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LE JARDIN DU PARADIS

Soukoku

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C'était un jour de printemps, celui du premier équinoxe de l'année. Il faisait beau, l'air était léger, il portait le parfum des hortensias, des lilas et des jacinthes qui bordaient le jardin, et laissait une sensation de fraîcheur sur son passage. La brise balançait les branches des arbres dans un craquement mélodieux, les feuilles sifflaient et s'envolaient, flottaient dans le ciel et se perdaient dans l'herbe, dans une chute aussi lente que celle d'une plume. Le décor de ce petit jardin était agréable, plusieurs chênes ombrageaient l'espace, et des bosquets de fleurs étouffaient le bruit du parc, les cris des enfants et les courses des adultes, les fontaines sur les aires de jeu et le murmure des ruisseaux dans la terre. Seules les mélodies les plus délicates parvenaient à ce petit coin paradisiaque, ce qui en faisait un endroit parfait pour la lecture.
Il y avait un hamac de mailles claires, étiré entre deux troncs d'arbres, et Chûya était assis dedans. Il était adossé contre le torse de son petit ami, qui le tenait contre lui, un bras autour de sa taille. Ses jambes croisées étaient étendues sur le hamac, sa tête posée sur la poitrine de son petit ami, et tous les deux étaient plongés dans leur lecture. Chûya lisait un recueil de poèmes, il l'avait trouvé le matin même en fouillant dans sa bibliothèque, et il était là, caché entre deux livres. Le recueil était petit, fin, alors il avait disparu entre deux gros livres, mais les poèmes qu'il contenait étaient longs et magnifiques. Chûya adorait la poésie, il aimait la sensibilité des vers qu'il lisait, la beauté des mots, les rimes en miroir et les alexandrins. Et plus que tout, il aimait les lire ici, dans ce jardin à l'écart de la ville, enveloppé dans l'étreinte chaleureuse de Dazai.
Ce n'était pas le seul à être tombé amoureux de ce jardin. Au fil du temps, des habitués s'étaient démarqués, et Chûya avait remarqué qu'il voyait toujours les mêmes personnes, assises aux mêmes endroits de ce jardin. Il avait même fini par en rencontrer quelques-unes. Assis sur une couverture à carreaux, un peu plus loin, deux hommes du nom de Ranpo et Edgar venaient régulièrement ici. Chûya ne leur avait jamais parlé mais il les avait entendu s'appeler ainsi, et il supposait qu'ils devaient travailler ensemble. Ils emmenaient toujours avec eux des listes, des pages couvertes de noms, et ils griffonnaient dessus, dessinaient, faisaient des schémas et des croquis. Ils semblaient toujours préparer une histoire, un roman policier sûrement. Une fois, Chûya avait entendu Ranpo dire « Il pourrait avoir appartenu à la mafia, ce serait un bon mobile. ».
Plus loin, allongé dans un autre hamac, il y avait un autre couple de jeunes garçons. Dazai avait trouvé cela drôle, de croiser un couple d'hommes ici, alors il était parti à leur rencontre et Chûya l'avait suivi. Le plus jeune des deux était Atsushi, et le plus âgé était Ryûnosuke. Si la lune avait une ombre, la métaphore collerait parfaitement à ce couple, Chûya en était sûr. Ils étaient aussi différents que le clair et l'obscure, Atsushi était une parcelle de lumière et Akutagawa était une ombre errante. C'était peut-être pour cela qu'ils allaient aussi bien ensemble. Ryûnosuke s'allongeait toujours contre Atsushi, il posait sa tête au creux de son cou et le laissait caresser ses cheveux, et Atsushi lisait avec lui, ou bien ils se reposaient simplement ensemble, dans l'abri des arbres.
À l'opposé, assis sur un banc, trois hommes étaient aussi des habitués. Chûya ne connaissait pas leur nom, mais il avait remarqué que deux d'entre eux avaient un accent étranger assez prononcé. Sûrement un accent russe, ils n'avaient pas l'air japonais. Chûya les trouvait plutôt amusants tous les trois. L'un d'eux avait les cheveux noirs, c'était celui qui avait l'accent le plus prononcé. Il s'asseyait toujours à droite, au seul endroit du banc où il y avait l'ombre d'un arbre. Il lisait toujours un livre différent, il semblait toujours avoir chaud, et il mettait de la crème solaire toutes les deux heures. Étant roux et avec une peau fragile, Chûya le faisait aussi, ce qui le faisait rire. Les deux autres jeunes hommes étaient plus dissipés en revanche. Ils jouaient souvent aux cartes ensemble et finissaient par se chamailler en silence, ou même à se bagarrer. Parfois, Chûya croisait le regard désespéré de celui aux cheveux noirs, et il lui lançait un regard plein de compassion pour lui montrer qu'il comprenait sa souffrance avec ses amis.
— Chuchu, appela Dazai, coupant Chûya dans ses pensées. Je crois que ce jardin est magique.
— Vraiment, demanda Chûya sans lever les yeux de son livre.
— Oui, on ne doit pas tous pouvoir y entrer.
— Qu'est-ce qui te fait dire ça ?
— À mon avis, les hétérosexuels ne peuvent pas entrer ici, déclara Dazai avec sérieux.
Soudain intéressé par l'idiotie que venait de dire son petit ami, Chûya referma son livre et leva la tête vers lui.
— Donc tu connais la sexualité de tout le monde ici ?
— Ici, je peux t'assurer que tout le monde aime les quelqu'un du même genre que lui.
— Hmm. Et même eux, demanda Chûya en pointant du doigt deux autres habitués. On dirait un couple.
Cette fois-ci, il s'agissait d'un homme et d'une femme. Il était roux, il détestait lire et rester assis plusieurs heures, et elle avait de longs cheveux noirs, un masque sur le visage pour se protéger du pollen, elle aimait dessiner des aquarelles et bronzer sous le soleil décadent. Au bout d'un moment, Chûya s'était rendu compte qu'elle était la sœur de Ryûnosuke, probablement sa cadette, car elle avait exactement le même visage que lui.
— Eux ils sont juste meilleurs amis, dit Dazai avec un geste de la main.
— Tu dis n'importe quoi, répliqua Chûya en haussant les sourcils.
— Mais non ! Regarde, moi j'aime tout le monde, toi aussi. Atsushi est bi, Ryûnosuke est totalement gay. Ranpo aussi, Edgar est juste Ranposexuel. Sigma n'est rien, mais les deux autres sont clairement ensemble et gays.
— Sigma ?
— Le bicolore. Regarde, ça se voit à des kilomètres qu'ils sont gays !
Chûya tourna le regard vers le banc et analysa les soi-disant gays. Celui aux cheveux noirs lisait tranquillement son livre, comme s'il était seul, et l'autre était en train de mélanger son paquet de cartes. Qu'y avait-il de gay là-dedans ?
— Je ne vois pas en quoi tu peux dire qu'ils sont gays.
— Leur cuisse se frôle ! Et regarde, leur bras aussi !
— Tes arguments sont aussi bancals que toi chéri.
— Mais pas du tout ! Tout à l'heure le clown avait sa main sur la cuisse du pas clown.
— T'as une preuve ?
— Tu me fais pas confiance ?!
— Hmm... Non, dit Chûya en riant.
— ... Bon d'accord il avait sa main sur son genou. Mais quand même !
   — Pfff t'es bête, laisse-les tranquilles, dit Chûya en rouvrant son livre.
   — On a qu'à tous les inviter à la maison, et on leur demandera s'ils sont en couple, proposa Dazai en enroulant sa mèche de cheveux la plus longue autour de son doigt.
   — Tu veux vraiment inviter des personnes que tu ne connais pas ?
   — On les voit toutes les semaines quand même ! On leur parle pas mais on se voit tout le temps, tu veux pas les rencontrer ?
   — Sans plus.
   — Chuchu t'es pas drôle !
   — Bébé, on va pas inviter des gens chez nous juste pour savoir s'ils sont gays.
   — Euh, si ?! Allez, on rencontrerait des personnes comme ça !
   Chûya poussa un soupir, comprenant que de toute façon, il n'avait pas le choix. Une fois que Dazai avait une idée dans la tête, c'était impossible de lui enlever.
   — Bon. Si tu veux on leur propose de venir manger chez nous vendredi soir, finit-il par dire.
   — Oh oui, merci Chuchu, s'exclama Dazai en se jetant sur lui pour l'embrasser.
   — Arrête de me baver dessus !
   — Je vais les inviter, je reviens, dit Dazai en l'embrassant, avant de partir en courant.
   Son dossier étant parti, Chûya bascula brutalement en arrière et manqua de tomber au sol. Il jeta un regard agacé à son petit ami, mais Dazai ne le remarqua pas et fonça vers le trio de jeunes hommes. Il discuta avec eux un instant, puis il fit volte-face et revint en trottinant vers Chûya. Il leva sa main vers lui et se mit à la baisser de haut en bas, et Chûya fronça les sourcils.
   — Qu'est-ce que tu fais ?
   — Ils sont gays, dit Dazai avec excitation.
— Tu leur as demandé ?!
— Je leur ai proposé de venir manger chez nous pour faire connaissance, ils ont accepté, alors je leur ai demandé si je devais aussi compter leur partenaire et le clown a dit qu'il était avec le pas clown ! J'avais raison ! Ça fait un-zéro bébé.
Chûya croisa les bras avec mécontentement sur son torse. Il n'allait certainement pas le laisser gagner aussi facilement, c'était hors de question.
— Ils t'ont clairement dit qu'ils étaient gays ?
— Non mais ils sont ensemble, donc-
— Ok alors je dis qu'ils sont bi.
— Mais Chûya, j'ai gagné ça sert plus à rien !
— Tu as dit qu'ils étaient gays mais ils ne l'ont pas confirmé, et tant qu'ils ne l'ont pas fait, le pari continue, décréta Chûya avec mauvaise humeur.
— Mais t'es un tricheur !
— Pas du tout. Bon va demander aux autres s'ils viennent à ton dîner.
— Je vais gagner le pari de toute façon, dit Dazai d'un air moqueur. Tu sais que tu défis le détecteur de gay en personne ?
— C'est ça, allez vas-y.
— Espèce de tricheur, lança Dazai en s'en allant.
— Je triche pas, je tourne juste les choses à mon avantage, se défendit Chûya, avant de rouvrir son livre avec agacement.

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Voici le premier os de mon recueil ! C'est un peu un os d'introduction, dans les autres os les autres personnages seront plus présents. J'espère qu'il vous a plu !

Demain c'est dimanche, alors il n'y aura pas d'os, donc on se retrouve lundi à midi une :)

Zoubi zoubi 🦦

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant