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SUR LES PAS DES ANGES

La maison d'enfance

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La maison était telle que dans son enfance. Tout avait été laissé à son état d'origine, personne n'avait dû repasser ici depuis des années. Et lorsque Fyodor fit un pas à l'intérieur, il sentit immédiatement l'odeur de moisi qui embaumait la pièce. Il n'était plus revenu ici depuis des années, ça lui faisait bizarre de retrouver la maison où il avait grandi. Il avait l'impression de retourner en enfance, à ces jours où il n'avait que quelques années, lorsqu'il était encore innocent et qu'aucun pouvoir ne s'était manifesté. C'était... Étrange. Fyodor se sentait soudain minuscule, comme s'il avait de nouveau dix ans, qu'il rentrait chez lui après une journée à l'école, et qu'il trouverait dans quelques secondes son père, assis à son bureau, son cigare à la main. C'était à peine s'il osait entrer.
Il avait toujours gardé les clés de cette maison, bien qu'il l'ait quitté de nombreuses années plutôt. Après l'avoir quitté, il avait longuement erré, il était allé de ville en ville, jusqu'à trouver refuge à Saint Petersbourg, et il n'était jamais revenu. C'était ici que sa famille était morte, par sa faute bien sûr, et il n'avait jamais osé revenir. Mais aujourd'hui, le temps avait passé, il avait pris de nombreuses vies, et son pouvoir ne lui faisait plus peur. Ni cette maison, qui l'avait tant effrayée autrefois. Alors il avait voulu revenir. C'était le premier endroit qu'il avait voulu revoir en revenant en Russie. Il était arrivé quelques heures plutôt seulement, il était enfin loin du Japon, des sushis, des mochis glacés, de Dazai et ses stupides bandages, de Sigma et sa conduite catastrophique, de Nikolaï et de ses ridicules portails...
Il en était loin à présent, et il ne voulait plus y penser. Fyodor ne les reverrait probablement jamais, et c'était très bien comme ça. Il était mieux loin d'eux, et il savait qu'il ne risquait pas de leur manquer. Fyodor chassa ses anciens partenaires de ses pensées, et referma la porte derrière lui.
Il s'avança avec timidité, le parquet ancien craqua sous ses pas, si fort qu'il menaçait de se déchirer. La maison était ancienne, cela expliquait son état. Fyodor ne put s'empêcher de regarder chaque détail de l'entrée en s'avançant, et chaque craquement du sol était accompagné de souvenir qui resurgissait dans sa mémoire. Des souvenirs qu'il ne connaissait pas, qu'il avait oublié, qu'il avait enfoui tout au fond de lui. Il s'avançait et des images apparaissaient devant lui, il se revoyait jeune, rangeant soigneusement ses chaussures dans l'entrée, avant de déposer son manteau sur le portemanteau. Son petit lui bougeait devant lui d'une manière si réaliste que pendant un instant, Fyodor eut l'impression qu'il était face à un véritable enfant. Mais il était seulement immergé dans ses souvenirs. Fyodor regarda le souvenir qu'il avait de lui bouger, avec un mélange de peine et de nostalgie. Il suivit son souvenir dans les couloirs de sa maison, en se rappelant de toutes les sensations qu'il éprouvait lorsqu'il était plus jeune. Il se souvenait du froid de la maison, même lorsqu'un feu de cheminée était allumé. Il se souvenait de l'odeur des pryaniki que lui préparait leur bonne. C'étaient des petits biscuits au miel, un peu comme du pain d'épices. Son père détestait cela, il grommelait toujours en sentant l'odeur de ces biscuits, mais Fyodor en raffolait... Jusqu'à ce qu'il tue leur bonne sans faire exprès.
Il ne s'arrêta pas dans la cuisine, il n'avait pas le courage de repenser à cette femme qui l'avait élevé et aux goûters qu'il avait pris avec elle, en lui racontant ses journées à l'école. Il partit dans le salon, et s'avança lentement au milieu de la salle. Aucun meuble n'avait bougé, aucun livre n'avait disparu, même les objets de valeur étaient toujours ici. Tout était tel que dans son enfance.
Lentement, Fyodor s'agenouilla sur la moquette brune qui couvrait le parquet mité. Il posa ses mains dessus, et retrouva immédiatement la sensation qu'il avait en faisant cela lorsqu'il était enfant. La moquette lui était douce, souple, comme si elle était encore neuve. Un petit sourire se dessina sur ses lèvres, mais il disparut rapidement, et Fyodor finit par fermer les yeux. Il prit une grande inspiration, et plongea dans ses souvenirs les plus enfouis en lui.
Il se souvenait de cette soirée où une tempête de neige s'était abattue sur la ville. Une épaisse couche de neige couvrait les rues, et le vent avait si violemment frappé leurs vitres que l'une d'elles s'était brisée. La neige s'était engouffrée chez lui, des flocons étaient tombés sur des livres, et Fyodor était parti se réfugier sous les couvertures de son lit.
Il se souvenait de ces longues après-midi d'ennui, à attendre que quelque chose se passe, à rester avachi sur son canapé. Il n'avait jamais d'ami avec qui jouer, il n'avait pas le droit d'embêter leur bonne et son père travaillait toujours, alors il s'ennuyait souvent.
Il se souvenait de cette pièce sombre dans laquelle il s'enfermait, ce bureau mal éclairé, qui empestait l'odeur du tabac et de l'alcool, de ces feuilles jaunies et pleines de chiffres qui jonchaient au sol, de ces taches d'encre qui apparaissaient lorsque son père s'énervait et tordait la mine de son stylo à plume.
Il se souvenait de son père. Cet homme grand, mince, qui portait les mêmes yeux que lui, les mêmes cheveux ternes et le même corps informe. Il avait toujours un air autoritaire et un regard sombre, comme si voir Fyodor lui donnait un aperçu de toute la misère du monde.
Il se souvenait de sa voix tonitruante. Il pouvait crier pendant de longues minutes sans s'épuiser, faire trembler les tableaux de mur, gronder aussi fort que le tonnerre. Et lui, il restait devant lui, minuscule, raide, la tête baissée, à écouter les reproches interminables qu'il lui faisait.
Il se souvenait de ce dîner où du vin avait coulé sur la nappe. Son père était ivre, et Fyodor était jeune, il n'avait pas compris son état et il s'était inquiété. Peut-être avait-il trop insisté auprès de son père pour savoir s'il allait bien, il ne s'en souvenait plus. Mais il se souvenait de cette bouteille qu'il avait empoignée, et de la douleur qu'il avait ressenti lorsqu'elle avait frappé sa tête. Il pouvait encore revoir la nappe se tacher de vin et de sang, avant que des larmes tombent dessus, et qu'il ne tombe dessus en larmes. En y repensant, il eut mal au front, là où la bouteille l'avait touché presque vingt ans plutôt, et il eut l'impression que du sang coulait de nouveau sur lui.
Il se souvenait de cette table basse, juste à côté de lui. De cette soirée où son père s'était énervé. Il ne savait plus pourquoi, mais il savait que son père l'avait poussé. Qu'il avait attrapé sa tête et qu'il l'avait frappée contre cette table basse. Aujourd'hui, un beau napperon blanc couvrait son plateau. Mais si Fyodor le soulevait, il verrait de nouveau les marques rouges qu'avaient laissées ses blessures sur le bois.
Il se souvenait des chaussures cirés de son père, de la manière dont leur bout arrondi rentrait dans son ventre et laissait des bleus sur lui.
Il se souvenait de ses doigts osseux, lorsqu'ils agrippaient ses cheveux et tiraient violemment sa tête en arrière. Il se souvenait aussi des bagues qu'il portait, et des dessins qu'elles laissaient sur ses joues lorsqu'il se faisait gifler.
Fyodor se souvenait de sa violence. De ses coups. Des nuits de larmes qu'il avait passées. Des cris qu'il avait poussés. Des glaçons qu'il tenait entre ses mains pour apaiser ses blessures. Du parquet sur lequel son père l'avait traîné en le tenant par les cheveux. Des vitres contre lesquelles il l'avait jeté. Des livres qu'il avait jetés sur lui. De cette moquette sur laquelle il s'était effondré tant de fois.
Il ressentait encore la peur, la douleur, les coups, les cris, les pleurs, sa peau froide, ses droits tremblants, son souffle saccadé. Il ressentait tout cela comme s'il était de nouveau enfant, face à son père.
Il se souvenait de tout, rien n'avait disparu de sa mémoire.
Fyodor rouvrir les yeux en reprenant une respiration, et des larmes tombèrent sur ses joues avant qu'il ne puisse les retenir. En grandissant il avait oublié tout cela, mais maintenant qu'il était revenu, tous ses souvenirs lui revenaient comme une violente avalanche, et il ne savait plus quoi faire.
Un craquement retentit près de lui, et une odeur de primevère tira Fyodor de ses souvenirs. Il ne tourna pas la tête, et ne chercha pas à effacer ses larmes, c'était trop tard pour cela. Dès qu'il était descendu de son avion, il avait senti la présence de Nikolaï, et il savait qu'il l'avait suivi jusqu'ici. Mais... Il ne pensait pas qu'il rentrerait chez lui.
Nikolaï s'agenouilla derrière lui, il passa ses bras autour de lui, et le serra avec douceur pour le consoler. Il avait dû comprendre où ils étaient, car il ne posa aucune question, et Fyodor ne chercha pas à savoir ce qu'il faisait là. Il se doutait que Nikolaï ne le laisserait pas partir aussi facilement.
— Fyodor, pourquoi tu pleures, demanda-t-il en caressant sa joue pour effacer ses larmes.
   Fyodor haussa les épaules.
   Lui-même ne savait pas pourquoi il pleurait. C'était du passé tout cela, son père était mort, et plus personne ne l'avait frappé depuis des années. Plus personne ne l'avait touché depuis que ses pouvoirs étaient apparus, alors plus personne n'avait pu lui faire du mal...
   Sauf Nikolaï. Il l'avait touché, et il l'avait blessé. Et pourtant, Fyodor n'arrivait pas à le repousser, pas avec tout ce que Nikolaï lui avait dit. Comment pourrait-il le repousser ? Il préférait prendre le risque d'être une nouvelle fois blessé.
   — C'est juste mes souvenirs, dit-il avec un reniflement.
   — Ils sont joyeux ?
   Fyodor essuya des larmes et acquiesça.  
   — J'ai eu une belle enfance, mentit-il.
   — Ta famille te manque ?
   — Oui, peut-être un peu. Mais je l'ai tuée. Les pouvoirs se sont déclenchés d'un coup et j'ai tué mon père. Ils n'ont pas tout de suite compris que c'était moi alors... d'autres personnes m'ont touché et elles sont mortes. Depuis personne ne m'avait touché sans mourir.
   — Sauf moi.
   — Sauf toi.
   — Fyodor... Je suis désolé pour tout ce que je t'ai fait. J'ai jamais voulu te blesser, je t'aime vraiment..., dit Nikolaï sans le lâcher.
— Je sais.
— Tu m'en veux ?
— Je sais pas.
— Ça te dérange que je sois là ?
— Non, je savais que tu viendrais. Mais je continue de penser que tu serais beaucoup mieux loin de moi. Je ne peux rien t'apporter de bien.
— Pourquoi tu dis ça, demanda Nikolaï avec tristesse.
— Parce que je suis un terroriste.
— Mais moi aussi ! Tu aimes tuer des gens, j'aime tuer des gens, on aime tuer des gens alors on peut le faire ensemble ! Les couples criminels c'est les meilleurs !
— Et qu'est-ce qui me dit que tu ne voudras plus me tuer ?
— Moi je te le dis ! Tu as peur de mourir ?
— Non. C'est juste... Que ce n'est pas très agréable de savoir que toutes les personnes qui m'aiment veulent me faire du mal, dit Fyodor d'un ton douloureux.
— Je te veux aucun mal Fyodor, c'était juste par rapport à moi et...
— Oui je sais, c'était pour te sentir libre.
Fyodor se dégagea de l'étreinte de Nikolaï, s'arrachant à la chaleur de ses bras, et se releva. Il s'approcha d'une fenêtre noircie par le temps, et regarda le rebord en bois qui l'encadrait dans le mur. Il y avait des taches plus foncées à certains endroits, et en passant son doigt dessus Fyodor pouvait sentir qu'elles étaient encore grasses. C'étaient des taches de cire. Elles étaient apparues le soir où son père avait fait couler de la cire brûlantes sur ses doigts pour le punir. Fyodor s'était alors précipité ici pour ouvrir la fenêtre et plonger ses mains dans la neige qu'il y avait dehors, laissant des gouttes de cire sur son chemin.
— Pourquoi tu as dit ça, demanda Nikolaï en se relevant. Que ceux qui t'aiment veulent te blesser.
— Parce que c'est vrai. Même si quelqu'un m'aimait, il voudrait me contrôler à cause de mon pouvoir. C'est une façon de me faire du mal, je ne veux pas qu'on me contrôle.
— Moi je veux pas te contrôler, dit Nikolaï en revenant derrière lui.
Fyodor se tourna vers lui, et vit avec surprise qu'il n'était pas comme d'habitude. Il ne portait plus ses vêtements extravagants, il était habillé... D'une manière très banale. Son œil droit n'était plus caché et il semblait... abattu. Fyodor ne l'avait jamais vu ainsi.
— Ça va, demanda-t-il en fronçant les sourcils.
— J'ai l'impression d'être en train de te perdre, dit-il alors que ses yeux se remplissaient de larmes. E-Et ça me fait ressentir quelque chose d'horrible, j-j'ai l'impression que mon cœur saigne...
Fyodor regarda Nikolaï sans savoir quoi dire.
— Je sais que j'ai mal agi et que tu dois plus me faire confiance mais... M-Mais je veux pas te perdre... J-Je sais pas quoi faire pour a-arranger les choses entre nous...
Fyodor fit un pas vers lui et essuya à son tour ses joues, pour faire disparaître ses larmes.
— Nikolaï, tout va bien.
— Je t'ai blessé, je voulais pas te faire mal, je te le jure...
— Je sais. C'est pas grave.
— J'ai tout gâché entre nous...
— On peut arranger ça, c'est pas grave.
— C'est vrai, demanda Nikolaï avec espoir.
Fyodor sourit et acquiesça. Il pouvait faire des efforts et pardonner à Nikolaï. Il ne lui en avait jamais vraiment voulu en réalité, c'était plutôt qu'il était blessé, mais il pouvait enfouir sa blessure en lui. Il l'avait toujours fait et il pouvait continuer. Il ne voulait pas perdre Nikolaï non plus, alors il était prêt à oublier ce qu'il avait fait.
Il se pencha vers lui et posa ses lèvres sur les siennes, pour lui offrir son tout premier baiser. Toucher la bouche d'une autre personne avec la sienne était étrange, il ne savait pas du tout comment s'y prendre. Mais c'était agréable... Ça lui semblait encore plus intime que lorsque Nikolaï l'avait touché entre les jambes.
Nikolaï passa ses bras autour de sa taille en lui rendant son baiser, et bougea ses lèvres contre les siennes pour guider ses mouvements. Leur baiser était baigné de larmes, il avait un goût de sel, mais ce n'était pas déplaisant.
— Je pensais pas que ça serait aussi humide, murmura Fyodor lorsqu'il s'écarta.
Nikolaï ria et essuya ses larmes.
— Désolé, dit-il avec un sourire.
— La prochaine fois ça sera mieux.
— Il y aura une prochaine fois ?
— Si tu veux. Mais j'ai besoin de temps pour... Digérer tout ça. Et je veux sortir d'ici.
— Tu veux pas vivre ici ?
— Non, je préférerais aller dans un hôtel le temps de trouver un endroit où aller.
— Et je peux venir avec toi ?
— Si tu veux. De toute façon il faut qu'on parle de tout ça.
Nikolaï acquiesça, et aussitôt, un portail doré apparu derrière eux. Fyodor le lâcha alors et s'avança vers le portail, mais Nikolaï le retint par le bras.
— Quoi, demanda Fyodor sans comprendre.
— La première fois que nos pouvoirs se déclenchent, c'est souvent quand on se sent en danger, dit Nikolaï avec un regard perçant.
Fyodor haussa les épaules et traversa le portail.
— Il faut croire que mon enfance n'était pas si belle.

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Désolé pour le retard 🫢

J'aime bien cet os, en même temps il est plus centré sur Fyodor et j'adore Fyodor. Comme on ne sait pas grand chose sur lui dans le manga, j'ai improvisé et je me suis basé sur le vrai Fyodor.

J'espère que ça vous a plu :)

À demain :)

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant