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LA MÉLODIE DE SON SOUFFLE

Première crise

/!\ Spoiler dernier épisode de Bungo Stray dogs /!\

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   — Comment est-ce que tu te sens ?
   — Je sais pas.
   — Est-ce que tu as mal ?
   — Je sais pas.
   — Tu veux que je reste avec toi ?
   — Je sais pas.
   — Tu veux que je parte ?
   — Atsushi, si tu poses une seule question de plus, je te coupe la langue.
   Atsushi se tut immédiatement, et Akutagawa en profita pour fermer les yeux. Il était allongé sur le canapé de son salon, enveloppé dans une couverture de laine. Sa tête reposait sur un coussin, et une canule passait sous son nez. Atsushi était assis par terre, devant son canapé. Il avait dispersé de nombreuses boîtes de médicaments autour de lui, et il lisait attentivement chaque notice d'utilisation, avant de marquer dans un agenda quel médicament prendre, et à quelle heure.
   Ils venaient tous les deux de rentrer de la première séance de chimiothérapie d'Akutagawa. Atsushi n'avait pas eu le droit d'y assister, il s'était fait éjecter à l'instant même où il avait posé les pieds dans l'hôpital. Bien sûr, il avait essayé de protester, mais Akutagawa lui avait fermement interdit de l'accompagner, et il avait même menacé d'utiliser son Rashômon contre lui. Atsushi avait cédé lorsqu'il avait vu Yosano arriver, et il avait consenti à lui confier son ennemi. Elle était restée auprès de lui durant toute la cure, et elle en avait profité pour utiliser son pouvoir sur lui, et régénérer ses cellules saines, que le traitement détruisait. Atsushi avait pu récupérer Akutagawa quelques heures plus tard, et ils étaient tous les deux rentrés chez ce dernier.
   Cette première séance de chimiothérapie avait exténué Akutagawa, il était à bout de force. Il a avait refusé de manger en rentrant, et il s'était simplement laissé tomber sur son canapé. Atsushi lui avait alors apporté une couverture et un thé, puis il s'était assis près de lui pour rester à ses côtés. Il était adossé au canapé, ce qui faisait qu'Akutagawa était en réalité derrière son dos, ce qui lui permettait de lire par-dessus son épaule. Atsushi le laisserait bien se reposer, mais il s'était allongé sur le canapé, et il ne semblait pas vouloir se déplacer. Or, Atsushi s'était installé chez lui depuis quelques jours, et le salon était sa chambre, donc il ne savait pas vraiment où aller pour laisser Akutagawa tranquille... Mais ça présence ne semblait pas déranger Akutagawa, et cela l'arrangeait.
— Ils sont gris de naissance, demanda Akutagawa au bout d'un moment.
Sans comprendre, Atsushi tourna la tête vers lui, et remarqua qu'il tenait une des plus longues mèches de ses cheveux entre ses doigts.
— Euh... Oui..., répondit-il avec gêne. Et toi... ?
— Non, dit Akutagawa, sans lâcher sa mèche, qu'il faisait tourner autour de son doigt.
   — Ok... Tu veux que je t'amène dans ta chambre ?
   — Non.
   — Tu serais peut-être mieux dans ton lit...
   — J'essaye de me reposer, chut.
   — Mais... Techniquement tu es dans ma chambre là...
   — Ta chambre c'est moi qui la paye, donc c'est ma chambre. Et je te signale que ça fait une semaine que tu squattes mon lit, répliqua Akutagawa en lui donnant un petit coup au visage, avec sa mèche de cheveux.
   — M-Mais je fais ça pour te surveiller, se défendit Atsushi en rougissant.
   — Si tu le faisais pour me surveiller, tu dormirais pas de la nuit et tu passerais ton temps à me fixer.
   — ... T'as qu'à me repousser, finit par dire Atsushi.
   — Même si je le voulais, je pourrais pas. Tu m'étouffes contre toi et tu m'empêches de bouger.
   — Je te réchauffe juste.
   — J'ai une couette pour ça.
   — Même sous la couette, tu restes glacé.
   — Je suis pas glacé, je suis sous-oxygéné, c'est différent.
   — Mais donc tu as froid ! Et puis tu m'as jamais demandé de m'écarter.
   — Parce que tu me fais pitié à dormir sur le canapé, répliqua Akutagawa en lâchant finalement ses cheveux, pour retirer sa canule.
   — Bien sûr... Pourquoi tu enlèves ta canule ? T'en as besoin pour respirer !
   — J'aime pas l'air que ça m'apporte, c'est désagréable.
   — Qu'est-ce que tu es têtu, dit Atsushi. Aku si tu as une canule, c'est pas pour rien !
   Akutagawa l'ignora et jeta sa canule sur lui pour l'embêter. Atsushi poussa un soupir, mais il ne chercha pas à répliquer, et se contenta de la ranger dans un étui. Cela ne faisait même pas un jour qu'Akutagawa l'avait, et il refusait déjà de la mettre...
   Il était épuisant, mais Atsushi n'avait pas la force de l'obliger à porter sa canule. S'il commençait à se battre avec lui, Akutagawa le mettrait à la porte, et Atsushi préférait rester avec lui. Il évita alors de déclencher la colère de son colocataire, et garda le silence. Akutagawa en profita pour se redresser faiblement. Il resserra sa couverture autour de lui, et descendit du canapé, pour venir s'asseoir près d'Atsushi.
   — Qu'est-ce que tu faisais pendant ma chimio, questionna-t-il.
   — Je... J'étais avec Chûya...
   — Avec Chûya, répéta Akutagawa sans comprendre.
   — Il a vu qu'on utilisait sa voiture, alors il m'a posé des questions et je lui ai dit que j'avais besoin d'apprendre à conduire pour une mission. Et comme je sais pas conduire, il m'a proposé de m'apprendre à conduire, expliqua Atsushi. C'est pas une mauvaise idée, ça nous éviterait de nous tuer dans un accident de voiture...
   — C'est vrai... Donc il t'a appris à conduire ?
   — Il a essayé, mais il me fait un peu peur, il n'arrête pas de me crier dessus parce que je suis nul, dit Atsushi en se grattant la nuque.
   — Chûya crie sur tout le monde. Dazai sait que tu étais avec lui ?
   — Non, pourquoi ? Tu penses que je devrais le prévenir ?
   — Non, mais il risque d'être jaloux.
   — Tu penses, demanda Atsushi avec inquiétude.
   — Dazai est jaloux de tout. Il a réussi à être jaloux de Fyodor, dit Akutagawa en s'accoudant à la table devant lui.
   — Vraiment ?
   — Oui, parce que Chûya lui a pris la main dans la prison, quand ils ont failli se noyer. 
   — Mais pourquoi est-ce qu'il est jaloux ? Je croyais qu'il détestait Chûya ?
   Akutagawa dévisagea Atsushi sans répondre, et Atsushi se sentit idiot sans comprendre pourquoi. Pourquoi est-ce qu'il le fixait ainsi ? Dazai et Chûya se détestaient non ? Ils n'arrêtaient pas de le dire, et ils passaient leur temps à se disputer ! Dazai n'avait pas de raison d'être jaloux des relations de Chûya, c'était un peu étrange... Surtout que Chûya avait manipulé Fyodor, et il le savait très bien.
— Atsushi, ouvre les yeux, dit Akutagawa en lui donnant une tape sur le front.
— Mais quoi ?!
— Entre l'amour et la haine, il n'y a qu'un pas. Et Dazai et Chûya franchissent souvent ce pas.
— Vraiment, dit Atsushi avec surprise. J'y avais jamais fait attention...
— C'est évident pourtant. Ils passent tout leur temps ensemble, ils se taquinent, et Dazai a déjà demandé à Chûya de faire un suicide amoureux avec lui. Et puis Fyodor c'est son rival, c'est normal qu'il soit jaloux.
— Oh... Il faut croire que je suis un peu aveugle en amour, dit alors Atsushi avec un petit rire. J'ai du mal à comprendre pourquoi il est jaloux de lui, Fyodor et Chûya se sont mutuellement manipulés.
— Il ne faut pas chercher à comprendre Dazai, soupira Akutagawa, en laissant sa tête tombait sur l'épaule d'Atsushi.
Le rouge monta immédiatement aux joues d'Atsushi, et il ne put s'empêcher de regarder Akutagawa avec gêne. Il n'avait jamais mis sa tête sur son épaule ! Est-ce qu'Atsushi devait comprendre quelque chose ?!
— Je suis juste fatigué, rêve pas, dit Akutagawa en levant les yeux vers lui.
— Oh oui... Oui bien sûr.
Évidemment, pourquoi mettrait-il sa tête sur son épaule sinon ? Atsushi devait arrêter de se faire des films...
— En tout cas, je trouve ça amusant que Dazai soit jaloux de Fyodor, reprit Akutagawa. Sachant que lui, il ne s'est pas gêné pour danser avec Sigma.
— Vraiment ?!
— Tu savais pas ?
— Non ! Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Dazai était avec Sigma dans la prison, pendant que Fyodor était avec Chûya et il a dansé avec lui. Chûya n'a pas vraiment apprécié. Mais en même temps, Dazai n'a pas apprécié que Chûya prenne la main de Fyodor.
— Comment tu sais tout ça, demanda Atsushi avec étonnement. T'étais un vampire à ce moment !
— Chûya l'a raconté à Gin, et Gin me l'a dit.
— Oh... De toute façon Fyodor est mort, donc Dazai n'a plus de raison d'être jaloux.
— Parce que tu penses vraiment qu'il est mort ?
— Pas toi ?
— Les fléaux comme lui disparaissent jamais vraiment. Regarde Dazai, tout le monde essaie de s'en débarrasser, et pourtant il est toujours là, dit Akutagawa en haussant les sourcils.
— C'est vrai, dit Atsushi avec un sourire. Mais il a quand même perdu un bras, et Dazai l'a répété à toute l'agence pendant un mois !
— Tu l'as vu le bras toi ?
— Non, Nikolaï l'a gardé... Mais Dazai l'a vu, et il était bien détaché !
Akutagawa ne répondit pas, et laissa un moment de flottement entre eux. Cette discussion perturbait Atsushi. Fyodor était censé être mort cinq mois plus tôt, et même si son corps avait été introuvable dans les débris de l'hélicoptère, sa mort était évidente ! Il n'avait pas pu survivre, et puis il avait tout de même perdu un bras. Depuis sa mort, plus rien ne s'était passé, Nikolaï n'avait donné aucun signe de vie, et Sigma était plongé dans un étrange coma, et était retenu à Mersault. Suite à la chute de Fyodor, tout était redevenu normal, les vampires étaient redevenus humains, et Akutagawa avait pu être sauvé à temps de la mort. Atsushi avait toujours du mal à se remettre de sa « mort », il avait vraiment cru qu'il l'avait perdu, mais Bram l'avait mordu juste avant qu'il ne meure, ce qui avait permis de le sauver. Atsushi détestait repenser à ce moment, et il espérait vraiment que cette situation n'arriverait plus jamais.
— ... Tu penses qu'il fait quoi avec son bras, demanda finalement Akutagawa.
— Quoi ?
— Nikolaï. Tu penses qu'il fait quoi avec le bras de Fyodor ?
— Je pense qu'il l'a enterré... Enfin j'espère ?!
— Si ça se trouve il l'a gardé.
— Mais pour quoi faire ?!
— Je sais pas, Nikolaï est bizarre alors... Si ça se trouve il a exposé son bras.
— Mais t'es horrible Aku, s'exclama Atsushi avec horreur. En plus ça doit être répugnant, son bras doit être décomposé !
— Ou alors il l'a brûlé et il garde ses cendres.
— Arrête, s'écria Atsushi en couvrant sa main de sa bouche pour le faire taire.
— Chûya m'a dit qu'à sa place, il aurait gardé le bras et il s'en serait servi pour faire peur à Dazai, continua Akutagawa, en attrapant sa main pour la lui baisser.
— C'est horrible, gémit Atsushi. Maintenant je vais imaginer Chûya qui se balade avec le bras de Fyodor...
— Dazai serait capable d'être jaloux de ça, parce que ça serait comme si Fyodor vivait avec Chûya.
— Il est grave...
— C'est pas nouveau.
— Oui mais bon... J'espère vraiment que Nikolaï n'a plus le bras de Fyodor, et que Chûya ne le récupérera jamais. En tout cas, je trouve ça étonnant que Dazai l'aime, parce qu'il passe son temps à draguer des femmes. Je pensais pas que Chûya était son style...
— C'est quoi ton style, demanda alors Akutagawa.
— C'est... Enfin... Je sais pas, j'en ai pas vraiment... Mais je sais que je ne pourrais jamais m'intéresser à quelqu'un comme Nikolaï, ou comme Dazai et Fyodor... Et toi, demanda timidement Atsushi.
— Tant que ce n'est pas une personne faible, ça me va.
Atsushi acquiesça lentement la tête. Akutagawa trouvait tout le monde faible, y compris lui... Ce n'était pas qu'il avait espéré quoi que ce soit, il aurait été étrange qu'il soit le style d'Akutagawa, mais... Il était tout de même déçu...
Il se racla la gorge pour masquer son malaise, et se rendit compte qu'Akutagawa tenait toujours sa main dans la sienne, en plus d'avoir sa tête posée sur son épaule. Ils étaient vraiment proches, c'était inhabituel... Mais c'était réconfortant, ce geste de douceur lui faisait oublié tout le stress qu'il ressentait depuis plusieurs jours. Atsushi fit comme s'il n'était pas déstabilisé par cette proximité, et termina de remplir son agenda pour s'occuper. Il avait retranscrit le planning des séances de chimiothérapie, les jours de bilan sanguin, ainsi que les heures de prise de médicaments. Il avait décidé de s'occuper lui-même de ce planning, pour qu'Akutagawa n'ait pas à gérer cela. C'était aussi lui qui avait récupéré tous les médicaments dont il avait besoin, ainsi que sa canule. Akutagawa ne chercha pas à regarder ce que contenait son planning, et continua de fixer le visage d'Atsushi en silence.
Il le regardait souvent ainsi. Ses yeux se rivaient sur lui et ne semblaient plus vouloir se détourner. Ils l'observaient, suivaient ses mouvements, détaillaient les traits de son visage et capturaient chacune de ses expressions. Atsushi avait pris l'habitude d'être ainsi dévisagé. Au départ, il questionnait Akutagawa pour essayer de comprendre pourquoi il le fixait, mais Akutagawa lui disait seulement qu'il ne faisait que le regarder, comme s'il était un élément de décor, rien de plus. Il ne lui donnait jamais vraiment de réponse, et Atsushi n'en cherchait plus. Le regard d'Akutagawa ne le dérangeait pas, il n'avait rien de méchant ni d'intrusif. Il le contemplait simplement, comme s'il se trouvait face à un tableau en mouvement. Et Atsushi aimait voir ses yeux s'éclaircir lorsqu'ils étaient posés sur lui.
Atsushi finit par faire glisser son agenda vers Akutagawa, ainsi que les différentes boîtes de médicaments.
— Je t'ai marqué quoi prendre, et à quel moment de la journée.
— Pourquoi est-ce qu'il y a autant de médicaments, dit Akutagawa d'un air déprimé.
— Parce que tu vas devoir en prendre plusieurs pendant la journée, c'est presque que des gélules et des comprimés.
— Je vais avaler plus de médicaments que de nourriture.
— Oui... Mais il faut que tu manges aussi, c'est important. Surtout que tu vas perdre beaucoup de force, donc tu dois prendre des vitamines. Et il faut que tu mettes ta canule !
— J'aime pas ça. Et puis si je la mets et que quelqu'un vient me voir, il saura que je suis malade.
— T'es pas croyable... Tu as prévenu Gin et Chûya que tu étais malade ?
L'expression d'Akutagawa changea immédiatement, son visage se ferma, il se redressa et lâcha Atsushi, et resserra les pans de sa couverture autour de lui.
— Non, et je compte pas le faire.
— Aku, c'est ta sœur, elle aimerait le savoir... Et elle peut-être là pour toi. Et Chûya est proche de toi, il peut te soutenir.
— Je veux pas leur dire, Gin va s'inquiéter et être triste, et Chûya va vouloir s'occuper de tout.
— Justement, ça te ferait du bien de pouvoir relâcher la pression, et laisser quelqu'un s'occuper vraiment de toi. Et puis c'est ta famille, tu dois lui dire !
— J'ai pas envie qu'ils me regardent comme si c'était la dernière fois qu'elle me voyait.
— Pourquoi ils le feraient ?
— Parce que c'est comme ça que toi tu me regardes.
Le cœur d'Atsushi manqua un coup, alors qu'un blanc glacial tombait entre eux. Akutagawa ne lui avait pas dit cela de manière agressive, mais il avait prononcé cela rapidement, comme si cela lui avait échappé et qu'il gardait cette phrase pour lui depuis un moment.
— Je te regarde pas comme ç-
— Si, coupa immédiatement Akutagawa.
— Je suis le premier à te dire que tu vas t'en sortir, pourquoi je te regarderais comme ça ?
Akutagawa ne répondit pas, et fixa les médicaments devant lui en l'ignorant.
— Aku, pourquoi je te regarderais comme ça, insista Atsushi en se penchant vers lui.
Son ennemi garda le silence, et continua de faire comme s'il n'était pas là. Sa mâchoire était contractée, ses poings serrés sur ses cuisses, et ses pupilles s'étaient assombries. Son visage était encore plus fermé que lorsqu'il parlait de Gin et Chûya, Atsushi n'arrivait pas à savoir s'il était en colère contre lui, ou s'il se retenait simplement de craquer...
— Aku, tu vas t'en sortir, et je te regarde pas comme si c'était la dernière fois que je te voyais, dit doucement Atsushi.
Toujours aucune réaction. Il tendit alors la main pour la poser sur son épaule, mais une bande noire jaillit de nulle part et agrippa son poignet. Atsushi n'avait pas senti le pouvoir d'Akutagawa avant que son Rashômon ne s'empare de lui, et il ne put s'empêcher de sursauter en la sentant serrer son poignet. Il ne pensait pas qu'Akutagawa pouvait encore utiliser ses pouvoirs, ni même qu'il l'utiliserait soudainement, contre lui. Il avait dû puiser au plus profond de lui pour réussir à le manifester, car il avait pâli, et il semblait déjà sur le point de s'écrouler. Mais il n'avait pas bougé, et il refusait toujours de le regarder. Il était aussi rigide qu'une statue de marbre.
— Arrête de mentir, dit-il à voix basse.
— Je mens pas, s'exclama Atsushi en essayant de défaire son poignet de son étreinte.
— Tu me regardes comme si j'allais mourir d'une seconde à l'autre.
— Non ! Je te regarde peut-être avec inquiétude, mais je-
— Tu passes tout ton temps avec moi parce que tu penses que si on se sépare pendant une heure, je vais peut-être mourir, répliqua Akutagawa d'une voix plus forte, alors que son Rashômon serrait un peu plus le poignet d'Atsushi.
— Non, c'est pas pour ça que je suis avec toi ! Je suis avec toi pour t'aider, pour te soutenir et-
— Et tu crois que ça m'aide de te voir te comporter comme si j'étais sur le point de mourir ?! Tu me parles comme si c'était la dernière fois que tu le faisais, et quand tu me vois le matin, t'es presque aussi surpris que soulagé de voir que je suis toujours en vie !
— Aku, je...
— Tu me fais des plannings, tu me surveilles sans arrêt, tu me suis partout comme si j'allais m'écrouler en marchant, tu vérifies que je me noie pas sous la douche quand je reste trop longtemps dans la salle de bain, tu vérifies que je recrache pas mes médicaments, et tu consultes tous les sites qui existent sur le cancer pour savoir comment agir avec moi ! T'es juste stressant, tu me donnes encore plus l'impression d'être en train de mourir ! Je sais déjà que je vais mourir, mais toi tu accélères tout et tu me donnes l'impression que ma mort est imminente ! Ça fait une semaine que je sais que je suis malade et depuis qu'on le sait, tu me parles plus que de ça, et tout le monde me parle plus que de ça ! Les dix dernières personnes que j'ai vu m'ont parlés de mon cancer, vous ne faites que ça et je peux même plus penser à autre chose ! E-et le pire, c'est que tout le monde me dit de m'accrocher et de me battre, mais je suis censé me battre contre quoi ? Je peux rien faire, je peux pas contrôler ça, je sais pas me battre contre des cellules et des tumeurs ! Et à quoi ça sert que je m'accroche ? Mon mental changera rien, le bonheur ne fait pas disparaître le cancer ! Alors arrêtez de me dire que je dois me battre, arrêtez de tous vous mettre sur mon dos, et arrêtez de faire comme si vous y croyez parce que je sais que vous vous attendez tous à ce que je meurs ! Je le vois dans votre regard, personne n'y croit, même pas toi Atsushi... Tu penses que je vais mourir, et c'est pour ça que tu veux rester avec moi... E-Et... J'avais juste besoin que toi au moins tu y crois...
Une goutte d'eau glissa sur la joue d'Akutagawa lorsqu'il ancra son regard dans celui d'Atsushi, et un nouveau silence s'abattit entre eux. Un voile noir était tombé sur ses iris, si bien qu'ils étaient à présent aussi sombres que ses cheveux, et les larmes qui brillaient dedans les faisaient étinceler d'une triste lueur. Ils étaient comme un ciel étoilé après un jour d'orage. Le cœur d'Atsushi tambourinait si vite contre sa poitrine que s'en devenait douloureux, et sans qu'il ne s'en aperçoive, ses joues s'étaient aussi recouvertes d'eau. Une violente panique l'envahissait sans qu'il ne comprenne pourquoi, si bien que sa tête se mettait à tourner, et qu'il commençait à manquer d'air.
— Aku..., murmura-t-il d'une voix tremblante.
— Laisse-moi, je veux rester seul, dit Ryûnosuke en détournant la tête.
La bande noire qui emprisonnait le poignet d'Atsushi se retira, avant de disparaître, comme une traînée de poussière s'évaporant dans les airs. Il ne restait plus qu'une marque rouge sur sa peau, mais Atsushi n'y fit pas attention. Akutagawa avait déjà baissé les yeux, et il n'arrivait pas à retrouver son contact visuel.
— Aku... Je veux pas te laisser...
— Tu devras le faire à un moment.
Sa remarqua provoqua une nouvelle vague de panique chez Atsushi, et il ne réussit pas à répondre. Il devait partir, Akutagawa ne voulait plus le voir...
Son corps était engourdi, refroidi, comme s'il avait été plongé dans la neige, mais Atsushi réussit à se lever. Il bougea lentement, contourna Akutagawa, et quitta son appartement sans réussir à prononcer le moindre mot. Sans réfléchir, il s'engagea dans les escaliers et dévala les marches à toute vitesse, incapable de réfléchir correctement. Mais lorsqu'il arriva au bas des escaliers, une violente douleur prit son cœur et le tordit, et il fut contraint de se laisser tomber sur la dernière marche. Il s'assit dessus et se prit la tête entre les mains, il gonfla sa poitrine pour essayer de respirer, mais un poignard transperça son torse, et il fut incapable de faire quoi que ce soit.
Que lui arrivait-il ? Pourquoi était-il aussi paniqué ? Pourquoi sentait-il son cœur exploser dans la poitrine ?
Il tremblait de tout son corps, comme si du givre le recouvrait, si bien que ses ongles étaient devenus violets. Des larmes dévalaient ses joues sans qu'il ne puisse les arrêter, elles brûlaient sa peau, chaque goutte d'eau salée qui tombait sur lui l'éraflait. Les cristaux de sel de ses larmes déchiraient sa peau, ils se frottaient contre, tombaient les uns sur les autres, entaillaient ses joues. Sa chair était à vif, et sa tristesse continuait de la réduire en lambeaux. Mais Atsushi ne sentait qu'à peine les perles de feu qui tombaient sur son visage. Il était trop bouleversé pour penser à ses larmes, ce qu'avait dit Akutagawa l'avait frappé de plein fouet, si bien que s'en devenait physiquement douloureux.
Les battements de son cœur étaient devenus si forts qu'ils l'empêchaient de penser à autre chose. Son cœur tambourinait contre sa poitrine sans répit, il la frappait avec acharnement, et Atsushi sentait son thorax se perforait à chaque coup. Sa peau s'effritait, elle se trouait dans une plaie béante, et son cœur grandissait, jaillissait de sa poitrine avec fureur, dans une explosion de sang chaud et de douleur. Il grandissait tant qu'il écrasait tous ses organes, il s'enfonçait dans le poignard qui pénétrait son torse et saignait sur son ventre, et Atsushi souffrait à tel point qu'il ne parvenait pas à respirer. Ses sanglots l'étouffaient, ses poumons se vidaient, et son cœur mourait. Chaque inspiration qu'il prenait s'évaporait dans sa bouche, ses poumons étaient écrasés sous la peur, compressés, ils ne se remplissaient plus que de terreur et d'effroi.
La panique qui grandissait en lui était si forte qu'elle l'assommait et l'étourdissait. Il se noyait dans ses larmes sans pouvoir lutter, il voudrait crier, appeler à l'aide, mais sa voix s'était éteinte, et son corps était paralysé. Sa respiration sifflait, elle était irrégulière, douloureuse. Il n'avait jamais été dans un tel état, il ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Il avait déjà été angoissé, mais jamais à ce point. La panique n'avait jamais pris possession de son corps au point de lui priver de ses sens, elle ne l'avait jamais paralysé et glacé de cette manière, et son cœur n'avait jamais autant souffert sous la peur. Il n'entendait plus que son sang qui battait contre ses tempes, il ne sentait plus que son âme mourir en lui, il ne voyait plus que ses jambes trembler, il ne pouvait plus que crier en silence, et sentir un goût de métal envahir sa bouche.
Désespéré, Atsushi ferma les yeux et se força à prendre une inspiration, et à ignorer la douleur qui l'assaillait. Il devait se calmer, tout allait bien, tout allait bien... Tout allait s'arranger. Ce n'était qu'une dispute, il n'y avait pas de quoi se mettre dans un tel état...Tout allait bien, tout allait bien...
Il n'avait pas le droit d'avoir peur. Il n'avait pas le droit de craquer, pas maintenant, pas aussi tôt. Il devait rester fort, il devait tenir, il n'avait pas le droit de céder à la terreur maintenant. Akutagawa avait besoin de son espoir, il avait besoin qu'il reste fort, Atsushi n'avait pas le droit de craquer...
Mais... Mais tout cela était trop... Comment pouvait-il tenir ? Les mauvaises nouvelles s'enchaînaient, Akutagawa s'affaiblissait chaque jour, il crachait de plus en plus de sang... Les piles de médicaments s'agrandissaient, les ordonnances s'empilaient les unes sur les autres... Les prises de sang... Les scanners... Les séances de chimiothérapie... Les métastases... Les pilules à avaler... Les mouchoirs tachés de sang... Les vomissements... Les halètements... Les pleurs... L'attente... Le stress... Tout cela était trop, Atsushi ne tenait plus. Il ne savait pas comment gérer cela, il essayait, il essayait vraiment, il faisait tout pour rester positif et répéter sans cesse que tout se passerait bien... Mais qu'en savait-il ? Akutagawa avait raison, lui-même n'arrivait pas à y croire. Il ne savait plus quoi penser, il se forçait à dire qu'il guérirait mais... Mais... Mais chaque jour qui passait lui donnait l'impression de perdre Akutagawa...
Il ne voulait pas le perdre. Il voulait rester avec lui, qu'ils continuent leur mission ensemble, qu'ils se disputent pour savoir qui était le doué, qu'ils se baladent le long des quais en portant les courses que leur avait demandé Dazai, qu'ils se protègent l'un et l'autre comme ils le faisaient toujours, qu'ils fusionnent leur pouvoir et que la chaleur du Rashômon enveloppe le corps d'Atsushi... Il voulait continuer de dormir avec Akutagawa, que son corps reste blotti contre le sien, que sa tête repose sur son bras et qu'il le regarde méchamment lorsqu'il lui retirerait son bras pour changer de position, qu'ils se réveillent ensemble et paressent dans le lit, qu'ils jouent à des jeux de lettres en se lançant des défis stupides, et qu'ils ne soient jamais séparés.
Atsushi ne voulait pas être séparé d'Akutagawa. Il tenait trop à lui, il avait besoin de lui... Et la seule idée de le perdre suffisait à le terroriser.

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Hehe, ça faisait longtemps que je ne vous avais pas fait de crise d'angoisse ! J'en ai au moins une dans presque toutes mes histoires, donc vous vous doutiez bien qu'il y allait aussi en avoir une ici. Elle est assez courte, mais ça fait un moment que j'en ai pas écrite, donc je suis assez satisfaite de moi. Et puis ça faisait longtemps que je n'avais pas fait d'histoire triste... Ça fait aussi un moment que je n'ai pas tué quelqu'un dans mes histoires 🙂

J'aime vraiment ce chapitre, surtout parce qu'il y a beaucoup de love language dedans, avec tous les contacts physiques qu'ont Aku etAtsushi. Je trouve ça mignon !

À demain, zoubi zoubi !

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant