerai, jura Akutagawa en laissant tomber sa tête sur son épaule.
   — C'est ça, répliqua Atsushi en passant ses mains sous ses cuisses pour le maintenir. Tu veux que j'appelle Yosano ?
— Yosano ?
— Elle est médecin, elle pourrait s'occuper de toi.
— Mori aussi est médecin.
— Oui mais... Je ne veux pas qu'il s'occupe de toi, expliqua Atsushi avec gêne, alors qu'Akutagawa lui donnait ses clés pour entrer dans son immeuble. Je ne lui fais pas confiance.
— Pourquoi ?
— Il est étrange et dérangeant... Surtout avec Élise. Je préférais qu'il ne te touche pas.
— Qu'est-ce que ça peut te faire, demanda Akutagawa avant de cracher un nouveau filet de sang dans son mouchoir.
— Tu es mon partenaire.
— Je suis aussi ton ennemi.
— Pour l'instant non.
   Akutagawa ne répondit rien, et Atsushi comprit qu'il n'avait pas la force de poursuivre le débat. Il décida alors de le laisser tranquille et entra dans son immeuble, en regardant autour de lui avec curiosité. Le hall était très grand, un carrelage noir couvrait le sol et reflétait les petites lampes suspendues au plafond. Lorsqu'il avançait les yeux baissés, Atsushi avait l'impression de marcher sur une plaque d'obsidienne et que des sphères de lumière flottaient autour de lui. Bien que vide, le hall était élégant et raffiné, il était dépourvu de toute décoration, il n'y avait qu'un grand ascenseur au centre, et quelques portes sur le côté qui se fondaient dans les murs, qui étaient tout aussi sombres que le carrelage.
   L'absence de meuble faisait que chaque pas résonnait, ce qui était assez angoissant. Atsushi ne se sentait pas à l'aise ici, il était en territoire ennemi, et cet endroit lui donnait l'impression qu'il vivait ses derniers instants, qu'il se dirigeait droit vers une mort certaine. Il n'aimait pas ce vide autour de lui, ni l'apparence aussi austère de cet immeuble. Mais il fit abstraction de son malaise et resserra machinalement ses mains sous les cuisses d'Akutagawa. Il s'approcha aussi silencieusement que possible de l'ascenseur et appuya sur le bouton pour l'appeler, avant de soudain réaliser quelque chose.
   Le menton d'Akutagawa était posé sur son épaule, son visage était très proche du sien, et ses lèvres étaient près de son oreille. Il pouvait entendre sa respiration sifflante, mais surtout, il pouvait entendre son essoufflement. Akutagawa était essoufflé, comme s'il avait lui-même couru tout le long du trajet. Ce n'était pas normal, il ne devrait pas être essoufflé, et là il était presque à bout de souffle !
   Atsushi le déposa aussitôt au sol et se tourna vers lui, l'air paniqué.
   — Tu es essoufflé ?
   — Quoi, demanda Akutagawa avec surprise.
   — J'entends que tu as du mal à respirer. Tu n'y arrives pas ?
   — C'est... C'est normal, quand je suis malade ça m'arrive de ne pas respirer correctement.
   — Et tu sais pourquoi ?
— Non, c'est juste comme ça, dit Akutagawa en toussant de nouveau.
Il disait tout cela avec calme, mais comment pouvait-il trouver cela normal ? C'était inquiétant, peut-être que... Peut-être qu'il avait vraiment un problème ? Il avait peut-être une insuffisance respiratoire ou de l'asthme, ce qui ne serait pas étonnant...
   — Tu as mal quand tu respires, s'inquiéta Atsushi.
   — Je vais bien, arrête de-
   — Réponds à ma question alors.
   — C'est ridicule, et l'ascenseur est là.
   Akutagawa fit un pas sur le côté et essaya d'entrer dans l'ascenseur en contournant Atsushi, mais celui-ci le retint par le poignet. Il ne répéta pas sa question, et le regarda seulement avec des yeux perçants. Les deux jeunes hommes s'affrontèrent du regard un moment, mais Atsushi pouvait déjà lire les réponses qu'il attendait dans les yeux d'Akutagawa, il n'avait pas besoin de les entendre. Il avait mal, et il l'avait volontairement caché, car il savait qu'Atsushi le remarquerait.
   S'il avait pu cacher cela, il pouvait encore cacher autre chose. Cela ne voulait dire qu'une seule chose. Son état n'était pas normal, il avait vraiment un problème, et il le savait. Atsushi n'eut pas besoin de dire quoi que ce soit. Comme s'il avait entendu ses pensées, Akutagawa s'écarta de l'ascenseur, et les portes qui s'étaient ouvertes devant eux se refermèrent. Monter dans son appartement n'arrangerait rien, il avait besoin de soin. Il n'avait plus le choix, il devait aller à l'hôpital.
   — Chûya m'a donné les clés d'une de ses motos, finit par dire Akutagawa.
   — Je ne sais pas les conduire...
   — J'ai aussi une de ses voitures.
   — Je n'ai pas le permis... Peu importe, ça doit pas être difficile à conduire, dit Atsushi avec détermination. Je... La voiture doit être plus simple à conduire, ça te va ?
   — Je m'en fiche, dit Akutagawa en haussant les épaules.
   — Alors on prend la voiture. Viens, dit Atsushi en tirant Akutagawa vers la sortie de l'immeuble.
   — Et les courses ?
   — Ah... Laisse-les là, j'en referai demain, pour l'instant c'est pas le plus urgent.
   — Mon état n'est pas urgent non plus, répliqua Akutagawa d'une voix épuisée.
   Atsushi ne répondit pas, et serra simplement sa main sur le poignet de son ennemi. Il espérait s'inquiéter pour rien, et que son état ne soit pas urgent. Il l'espérait vraiment...

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Je poste maintenant parce que ce soir je rentre tard avec mes cours :)

La nouvelle intrigue commence ! J'ai hâte que vous la lisiez et que vous me disiez ce que vous en pensez. 👀
C'est une histoire exclusivement sskk donc on ne verra pas beaucoup les autres personnages, j'espère que ça vous plaira quand même.

À demain 🤭
(Ça me fait bizarre de marquer Akutagawa et pas Ryûnosuke maintenant, je me suis habituée à utiliser son prénom donc ça me fait étrange de reprendre son nom de famille !)