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PRÈS DES YEUX, LOIN DU CŒUR

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— Vous savez qu'on est là ?
   — Oui pourquoi ?
   — On est trois à être mal à l'aise, vous pouvez arrêter ?
   — Deux techniquement, Fyodor dort, corrigea Gin d'un air amusé. Et puis on fait rien. 
   — Alors qu'est-ce que la main de Yosano fait sur ta cuisse ?
   — J'ai toujours rêvé de faire ça, à chaque fois je voyais des hommes faire ça à leur femme à la télé, et je voulais le faire moi aussi, expliqua joyeusement Yosano.
   — C'est juste pour tester, ajouta Gin en souriant.
   — Je vous rappelle que ma situation amoureuse est catastrophique, donc merci de ne pas m'exposer sous les yeux vos relations épanouies, dit Chûya avec agacement.
Yosano soupira et retira sa main de la cuisse de Gin, pour la reposer sur le volant. Chûya échangea un regard soulagé avec Atsushi, qui était tout aussi gêné que lui, avant de reporter son attention sur la route. Il pouvait déjà voir les bâtiments de Yokohama qui apparaissaient au loin, et plus les tours grandissaient devant lui, plus il sentait de l'angoisse grimper en lui.
Il ne conduisait pas cette fois-ci, et Fyodor non plus. Ils étaient tous les deux assis à l'arrière avec Atsushi, Chûya étant au milieu, et Yosano était au volant. Et elle était ravie de conduire, ou plutôt, d'être à l'avant avec Gin. Elles n'avaient pas arrêté de parler, Chûya n'avait pas écouté toutes leurs conversations, mais il se demandait bien ce qu'elles avaient pu se dire pendant toutes ces heures... Surtout que Gin n'était pas très loquace en temps normal. Les seuls moments où elles n'avaient pas parlé, c'était lorsque Gin avait dormi.
   Chûya aussi aurait bien aimé se reposer pendant le voyage, mais il n'avait pas réussi, et il ne s'était pas reposé de toute la nuit. Il avait passé sa nuit à essayer de consoler Fyodor, en vain, et l'agitation de leur départ l'avait empêché de se reposer. Fyodor avait réussi à s'endormir, sa tête reposait sur l'épaule de Chûya depuis plus d'une heure. Il n'avait presque pas parlé depuis leur départ, et il semblait à bout de force. Chûya aussi avait épuisé toute son énergie.
Le manque de sommeil et l'angoisse le fatiguaient, il se sentait vidé. Dans quelques minutes, il reverrait peut-être Dazai et... Il ne savait plus s'il devait avoir hâte ou non. À son départ de mission, il n'avait qu'une hâte, c'était de rentrer pour le revoir. Mais aujourd'hui... Il ne savait plus. Le revoir l'inquiétait, il n'était pas sûr d'être capable d'affronter sa colère, ou même de lui parler. Il était à fleur de peau et le simple fait de le revoir pourrait le faire fondre en larmes. Il ne savait plus ce qu'il devait faire, discuter avec Dazai, essayer d'arranger les choses, ou bien l'oublier et essayer de se reconstruire loin de lui. Tout s'emmêlait dans son esprit, il était perdu...
   Épuisé, il baissa les yeux sur les mains de Fyodor et vit qu'elles étaient toutes pâles, et que ses ongles étaient bleus. Ses mains étaient souvent ainsi, pourtant Fyodor n'avait jamais froid. C'était sûrement à cause de son angoisse. Chûya lui prit alors les mains et les serra pour les réchauffer. Lui, il allait sûrement se jeter dans les bras de Nikolaï s'il le revoyait... Chûya allait devoir l'empêcher de retourner aussi facilement vers lui.
— Qu'est-ce que vous allez faire en rentrant, demanda Chûya d'une voix éteinte.
— Je vais passer la journée avec Ranpo et il me racontera tout ce que j'ai loupé, dit Yosano. Et ensuite, avec Gin on a décidé de faire une soirée filles avec tout le monde.
— Moi je vais voir Tachihara, il me fera aussi un récap de ce que j'ai manqué, dit Gin en tournant la tête vers lui.
— Et toi Atsushi ?
— Euh... Ben... Moi je vais passer du temps avec Ryû, dit Atsushi avec gêne.
— Hmm...
— Tu sais, t'es pas obligé de parler avec Dazai si t'en as pas envie, dit Yosano en lui jetant un regard dans le rétroviseur. Même s'il est là, rien ne t'oblige à discuter avec lui.
— Mais ils doivent s'expliquer, sinon rien ne pourra s'arranger, dit Atsushi.
— Je sais pas si parler avec lui mènera à quelque chose, soupira Chûya. Ça n'arrangera rien.
— Mais vous pourriez savoir pourquoi il a agi comme ça, et ça pourrait vous aider. Peut-être que ça ira mieux entre vous...
— Un verre brisé ne se recolle pas, dit Gin.
— Mais une feuille de papier froissée peut s'aplatir, répliqua Yosano.
— Les froissements ne disparaissent pas.
— Non, mais la feuille peut redevenir plus lisse. Elle ne sera plus comme avant, mais elle ne sera plus froissée non plus, et c'est un début. Avec le temps elle peut être de plus en plus lisse.
— Encore faut-il trouver la bonne personne pour lisser cette feuille.
— Je ne suis ni un verre, ni une feuille, intervint Chûya.
— Peut-être, mais c'est le même principe, répondit Atsushi. Une fois que le mal est fait, on ne peut plus retrouver son état d'origine, il y aura toujours des cicatrices.
— Et notre but maintenant, c'est de ne pas avoir de nouvelles cicatrices, dit Gin d'un ton grave. Tu devrais rester loin de Dazai.
— Je tiens à lui.
— Tu dois apprendre à te détacher de lui alors.
— N'allons pas trop vite, il faut d'abord savoir ce que pense Dazai, dit calmement Atsushi.
— Vous, qu'est-ce que vous pensez de lui, demanda Chûya avec inquiétude.
— Que c'est un connard, et que ça l'était déjà quand j'avais quatorze ans, dit sèchement Gin.
— Moi je pense qu'il ne réalise pas le mal qu'il fait, et qu'il ne sait juste pas comment montrer qu'il vous aime, dit Atsushi.
— Moi je pense qu'il en a très bien conscience, mais qu'il fait comme si de rien n'était parce qu'il n'a pas le courage de changer, expliqua Yosano. Je pense pas qu'il considère son attitude comme mauvaise, il doit se dire que c'est un pro de la drague.
— C'est vrai, il m'a déjà donné des conseils pour me rapprocher de Ryû et il me disait de l'ignorer et de me moquer de lui pour attirer son attention, dit Atsushi avec dépit.
— Tu ne l'as pas fait j'espère, demanda aussitôt Gin d'un air menaçant.
— Non pas du tout ! Je lui ferai jamais ça ! Je suis parti demander des conseils à Kenji et il m'a dit que je devais être sincère avec lui, heureusement qu'il m'a aidé...
— Donc Dazai craint vraiment en amour. Et c'est lui qui a conseillé Nikolaï, c'est sûrement pour ça qu'il s'est mis a ignoré Fyodor, dit Yosano, en baissant la voix pour que Fyodor ne l'entende pas.
— Nikolaï n'est pas assez stupide pour l'écouter quand même, dit Gin.
— Honnêtement... Je pense que si.
— Peut-être qu'il a conseillé Nikolaï au début, mais il a forcément dû arrêter quand il a vu que Fyodor allait mal, dit Chûya en fronçant les sourcils.
— Il ne faut pas oublier que Dazai déteste Fyodor, je pense pas qu'il en ait grand-chose à faire que Fyodor souffre, dit Yosano avec un regard entendu.
— J'espère qu'il n'a pas fait ça, soupira Chûya.
Personne ne répondit, et tout le monde évita le regard de Chûya. Ils semblaient tous penser la même chose. Mais Dazai n'était pas cruel à ce point, qu'est-ce que ça pourrait lui apporter de voir Fyodor dans un tel état ? Ce n'était ni amusant, ni plaisant de voir une personne se faire rejeter par l'homme qu'elle aime. Chûya refusait de croire que Dazai continuait de guider les actions de Nikolaï, juste pour faire souffrir Fyodor.
Chûya ne chercha pas à poursuivre la conversation. Il se tourna vers Fyodor lorsque la voiture franchit l'enceinte de Yokohama, et secoua doucement son épaule pour le réveiller.
— Fyodor, on arrive.
Fyodor battit des paupières en se redressant difficilement et frotta ses yeux d'un air perdu.
— On est à Yokohama.
— Déjà...
— Dans quelques minutes on sera à la maison.
— Oh... Je ressemble à quelque chose, demanda Fyodor avec fatigue.
— Tu ressembles à un joli russe tout endormi.
— J'aurais préféré rester endormi pour toujours...
— Je préfère que tu te réveilles, on a dit qu'on se marierait ensemble si ça marchait pas avec Dazai et Nikolaï.
   — On n'a pas juste dit qu'on se mettrait ensemble ?
   — Je préfère qu'on se marie, répondit simplement Chûya. On arrive bientôt, si Nikolaï vient et qu'il te parle comme si de rien était, tu te laisses pas faire, ok ?
   — Mais je veux qu'il me reparle, c'est pas grave s'il ne s'excuse pas.
   — Fyodor, on a dit que tu devais pas le laisser se comporter comme un connard ! Il t'a déjà fait assez de mal comme ça, et je tiens à préserver le peu de cœur qu'il te reste.
   — Pourquoi ?
   — Parce que si tu es trop blessé, tu vas finir par devenir fou de chagrin et tu vas vouloir anéantir tout le monde. Il suffit d'une petite peine pour transformer un homme en monstre, et je ne tiens pas à ce que tu anéantisses le monde.
— T'inquiète pas, toi je te garderais dans mon camp, dit Fyodor avec un petit sourire.
— Oh alors je suis rassuré, vas-y, tu peux anéantir le monde.
— D'ailleurs êtes pas trop tristes de devoir vous séparer, demanda Yosano avec un sourire.
— Pourquoi on se séparerait, demanda Chûya avec surprise.
— Vous dormirez plus dans la même chambre !
— Et si vous vous réconciliez avec Dazai et Nikolaï, ils ne vous laisseront plus jamais être... Amis, ajouta Atsushi.
— Ben je peux toujours aller chez Fyodor pour dormir avec lui, et s'ils osent nous empêcher de nous voir, ça confirmera que ce sont des personnes toxiques, déclara Chûya.
— Parce que vous avez besoin d'une confirmation, demanda Gin en haussant un sourcil.
Chûya ne trouva rien à répondre, et Fyodor non plus. En effet, ils n'avaient plus besoin de preuves de la toxicité de Dazai et Nikolaï... Chûya laissa tomber sa tête sur l'épaule de Fyodor, en regardant la voiture s'engager dans l'allée qui menait à l'immeuble de la mafia.
— On devrait se faire une soirée ensemble ce soir, dit-il en levant les yeux vers Fyodor. Pour qu'on imagine Sigma en bébé. Ton rire bizarre me manque.
— Si tu veux, dit Fyodor avec un sourire.
— Oh il y a Ryû là-bas, dit soudain Gin.
— Où ça, demanda aussitôt Atsushi.
— Sur le quai. Il est avec les autres.
   Chûya n'eut pas le courage de chercher leurs amis des yeux, et garda sa tête sur l'épaule de Fyodor. Cependant, Fyodor tourna la tête pour voir qui était présent pour leur retour, et sa réaction fit comprendre à Chûya que Dazai et Nikolaï n'étaient pas là. C'était prévisible, ils n'auraient pas dû s'attendre à les revoir aujourd'hui.
   Après tout, pourquoi viendraient-ils ? Ils étaient en froid, Dazai et Chûya ne se parlaient plus, et Nikolaï refusait de considérer de nouveau Fyodor. Il était normal qu'ils ne soient pas là aujourd'hui. Chûya ne savait pas s'il était soulagé, ou s'il se sentait encore plus mal. Certes, il allait éviter une dispute mais... D'un autre côté, l'absence de Dazai montrait qu'il ne voulait plus avoir à faire à Chûya. Et constater que tout était bel et bien fini entre eux... C'était vraiment douloureux. Pourquoi Dazai ne se battait pas pour lui ? Il lui était donc si indifférent ?
   Chûya leva les yeux vers Fyodor, et vit que ses yeux étaient déjà brillants. Cette situation devait être bien plus douloureuse pour lui.
   — Fyodor c'est pas grave, murmura-t-il en caressant sa cuisse. C'est pas grave.
   — Hmm..., dit Fyodor sans conviction.
   — C'est mieux comme ça, s'ils ne veulent pas parler c'est leur problème.
   — Hmm...
   Chûya le regarda avec peine, sans savoir quoi ajouter. Lui-même avait du mal à croire ses paroles, elles lui semblaient dénuées de sens...
   Yosano arrêta la voiture devant l'immeuble sans prendre la peine de la garer, et tout le monde sortit rapidement. Ils récupérèrent leur valise, avant de se diriger vers leurs coéquipiers qui s'avançaient déjà vers eux. Yosano les abandonna rapidement pour foncer sur Ranpo, Gin l'imita et partit en courant voir Tachihara. Atsushi profita de leur agitation pour trottiner joyeusement vers son petit ami, et lui sauta presque dessus pour le prendre dans ses bras. Akutagawa le laissa faire et lui sourit, avec un vrai sourire, et passa ses bras autour de son cou pour l'embrasser. Atsushi lui rendit son baiser en le soulevant, ce qui attira évidemment l'attention de tout le monde.
Chûya et Fyodor s'arrêtèrent à quelques mètres et les dévisagèrent avec incrédulité. Chûya savait qu'ils étaient en couple, mais il ne s'était pas attendu à ce qu'Atsushi saute sur Akutagawa. Et encore moins qu'Akutagawa lui rende son étreinte ! C'était un spectacle à la fois mignon et embrassant, étaient-ils vraiment obligés de s'embrasser devant tout le monde ? Et puis pourquoi les mains d'Atsushi étaient aussi bas sur le corps d'Akutagawa ?! Un peu de retenue enfin !
   — Hé tes mains, s'exclama Gin en les séparant aussitôt.
   — Mais on est ensemble, dit Akutagawa, ou plutôt Ryûnosuke, qui avait les joues rouges.
   — C'est pas une raison, un peu de pudeur !
   — Moi aussi je suis heureux de te revoir Gin.
   — Il y a même pas dix minutes la main de Yosano était sur ta cuisse, répliqua Atsushi d'un air indigné.
   — C'est totalement différent, et tu devrais le savoir, répliqua Gin avec mauvaise foi.
   — Attends quoi ?! Gin raconte-moi, s'exclama Tachihara avec excitation.
   — Bon Gin laisse-nous, on est occupé, dit Ryûnosuke en prenant la main de son petit ami pour l'entraîner plus loin, et l'embrasser de nouveau.
— J'hésite entre vomir et sauter dans le fleuve pour me noyer, dit Fyodor à voix basse, pour que seul Chûya l'entende.
— Si tu sautes préviens-moi, je viendrais avec toi, dit Chûya en regardant Atsushi dévorer la bouche de son petit ami.
— Je ne me suis jamais senti autant de trop.
— On vit ce qu'on appelle un « grand moment de solitude ».
— C'est certain...
— On va chez moi, demanda Chûya en se tournant vers Fyodor. On peut boire du vin et faire brûler des photos de Dazai et Nikolaï.
— Chûya tu es définitivement mon préféré dans la mafia.
— J'avais cru comprendre, dit Chûya avec satisfaction.
— Hum... Excusez-moi ?
Chûya tourna la tête avec surprise, et vit que Poe s'était silencieusement approché d'eux. Il avait laissé son raton laveur à Ranpo, son visage était baissé et ses yeux se cachaient derrière sa frange, il tenait des livres contre sa poitrine, il semblait vraiment très mal à l'aise.
— Salut Poe, dit alors Chûya pour le détendre. Je m'attendais pas à te voir aujourd'hui.
— Ranpo m'a forcé à l'accompagner... Et... Je voulais vous apporter ça, dit Poe en leur tendant un livre à chacun.
— Qu'est-ce que c'est ?
— C'est un livre que j'ai écrit, je me suis dit que ça pourrait vous remonter le moral, expliqua Poe d'un air embarrassé. Vous êtes pas obligé de les lire si ça ne vous intéresse pas !
— J'aime bien tes livres, dit alors Fyodor.
— Tu connais mes livres ?!
— Oui, je les ai tous lus.
— M-Merci, dit Poe en rougissant vivement. Je savais pas du tout, j'aurais pu t'offrir des livres...
— Il faut bien que je dépense mon argent dans quelque chose.
— Oui c'est vrai... Je... Je voulais aussi vous dire que j'ai un peu parlé avec Dazai et Nikolaï.
— Oh, dit Chûya d'un air faussement détaché. Et... Qu'est-ce qu'ils ont dit ?
— Nikolaï va bien, demanda Fyodor d'un air inquiet.
— Oui, il va bien, je l'ai croisé hier, il était avec Sigma, et... Tout va bien, il ne lui est rien arrivé, rassura rapidement Poe.
Fyodor acquiesça en silence, et Chûya put presque entendre son cœur se fissurer dans sa poitrine. Nikolaï était avec Sigma, et il ne venait même pas l'accueillir. Chûya commençait à sérieusement envisager son meurtre. Nikolaï ne ferait pas le poids face à lui, il pourrait facilement le faire disparaître de la surface de la terre... Mais son meurtre n'était pas la priorité. Le plus important était d'aider Fyodor à encaisser le choc.
— Il viendra peut-être te voir plus tard, tenta Chûya sans conviction.
— Hmm...
— Poe, est-ce que Nikolaï t'a dit quelque chose à propos de Fyodor ?
— Oui, je lui avais parlé avant les photos, il était passé à l'agence. Il nous a dits qu'il ne t'avait pas envoyé de messages parce qu'il ne savait pas comment s'y prendre, surtout qu'il s'était mal comporté avec toi. Il voulait qu'on l'aide à te parler, et il nous a dits que c'était Dazai qui lui avait dit d'agir comme ça. Il nous a aussi dits qu'il n'avait couché qu'une fois avec Sigma, que-
— Arrête, je ne veux pas le savoir, coupa Fyodor en secouant la tête.
— Il a dit qu'il ne n'avait pas aimé, et que ça comptait pas, c'était juste-
— Non arrête, je ne veux pas en parler, supplia Fyodor en se reculant.
— Mais Fyodor, tu as besoin de le savoir, dit Chûya avec peine. Poe peut te donner des explications et-
— Je veux pas parler de ça, je... J'en suis pas capable, je veux pas le faire... Je préfère ne rien savoir.
Fyodor fit soudain volte-face et partit à toute vitesse, entraînant sa valise derrière lui. Il courut presque vers leur immeuble et ouvrit la porte rapidement, avant de disparaître dedans.
— Il faut que j'aille le voir, dit alors Chûya en partant à son tour.
— Si ça ne te dérange pas, je préfère aller lui parler, intervint Poe en le retenant par le bras. Il a besoin d'entendre ce que j'ai à dire, et puis il faut que tu restes là.
— Pourquoi, demanda Chûya avec colère. Il a besoin de moi, je vais pas rester ici à rien faire !
— Chûya, il y a quelqu'un pour te parler, dit Poe avec calme. Il faut que tu restes ici.
Chûya ouvrit la bouche pour protester, mais Poe l'attrapa par les épaules pour le forcer à se tourner, et il se retrouva soudain face à face avec Dazai.
Son cœur loupa un battement et il perdit toutes ses couleurs. Dazai était en face de lui, il portait son habituel manteau beige, ses mains étaient glissées dans ses poches, et il portait toujours ses bandages autour de son cou et ses bras. Il se tenait à quelques mètres de lui, comme s'il ne voulait pas trop s'approcher de lui, et il n'avait plus cet air décontracté qu'il arborait en général. Ses traits étaient plus marqués, des cernes étaient apparues sous ses yeux, et il avait une étrange expression. Un mélange de soulagement, de tristesse, et d'appréhension. Il semblait... Abattu.
Chûya était figé devant lui. Il n'arrivait pas à reculer, ni à s'avancer vers lui. Il était paralysé de peur et de surprise, ses sentiments se bousculaient en lui, il ne savait pas comment réagir. Tout sembla disparaître autour de lui. Il ne restait plus que lui, Dazai, et l'immense vide qui les séparait.
Ils restèrent un long moment ainsi, immobile l'un devant l'autre, à se dévisager sans parvenir à s'exprimer. Mais au bout d'un interminable moment de silence, Dazai fit un pas vers Chûya, et Chûya sentit son cœur s'alarmer et se mettre à battre de plus en plus fort.
— Je crois qu'il faut qu'on parle, dit Dazai dans un souffle.
Chûya acquiesça, déboussolé. Il laissa sa valise à Poe et suivit Dazai sans savoir où il comptait l'emmener. Dazai les fit s'éloigner du groupe, ils marchèrent en silence le long des quais du fleuve qui traversait Yokohama, à une certaine distance l'un de l'autre pour ne pas risquer de se frôler.
Ce silence était oppressant et terrifiant, il aspirait les pensées de Chûya et lui donnait le vertige, il avait du mal à avancer. Mais il n'arrivait pas à briser le silence qui s'était installé entre eux, les mots ne lui venaient pas, et sa gorge était tellement serrée qu'il ne pouvait pas parler. Et puis par où commencer ? Devait-il d'abord s'excuser pour les photos, ou devait-il d'abord lui demander des explications sur son comportement ? Chûya ne savait plus quoi faire, et il avait l'impression d'être le véritable problème. Leur dispute était partie des photos qu'il lui avait envoyées, avant ils s'entendaient bien... Alors tout était de sa faute. C'était à lui de s'excuser, peut-être que s'il le faisait tout redeviendrait comme avant ? Il devait simplement lui montrer qu'il ne se passait rien entre lui et Fyodor, et avec un peu de chance, Dazai lui pardonnerait.
Mais... Chûya n'était pas sûr de vouloir retrouver la relation qu'ils avaient avant cette dispute. Partir loin de Dazai lui avait permis de réfléchir, il avait pu oublier sa peine un instant et penser à lui, il avait pu s'amuser, respirer... Et passer autant de temps avec Fyodor lui avait fait du bien. Il avait toujours su que sa relation avec Dazai n'était pas très saine, mais Fyodor l'avait aidé à réaliser à quel point Dazai lui faisait du mal. Comment était-il possible que Fyodor, qui était un terroriste, un manipulateur, et un homme que Chûya connaissait à peine, avait réussi à le faire se sentir bien en deux semaines, alors que Dazai, qui était son partenaire et l'homme qu'il aimait, n'y arrivait pas ? Ça n'avait pas de sens, et Chûya ne voulait plus souffrir avec lui. Il avait besoin de voir que Dazai pouvait aussi lui apporter du bonheur...
Après quelques minutes de marches, Dazai les fit s'asseoir sur un banc, face au fleuve, et ils observèrent le soleil descendre dans le ciel et se refléter dans l'eau. Le ciel avait une teinte orangée, et plus le soleil descendait dans l'eau, plus il rougissait. Chûya le contempla longuement à travers l'eau, le regard perdu dans les vaguelettes qui apparaissaient sous la brise, jusqu'à ce que Dazai prennent la parole.
— Je suis désolé pour tout ce que je t'ai fait, dit-il à voix basse.
Chûya releva la tête avec surprise. Dazai ne le regardait pas, lui aussi avait les yeux rivés sur le reflet du soleil. Ils brillaient étrangement, mais Chûya ne saurait dire s'ils étaient éblouis par la lumière, ou s'il s'agissait de larmes de tristesse.
— C'est moi qui suis désolé, j'aurais pas dû t'envoyer de photos.
— Je le méritais, c'est pas grave Chûya.
— C'était juste méchant, et j'ai pas le droit de t'envoyer de photos de moi nu sans ton accord.
— C'est vraiment pas grave Chûya. Et j'ai effacé les photos, sans les montrer à personne.
— Et Nikolaï ?
— Il les a effacées aussi, et il n'a rien montré non plus, même à Sigma.
— Merci, dit alors Chûya avec soulagement.
— C'est normal. Chûya... J'ai beaucoup réfléchi à ce que tu m'as dit, et j'ai pris conscience de plusieurs choses.
— Oh...
Chûya acquiesça lentement. Il ne savait pas s'il était prêt à entendre ce que Dazai avait à lui dire... Mais il savait qu'il en avait besoin. Il devait passer par là, et il ne voulait pas perdre Dazai. Il ne voulait pas qu'il sorte de sa vie, même s'il n'était plus sûr de désirer une relation amoureuse avec lui pour le moment, il le voulait au moins comme ami. Et il était prêt à recoller une à une les pièces de son cœur pour que Dazai le fasse de nouveau battre.
— Et donc, demanda-t-il, pour montrer qu'il était prêt à écouter Dazai.
— Je me suis vraiment mal comporté avec toi, et j'en suis désolé, dit Dazai en tournant la tête vers lui. J'avais jamais réalisé que ça te faisait souffrir, je savais que c'était mal, mais je me suis toujours dit que tu n'étais pas attaché à moi, alors je ne pouvais pas te faire de mal. Je voulais juste t'embêter, t'énerver, parce que c'était le seul moyen d'attirer ton attention...
— Tu aurais juste pu me dire que tu voulais mon attention, dit Chûya.
— Oui, mais je pensais que tu me rirais au nez. Et puis... Si je te le disais, on en serait arrivé à cette fameuse question de « pourquoi tu veux mon attention ? ». Et j'aurais dû te dire que je t'aime depuis le premier jour... Et... Une personne comme moi ne peut pas aimer une personne comme toi...
— Pourquoi tu dis ça, demanda tristement Chûya.
— Parce que moi j'attire le malheur à tous ceux que j'aime... Personne n'a envie d'être aimé par un suicidaire dépressif et manipulateur.
— Moi j'ai envie, murmura Chûya en posant sa main sur celle de Dazai.
— Mais je t'ai fait du mal, je t'ai traité comme un moins-que-rien et j'ai été vraiment toxique avec toi. Je t'ai empêché d'être heureux avec d'autres personnes en te gardant toujours près de moi, et quand tu as vu une porte de sortie avec Fyodor, je t'ai de nouveau blessé pour t'empêcher de guérir avec lui. Je ne t'ai jamais rendu heureux et j'ai refusé que tu sois heureux avec un autre. Est-ce que tu veux toujours de moi après ça, demanda Dazai d'un air abattu.
Chûya n'avait pas de réponse à lui donner, lui-même ne savait pas quelle relation il voulait avec Dazai. Son cœur venait à peine d'arrêter de saigner dans sa poitrine, et ses cicatrices étaient encore ouvertes. Chûya avait besoin de temps pour les refermer, il avait besoin de se soigner et de se reposer. Même si Dazai changeait et faisait des efforts pour lui... Pourrait-il lui apporter l'amour dont il avait besoin ? Pourrait-il seulement comprendre à quel point Chûya avait mal, et ce qu'il avait pu ressentir ? Il ne le pourrait sans doute pas, car Chûya ne l'avait jamais blessé comme lui l'avait fait. Dazai n'était pas celui qui pourrait le guérir...
— Peut-être qu'avec le temps... Je voudrais de nouveau de toi, murmura Chûya avec peine.
— Alors tu m'aimes plus ?
— Dazai, j'ai besoin de temps pour savoir ce que je ressens. J'ai besoin de me détacher de toi et de voir que je peux de nouveau être heureux. Je ne peux pas te donner de réponse pour le moment...
— Et si tu rencontres quelqu'un d'autre, demanda Dazai d'une voix serrée.
Cette fois-ci, Chûya était sûr de ce qu'il voyait. C'était bel et bien des larmes qui baignaient les yeux de Dazai, ce n'était pas la lumière du soleil qui les éblouissaient. Attendri, il posa sa main sur sa joue et la caressa doucement.
— Dazai, entre nous ça ne peut pas fonctionner pour l'instant, murmura-t-il doucement.
Dazai battit des paupières et une larme roula sur sa joue.
— Mais je vais faire des efforts, je vais changer, promit-il d'une voix pleine de sanglots.
— Oui je l'espère, mais pour l'instant, il faut qu'on y aille doucement. On ne peut pas avoir de relation, ce n'est pas sain entre nous. J'ai besoin de temps pour moi, j'ai besoin d'aller mieux Dazai. Et tu as besoin d'aller mieux aussi, il te faut du temps pour changer, tu dois penser à toi. Sinon on se blessera de nouveau, et si on continue, on arrivera à un point où ça sera trop tard pour aller bien. Alors peut-être que je rencontrerais des personnes, et peut-être que tu en rencontreras aussi. Mais on en a besoin, et ça ne veut pas dire qu'on va s'oublier. Dazai, je penserais toujours à toi, peu importe ce qu'il se passe... Si on s'aime vraiment, on se retrouvera quand le moment sera venu. Ou alors, on se rendra compte qu'on est pas fait pour être ensemble, et on pourra rester amis. On ne se sépare pas à jamais Dazai, on sera toujours là l'un pour l'autre... Ok, dit Chûya, alors que des larmes se mettaient à couler sur ses joues.
— D'accord, dit Dazai en reniflant.
— Il faut laisser l'amour aller et venir à nous, on ne doit pas forcer les choses. J'ai besoin de quelqu'un qui m'apporte un amour sain et tu n'en es pas capable pour l'instant, mais c'est pas grave... Le temps va arranger les choses entre nous, et si un jour on doit se mettre ensemble, on le fera, mais rien ne presse. Ok ?
Dazai acquiesça difficilement, et Chûya se pencha vers lui pour l'étreindre. Il était soulagé d'avoir pu parler avec lui, savoir que Dazai ne l'avait pas volontairement blessé le rassurait, et cette discussion l'avait apaisé. Son cœur battait moins vite à présent, et même si s'éloigner de Dazai lui faisait de la peine, il se sentait plus léger. Il avait besoin d'une pause avec lui, et il savait que laisser le temps faire les choses était la meilleure solution. Il était inutile de s'acharner dans une relation toxique, alors mieux valait tout arrêter, respirer, et prendre le temps de se guérir.
— Promets-moi que tu feras pas de bêtises, murmura Chûya d'une voix serrée.
— Promis, dit Dazai en le serrant avec force. J'essaierai de rester sage... Est-ce qu'on reste partenaires ?
— Bien sûr, et puis on va continuer de se voir de temps en temps. Mais à petite dose, et quand on se sentira mieux, et qu'on en aura envie... On pourra passer plus de temps ensemble.
— D'accord... Merci Chûya.
— Pourquoi tu me remercies ?
— Parce que tu m'empêches de te détruire. Merci de ne pas accepter la personne que je suis, et de me pousser à changer pour devenir une meilleure personne. Tout le monde ne ferait pas ça...
Chûya lâcha Dazai et lui sourit.
— C'est normal. Il faut que je rentre, dit-il en se levant.
— Je comprends. Moi aussi il faut que j'y aille, sinon Kunikida va me tuer...
— Atsushi a aussi prévu de te tuer, parce que tu as abandonné Akutagawa quand il était malade. Tu ferais mieux de l'éviter pour le moment, prévint Chûya.
— Ah oui, j'avais oublié... Merci de me l'avoir dit. Oh et... Je suis désolé d'avoir dit à Nikolaï d'ignorer Fyodor et de coucher avec Sigma, dit Dazai.
— C'est à eux que tu dois le dire, pas à moi.
— Je sais, mais je voulais que tu le saches aussi... C'est de ma faute s'ils en sont là.
— Non, c'est de la faute de Nikolaï pour t'avoir écouté. Il aurait dû faire fonctionner le peu de neurones qu'il a avant d'agir comme ça.
— C'est vrai, dit Dazai en se levant. Mais il aime quand même Fyodor.
Chûya sortit une cigarette de sa poche pour la glisser entre ses lèvres.
— Peu importe, je préfère qu'il reste loin de Fyodor. Sinon je m'occuperais de lui, et je ne serais pas aussi compréhensif qu'avec toi.

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Désolé pour le retard, j'ai pas pu poster plus tôt !

On a donc une sorte de résolution pour le soukoku. Ce n'est pas une fin très heureuse pour eux, mais elle n'est pas malheureuse non plus, et puis s'éloigner l'un de l'autre est ce dont ils ont le plus besoin. Et puis dans la vie, c'est souvent ce dont on a besoin quand on est dans une mauvaise relation.

J'espère que l'os vous a plus ! Je sais que ce n'est pas le meilleur, mais je l'aime bien quand même. Et puis j'adore Gin, c'est ma star . Et puis Poe est l'homme de la situation

Demain, le dernier os de l'intrigue sortira, et vous aurez enfin une conversation entre Fyodor et Nikolaï ! Après cette intrigue, je posterais un os tout seul, et ensuite je lancerai l'intrigue que j'attends le plus depuis le début, à savoir celle où ils sont dans un royaume. Elle s'appelle Les Chroniques de Yokohama, et je vous rassure, elle sera joyeuse ! (D'ailleurs il y a pas mal de lemon dedans, c'est pour ça que j'en ai pas mis dans cette intrigue 👩‍🦯).

D'ailleurs je me demandais, puisque les cours vont reprendre, est-ce qu'il ne faudrait pas que je change l'heure des posts ? Ça risque d'être compliqué pour moi de poster à midi, et ça le sera pour vous aussi je pense. Est-ce que ça vous va si je poste le soir ? Je suppose que c'est le meilleur moment pour lire, puisque le matin on se prépare pour les cours etc.

À demain 🦦

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant