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LA MÉLODIE DE SON SOUFFLE

Les derniers désirs

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   — Atsushi, il faut qu'on parle.
   — Euh oui, demanda le jeune homme en levant les yeux de son téléphone.
   — J'ai fait une liste de choses à faire avant ma mort.
   — Hein ?! Mais Ryû, tu vas peut-être guérir, Yosano a dit que le traitement marchait bien et-
   — Tout peut arriver, coupa Ryûnosuke avec indifférence. Je préfère partir du principe que je vais mourir, et tu devrais faire pareil.
   — Je préfère pas t'imaginer mort...
   Ryûnosuke ne répondit pas, il grimpa sur le lit, sur lequel était allongé Atsushi, et s'approcha de lui à quatre pattes. Il s'allongea à ses côtés, prit son bras pour l'étendre perpendiculairement à lui, avant de poser sa tête sur son biceps, comme s'il s'agissait d'un oreiller. Atsushi le laissa faire, amusé. Ryûnosuke avait pris l'habitude d'utiliser ses bras, lorsqu'Atsushi s'allongeait dans son lit pour se reposer, il venait souvent le rejoindre, et se servait de lui comme d'un coussin. Il prenait son bras pour l'installer sous sa tête, et lorsqu'il n'avait pas le moral, il le tirait simplement vers lui, et Atsushi comprenait qu'il devait l'étreindre. Il passait alors son bras sous sa nuque, pour le replier et entourer ses épaules, et enlaçait sa taille avec son autre bras. Il aimait faire cela, et il aimait que Ryûnosuke vienne contre lui. C'était aussi adorable que rassurant.
   Ils vivaient ensemble depuis presque un mois à présent. Atsushi avait définitivement élu domicile chez son partenaire, et il s'était aussi installé dans sa chambre. Dormir avec lui était devenu si habituel qu'il ne savait plus si c'était normal ou non. Il aimait simplement dormir à ses côtés, le tenir dans ses bras jusqu'à ce que Ryûnosuke le vire, et s'allonger à ses côtés pour s'ennuyer. Les contacts entre eux étaient devenus simples, ils étaient agréables, réconfortants, naturels. Et Atsushi aimait que Ryûnosuke viennent de lui-même contre lui.
   Il le laissa s'installer sur lui, puis il plia son bras occupé, et attrapa une mèche de ses cheveux pour la faire tourner entre ses doigts. Ryûnosuke le laissa faire, habitué à ses caresses.
   — Qu'est-ce que t'as mis dans ta liste, demanda-t-il en essayant de voir ce qui était marqué sur le carnet qu'il tenait.
   — Regarde pas, dit aussitôt Ryûnosuke en lui tournant la tête. En un, j'ai mis : aller dans des sources thermales.
   — T'y es jamais allé ?
   — Non, ça me dégoûte les bains.
   — Pourquoi ?
   — J'ai l'impression de me baigner dans la crasse des autres, c'est dégoûtant.
   — Mais t'es propre quand tu entres dans l'eau !
   — Même. Et puis j'aime pas qu'on me voie nu.
   — Tu sais personne ne va te regarder ! Ceux qui sont là veulent se détendre et font pas attention au corps des autres, rassura Atsushi.
   — Chûya m'a dit que lui, il regardait tout dans les bains.
   — Ah... Mais Chûya n'est pas une généralité !
   — Peut-être. En-tout-cas, je veux y aller au moins une fois, je veux réussir à le faire. Ensuite j'ai mis : boire du thé à l'anglaise. Avec du... Lait, dit Ryûnosuke avec une moue dégoûtée.
   — Pourquoi est-ce que tu t'infliges ça si ça te fait pas envie, demanda Atsushi en riant.
   — Parce que je suis fort, je peux le faire.
   — Mais c'est juste du thé Ryû ! Ça ne prouve rien !
   — Ça prouve tout ! Je veux boire du thé au lait, j'adore le thé et je dois passer par cette étape.
   — D'accord, je respecte ça.
   — Merci. Ensuite j'ai mis : lire l'intégrale des recueils de Rimbaud. Chûya l'adore, mais j'ai jamais pris le temps de lire, et je lui ai toujours promis de le lire un jour ou l'autre.
   — C'est qui ?
   — Un poète français. Je crois qu'il est connu.
   — Ok, dit Atsushi en laissant tomber sa tête contre celle de Ryûnosuke, pour essayer de lire son carnet.
   — Je t'ai dit de pas regarder, dit Ryûnosuke en le repoussant. Ensuite, je veux t'épiler. C'est une expérience à tenter.
   — Hein ?!
   — Te raser le bras. Pour voir si ça reste comme ça quand tu te transformes en tigre, expliqua Ryûnosuke avec sérieux.
   — Que- Quoi ?! Je t'interdis de faire ça !
   — Pourquoi ?
   — Parce que, ça sera ridicule ! Et puis je vois pas pourquoi ça resterait comme ça quand je me transforme ! Non, je refuse que-
   — Ah donc tu oses refuser de réaliser les rêves d'un mourant.
   — Mais non-
   — Très bien, je note. Tu sais quoi ? Je vais même marquer sur mon testament, « je veux qu'Atsushi se rase entièrement et se transforme en tigre », comme ça tu seras obligé de le faire.
   — Très bien alors je marquerais dans mon testament « je veux que Ryûnosuke se laisse pousser les sourcils et qu'il s'habille en couleur ».
   — Tu n'oserais pas...
   — Si. Laisse mon bras et je laisse tes sourcils, s'exclama Atsushi.
   — Très bien, mais je te raille définitivement de mon testament, dit sèchement Ryûnosuke.
   — Parce que j'y suis ?!
   — Plus maintenant. Ensuite j'ai mis : écrire quelque chose.
   — Qu'est-ce que tu veux écrire ?
   — Je sais pas, une nouvelle peut-être. Je veux écrire quelque chose pour qu'on se souvienne de moi.
   — Ryû, arrête de parler comme ça, dit tristement Atsushi. Tu vas pas disparaître... Et quoiqu'il arrive... On pensera toujours de toi...
   — Si tu le dis. Je peux pas te dire la suite de ma liste, dit finalement Ryûnosuke en refermant son carnet.
   — Pourquoi ?
   — C'est secret ?
   — C'est à propos de moi, tenta Atsushi.
   — T'es pas le centre du monde.
   — Peut-être mais là tu rougis.
   Ryûnosuke cacha soudain son carnet sous son t-shirt, avant de rouler sur le côté pour se recroqueviller sur lui-même, pour préserver ses secrets, et se retrouver à l'autre bout du lit. Cela confirmait ce qu'Atsushi pensait. Ses derniers souhaits le concernaient. Il se redressa alors, et attrapa fermement Ryûnosuke par la taille pour le tirer vers lui. Il essaya de récupérer son carnet, mais Ryûnosuke se défendit et serra son carnet contre lui, en se roulant sur le ventre.
   — Ryû ! Si ça me concerne tu dois le dire, pour que je puisse t'aider, s'exclama Atsushi en se bagarrant avec lui.
   — Jamais !
   — Dis moi !
   — Va-t-en, s'écria Ryûnosuke en essayant de le repousser.
   — Tu veux qu'on fasse quelque chose ensemble ?!
   — Non ! Arrête, tu t'en prends à un malade t'as pas honte ?!
   — Non j'ai pas honte, montre moi !
   — Tu m'étouffes !
   — Arrête de te mettre sur le ventre !
   — Arrête ! Stop ! Stop je peux plus respirer, s'exclama Ryûnosuke en haletant. J'ai mal au cœur, j'ai mal...
   Il se mit à tousser en posant sa main sur son cœur, et Atsushi arrêta immédiatement de le secouer. Il le tourna sur le dos, avant de l'aider à se redresser en douceur et de lui relever le menton, afin de dégager ses voies respiratoires. Il se dépêcha de sortir la canule, qui se trouvait rangée dans le chevet de Ryûnosuke, et la lui fit passer derrière les oreilles en essayant de rester calme. La panique le gagnait, voir Ryûnosuke perdre le souffle suffisait à dérégler la cadence de son cœur, mais il se força à contrôler son stress, et posa sa main sur le thorax de son partenaire. Ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait, et Atsushi savait comment l'aider à retrouver son air. Tout allait bien, il savait comment faire.
   — Respire doucement, dit-il avec calme. Tout va bien, prends ton temps.
   Il prit la main de Ryûnosuke pour le rassurer, et Ryûnosuke acquiesça rapidement. Il ferma les yeux pour mieux se concentrer, serra la main d'Atsushi, et inspira longuement.
   Il lui arrivait souvent d'être à court d'air lorsqu'il faisait trop d'efforts. Lorsqu'il marchait longtemps, qu'il portait quelque chose de lourd, ou bien qu'il se bagarrait avec Atsushi. Bouger autant lui demandait trop d'oxygène, et il finissait par haleter et tousser. Son cœur devenait douloureux à cause du manque d'air, et sa tête se mettait à tourner, mais il suffisait qu'il se calme et se repose quelques minutes pour se sentir mieux. C'était inquiétant à voir, et même si Atsushi savait quoi faire pour l'aider, il ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était en train de mourir. Cette pensée n'apparaissait que quelques secondes dans son esprit avant d'être effacée, mais elle suffisait à le terroriser, et à le faire angoisser pour le reste de la journée. Mais il gardait cela pour lui, car il ne voulait pas que Ryûnosuke culpabilise.
   Sa respiration devenait déjà plus régulière, ce qui était bon signe. Atsushi s'adossa alors près de lui et posa sa tête contre la sienne, rassuré qu'il aille bien. Ils restèrent un long moment ainsi, seule la respiration de Ryûnosuke brisait le silence, mais ce blanc leur permit de retrouver leurs esprits.
   — Ça va, demanda Atsushi en serrant sa main.
   — Ça va.
   — Pas besoin d'hôpital ?
   — Non. Mais pas touche à mon carnet.
   — J'y toucherai pas, promis, dit Atsushi avec un sourire. Tu veux qu'on sorte un peu ? Ça pourrait te faire du bien.
   — J'aime pas sortir.
   — Ça te rendrait moins aigri.
   — Si j'avais mon Rashômon je te tuerais pour avoir dit ça, répliqua sèchement Ryûnosuke.
   — Tu sais que j'ai raison, tu es aigri.
   — Atsushi tu vas dormir sur le canapé ce soir si tu continues.
   — Ok ok ! Mais je pense quand même qu'on devrait sortir, ça te ferait du bien, dit Atsushi en se redressant pour voir son partenaire. On peut aller au bain si tu veux, ça te détendrait !
   — Je suis pas prêt mentalement.
   — C'est le moment ou jamais ! À cette heure de la journée il y aura personne, et puis certains bains aident à mieux respirer parce qu'il y a des essences dedans. Ça te ferait vraiment du bien. Je travaille pas pour l'instant, donc je peux t'accompagner, et on peut même proposer à Chûya de venir. Il pourra nous rejoindre quand il aura fini sa mission du jour !
   — Ok, soupira Ryûnosuke. De toute façon c'est sur ma liste de choses à faire...
   — Cool ! Alors on va se préparer !

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant