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LE REVERS DU MIROIR NOIR

Le premier amour

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   — Vous êtes en train de me dire que votre cible a disparu, demanda Chûya en haussant un sourcil.
   — Elle n'a pas disparu à proprement parler, disons qu'elle a plus... qu'elle est momentanément sortie de notre champ de vision et...
   — Elle devait sûrement avoir un pouvoir d'invisibilité, dit Tachihara pour venir en aide à Higuchi.
   — Non, elle n'avait aucun pouvoir, s'énerva Chûya. Comment est-ce que vous avez pu la perdre ?! Vous aviez une chose à faire, la suivre !
   — Oui mais... mais on l'a fait, se défendit Higuchi d'une voix mal assurée.
   — Visiblement non !
   — C'est de la faute de Tachihara !
   — Pas du tout, c'est Gin qui nous a retardé, dit Tachihara en croisant les bras.
   — Mais non, s'indigna Gin.
   Chûya se prit la tête entre les mains, laissant ses subordonnés se disputer. Des boulets. Il avait une équipe de boulets. Qu'avait-il fait pour mériter ça ? Il méritait mieux non ? Et puis leur mission n'était pas impossible, il fallait juste suivre quelqu'un, suivre quelqu'un ! Qu'est-ce qui était difficile là-dedans ?! Rien ! Absolument rien !!
   Trois coups frappèrent soudain à la porte, et Chûya cria pour couvrir la voix de ses subordonnés et faire entrer le nouvel arrivant. Akutagawa ouvrit la porte et s'approcha d'eux, ce qui les fit immédiatement taire.
   — Je peux vous parler, demanda-t-il en ignorant Tachihara, Higuchi et Gin.
   — Qu'est-ce qu'il y a, demanda Chûya, qui était assis à son bureau.
   — C'est... privé.
   Chûya fixa un instant Akutagawa, qui se tenait immobile devant lui. Il avait presque l'air normal, aussi froid que d'habitude, mais il y avait quelque chose de différent dans son apparence. Chûya ne saurait dire quoi. Il portait toujours ses vêtements de travail et son manteau noir, ses longues mèches de cheveux encadraient toujours son visage, et son expression était toujours aussi calme. Seulement... L'étincelle de détermination qui brillait dans ses yeux avait mystérieusement disparue, et Chûya n'eut aucun mal à comprendre de quoi voulait parler Akutagawa. Par privé, il devait sûrement entendre Atsushi.
   — Sortez, dit-il sèchement à l'adresse de ses subordonnés. Et retrouvez-moi cette putain de cible ou vous deviendrez mes propres cibles.
   Ils s'exécutèrent immédiatement et sortirent en silence, après s'être excusés pour leur échec à leur mission. Akutagawa attendit qu'ils sortent tous et que Gin referme la porte derrière elle, puis il s'assit sur la chaise devant le bureau de Chûya. Mais aucun son ne sortit de sa bouche. Il se contenta de le fixer, ses mains jointes sur ses genoux, les sourcils froncés, comme s'il peinait à trouver ses mots.
   — Je suppose que c'est à propos d'Atsushi, dit alors Chûya pour l'aider.
   — Oui.
   Akutagawa n'ajouta rien d'autre. Il n'avait pas l'air décidé à parler... Chûya devrait peut-être lui dire qu'il était au courant de sa situation avec Atsushi. D'ailleurs, toute l'agence des détectives semblait être au courant, et la mafia portuaire devait bien se douter de quelque chose. Il fallait dire que depuis un moment, Akutagawa dormait de moins en moins chez lui, et il criait beaucoup moins sur les autres. Il était moins irritable, plus patient, plus détendu.
   Et puis Chûya et Dazai l'avaient vu avec Atsushi. Comme ils soupçonnaient une relation entre eux, un soir ils s'étaient postés sur un balcon, dans l'immeuble en face de chez Atsushi. Ils s'étaient installés dans une voiture avec un équipement de haute qualité, à savoir des jumelles, du vin et des pop-corn pour Dazai, et ils avaient discrètement espionné leur cible. Autant dire que lorsqu'ils avaient vu Atsushi s'allonger sur Akutagawa et se faire câliner, ils s'étaient étouffés avec leur vin. Puis Atsushi s'était mis à embrasser son cou, et c'était mignon... Puis il avait embrassé sa poitrine, ce qui restait adorable... Puis il était descendu sur son ventre, ce qui devenait un peu louche... Et puis sa tête était descendue entre ses jambes, et Chûya avait frôlé le malaise.
   Alors oui, il était au courant pour leur relation, et il se doutait bien que si Akutagawa venait lui parler aujourd'hui, c'était parce qu'il ne s'agissait pas juste d'une histoire de sexe.
   — Bon... Je sais qu'il y a quelque chose entre toi et Atsushi, déclara Chûya pour gagner du temps. Je vous ai vu, et c'est assez évident. Alors qu'est-ce qu'il se passe ? Tu peux me parler, je répéterai rien, même à Dazai.
   Akutagawa releva la tête vers lui et le regarda d'un air perdu.
   — J'ai couché avec lui, dit-il d'une voix sourde.
   — Je sais.
   — Plusieurs fois.
   — Je sais.
   — Mais c'est mon ennemi.
   — Je sais.
   — Je devrais le détester.
   — La vie n'est ni noire ni blanche Akutagawa. Tu ne détestes pas toujours complètement, tout comme tu peux ne pas toujours aimer complètement. Si on les cherche, on peut trouver des choses à aimer, et on peut trouver des choses à détester, expliqua calmement Chûya. L'amour c'est à la fois un choix et un hasard.
   — Mais j'ai déjà essayé de le tuer, on s'est battu et...
   — Et tu l'as protégé.
   — Parce que je le devais.
   — Rien ne t'obligeait à le protéger, avec un autre tu n'aurais rien fait pour l'aider, et tu détestes le travail d'équipe. Sauf avec lui.
   Akutagawa ne sût quoi répondre, et Chûya se leva. Il contourna son bureau pour se rapprocher de lui et s'assit contre, avant de retirer son chapeau.
— Depuis quand ça dure ?
— Un mois seulement.
— Tu avais déjà eu envie de lui ? Ou juste de l'embrasser ?
— ... Oui, ça m'est arrivé...
   — Qu'est-ce que tu ressens ?
   Akutagawa ouvrit la bouche et chercha ses mots, ses yeux brillants de larmes.
   — Je suis amoureux de lui, dit-il d'une voix tremblante.
   — Je sais, dit Chûya en souriant. Et je pense que lui aussi il t'aime.
   S'il pensait que dire cela rassurerait Akutagawa, il se trompait. Akutagawa lui lança un regard désespéré avant de fondre en larmes, comme si le monde s'abattait sur ses épaules. Chûya écarquilla les yeux avec panique et le regarda sans savoir quoi faire. Il ne s'était pas du tout attendu à ce qu'Akutagawa fonde en larmes, il s'attendait à le voir inquiet, en colère à la rigueur, mais pas à ce qu'il pleure ! Il ne l'avait jamais vu pleurer, il ne pensait même pas qu'il en était capable !
   Mais d'un autre côté, il comprenait sa réaction. Comprendre qu'on aimait son ennemi n'était pas la meilleure des nouvelles. Si cet ennemi n'était qu'une personne qu'on appréciait peu pour des raisons anodines, ce n'était pas un si gros problème. Mais quand cet ennemi était en réalité celui qui était du bon côté de la loi... C'était différent. Chûya aussi s'était senti mal lorsqu'il avait compris qu'il aimait Dazai.
   Le jeune homme s'accroupit devant Akutagawa et lui prit les mains avec calme.
   — Akutagawa, c'est pas grave, murmura-t-il en plongeant son regard dans le sien.
   — Si, c'est grave...
— Non tout va bien.
— C-C'est grave parce qu'on est ennemi, o-on peut pas rester e-ensemble...
   — Non, c'est pas grave ça, il y a toujours une solution.
   — M-Mais on est dans des c-camps opposés, un jour on devra p-peut-être se tuer ! Je p-peux pas l'aimer parce que je pourrais pas toujours être avec lui, un jour on finira par se blesser, e-et je veux pas en arriver là... On p-pourra pas avancer ensemble, on pourra pas espérer que... espérer quelque chose ensemble, e-et... Peut-être qu'un jour je me ferais tuer et si je le laisse m'aimer, je lui f-ferais encore plus de mal en mourant... Un jour je voudrais le sauver et je me ferais tuer pourquoi lui, e-et ça rendra sa souffrance encore plus forte...
   — Akutagawa, coupa Chûya avec calme. Ce que tu dis là, ça peut arriver à tout le monde.
   — N-non...
   — Si. Si Atsushi aimait quelqu'un de l'agence, le problème serait le même, parce qu'eux aussi peuvent mourir et se blesser entre eux.
   — Mais...
   — Akutagawa. L'agence des détectives et la mafia portuaire ne sont pas seulement ennemies.
   — M-Mais si...
   — Non, on fonctionne ensemble. Il y a des mafieux chez les détectives, et il y a des détectives chez les mafieux. Lorsqu'un camp se retrouve en danger, l'autre est toujours là pour le protéger. On s'est uni contre la Guilde, on s'est uni contre les Rats, contre les Anges, on s'est uni à chaque fois qu'il le fallait, et on continuera de le faire. Notre union fait notre force, et ce n'est pas parce qu'un jour, on est ennemi, qu'on le sera tous les jours.
   — Mais je suis une mauvaise personne, murmura Akutagawa en battant des paupières, faisant tomber des larmes sur ses joues.
   — Non.
   — Si...
   — Non pas du tout, assura Chûya en levant sa main pour essuyer ses larmes.
   — Si, je suis pas quelqu'un de-
   — Non. Tu es quelqu'un de bien, même si tu fais de mauvaises choses. Atsushi te connaît, il sait comment tu es, et il ne te demandera pas de changer. Ce qu'il te demandera, c'est d'arrêter de faire du mal autour de toi, et c'est déjà ce qu'il a fait, il t'a demandé de ne plus tuer et tu l'as fait. Mais il ne te changera pas toi, et il aime ta nature, la personne qui se révèle quand vous êtes ensemble. Et même si c'est pas facile tous les jours, et que vous n'êtes pas dans le même camp, vous avez le droit de vous aimer.
   — M-Mais...
   — Vous avez le droit, et vous pourrez vous aimer. Si tu choisis de l'aimer, tu dois aller jusqu'au bout et tu dois t'engager à lui donner tout l'amour que tu as, et à le protéger même si ta vie en dépendait. Tu as le droit de choisir de l'aimer, et tu as le droit de choisir d'y renoncer. Mais une fois que tu auras fait ton choix, tu devras tout faire pour ne pas le regretter et d'aller jusqu'au bout. D'accord ?
   — Oui, dit Akutagawa en reniflant. Comment tu fais avec Dazai... ?
   — Moi j'ai choisi de l'aimer, dit Chûya avec un doux sourire. Même si je le déteste la plupart du temps.
   — Et lui ?
   — Lui il a décidé de me protéger. Ne me demande pas d'expliquer notre relation parce que j'en suis incapable. Dazai n'est pas comme Atsushi, il est beaucoup plus compliqué. Mais je sais qu'il m'aime, et qu'il essaye de me le montrer. Alors je lui offre tout ce que je peux en retour, et c'est très bien comme ça. Mais avec Atsushi ça serait plus simple, lui ce n'est pas un suicidaire déséquilibré, ajouta Chûya avec un petit sourire.
   — C'est vrai, acquiesça Akutagawa avec un petit rire.
   — Akutagawa c'est la première fois que tu aimes quelqu'un et tu pleures, c'est pas possible ça ! C'est une belle chose l'amour, il faut pas pleurer pour ça, s'exclama Chûya en se relevant. Je propose plutôt qu'on fête ça.
   Il se pencha au-dessus de son bureau et ouvrit un tiroir, pour en sortir une bouteille de vin et des verres.
   — En général je garde ça pour Dazai, mais cet abruti a oublié de venir hier soir alors...
   Chûya ouvrit d'un coup sec sa bouteille et remplit les deux verres. Tant pis pour Dazai !
   — Qu'est-ce que tu aimes chez Dazai, demanda Akutagawa en se levant pour prendre son verre.
   — C'est bien la question que je me pose, ce mec est tellement stupide..., soupira Chûya. Et toi, qu'est-ce que tu aimes chez Atsushi ?
   — Je sais pas, il est insupportable.
   — Ah ouais, dit Chûya d'un air peu étonné. Bon... On trouvera des choses à aimer chez eux.
   — Oui sûrement.
   — Rien ne presse, on a tout notre temps.
   — À force de chercher on trouvera.
   — Il le faut bien.
   Chûya et Akutagawa fixèrent un instant le vide, se demandant sérieusement qu'est-ce qu'ils pouvaient bien trouver à leur amant. Chûya avait beau chercher, il ne trouvait rien à répondre. Il ne devait pas être très net pour aimer Dazai sans rien aimer chez lui.
   Au bout d'un moment d'intense réflexion, Akutagawa finit par sourire et essuya ses joues encore humides.
   — Merci de m'avoir écouté.
   — C'est normal. On est dans le même bateau maintenant, dit Chûya en trinquant avec lui.

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J'ai l'impression que la majorité préfère la seconde intrigue pour la semaine prochaine, celle où ils sont dans un hôtel, donc c'est elle qui sortira ! Oh et j'ai oublié de vous le dire mais en fait c'est une intrigue triste 👀
Sorry 🫠

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant