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DERRIÈRE LA PLUME D'UN GÉNIE


La colonisation

Attention : mention de viol dans le chapitre

────── ҉ ───────


   — Qu'est-ce qu'on fait là en fait ?
   — Chut.
   — Qui nous a envoyés ici ?
   — Osamu tais-toi, je n'arrive pas à écouter.
   — Mais je m'ennuie je veux m'amuser. C'est nul en plus, sa voix est soporifique et je comprends rien à ce qu'elle dit, murmura Osamu en jetant un regard à la femme, qui se tenait sur l'estrade, en bas de l'amphithéâtre.
   — Si t'écoutais tu comprendrais.
   — J'aime pas les conférences, c'est toujours long et nul. Qu'est-ce qui m'a pris de t'accompagner...
   — Je t'ai dit que tu t'ennuierais et tu ne m'as pas écouté, répliqua Fyodor d'un ton sec.
   Pour sa défense, Fyodor n'avait pas exactement dit ça. Il avait seulement dit « Tu t'endormiras au bout de dix minutes », ce qui n'avait rien à voir. Il pouvait très bien trouver cette conférence intéressante, et tomber soudain de sommeil sans le vouloir. C'était donc de sa faute si Osamu était là, il aurait dû clairement dire « Tu vas t'ennuyer, cette conférence est nulle ».
   Ils se trouvaient tous les deux dans l'amphithéâtre Richelieu de leur université, au rang précisément au milieu de la salle, et même sur les places les plus au milieu du rang. C'était Fyodor qui les avait choisies bien sûr, si ça ne tenait qu'à Osamu, il se serait mis tout en haut de l'amphithéâtre, pour pouvoir partir discrètement. Il n'aurait jamais dû venir ici... Il avait eu le malheur de croiser Fyodor dans les couloirs, alors il était parti l'embêter pour se divertir un peu, Fyodor s'était énervé, et il lui avait dit « Je n'ai pas de temps à perdre avec un enfant coincé dans le corps d'un adulte, à cause de toi je vais être en retard. ». Osamu lui avait donc demandé où il comptait se rendre à cette heure si tardive, et il lui avait répondu qu'il partait assister à une conférence sur la question du genre et du lesbiennisme en littérature. Autant dire qu'en entendant ça, Osamu avait regardé Fyodor de haut en bas, puis il avait choisi de simplement tourner les talons, et de fuir avant que Fyodor n'essaye de l'entraîner avec lui donc cette conférence. Il n'avait aucune envie d'assister à ça, d'ailleurs, il n'avait aucune envie d'assister à une conférence tout court !
   Il avait donc essayé de s'éloigner, mais Fyodor avait soudain ajouté « Chûya y participe ». Et Osamu était aussitôt revenu près de lui. Et voilà qu'il se retrouvait coincé dans un amphithéâtre, à écouter un discours sur un concept de géographie féminine qu'il ne comprenait absolument pas ! Tout ça pour Chûya... Le pire était que Chûya n'avait toujours pas parlé, il se tenait aux côtés de ses collègues en silence, et il ne disait rien ! Fyodor l'avait appâté avec un mensonge, Osamu se sentait piégé. Il n'aurait pas dû écouter la voix dans sa tête qui le poussait à aller voir Chûya...
   En plus il ne pouvait même pas discuter avec Fyodor, puisque Fyodor était la personne la moins drôle et la plus ennuyante au monde, et il ne voulait pas faire de bruit. Il dut alors attendre que les personnes qui faisaient la conférence fassent une pause, pour pouvoir de nouveau parler tranquillement. Il agita un prospectus devant son visage pour se faire un peu d'air, afin d'aérer ses neurones qui s'échauffaient dans son cerveau, et attendit avec ennui que cette torture prenne fin.
   — Mon dieu merci, j'ai cru que ça s'arrêterait jamais ! C'est pire que les CM de Fukuchi ce truc, s'exclama Osamu après qu'une pause ait été déclarée.
   — Tu es désespérant, on dirait un collégien. Ça ne sert à rien de faire de la recherche si tu n'es pas capable de t'intéresser à ça, dit Fyodor avec agacement.
   — Tu trouves vraiment ça intéressant ? Tu serais venu si Chûya était pas là ?
   — Oui, c'est très intéressant, et je vais à toutes les conférences de la fac, répondit Fyodor en écrivant sur un carnet.
   — Oui mais toi t'es un fayot.
   Fyodor jeta un regard noir à Osamu, mais Osamu éclata de rire sans pouvoir s'en empêcher. Fyodor portait ses lunettes, il ne les portait jamais devant ses amis, en général il les mettait seulement tard le soir ou tôt le matin. Et Osamu comprenait pourquoi. Elle lui faisait de grands yeux, ce qui était particulièrement drôle !
   — On dirait un poisson bulle, dit-il en hurlant presque de rire.
   — Qu'est-ce que tu peux être stupide toi alors, souffla Fyodor.
   — J'aurais tellement dû faire mon BeReal avec toi, ça aurait été super drôle ! Tu devrais mettre tes lunettes plus souvent, ça me fait tellement rire que je pourrais sortir de ma dépression !
   — Très drôle.
   — Nikolaï t'a déjà vu comme ça, demanda Osamu avec hilarité.
   — Oui et il a dit que je ressemblais aux peluches avec les gros yeux, dit Fyodor d'une voix blasée.
   — Tu m'étonnes !!
   — Il n'y a rien de drôle, laisse mes lunettes tranquilles ! Et concentre-toi au lieu de raconter n'importe quoi, sinon tu ne comprendras rien à ce que dira Chûya, dit sèchement Fyodor.
   — T'as déjà lu des livres avec ça dedans au moins ?
   — J'en ai même écrit.
   — T'as écrit un truc lesbien ?!
   — C'était pas lesbien dans sa totalité... Mais oui, un peu.
   — Excellent ! Tu vas te faire tuer !
   — Pourquoi, demanda Fyodor en haussant les sourcils.
   — La Russie va envoyer un mercenaire pour te couper la tête. Ils sont homophobes là-bas !
   — N'importe quoi. J'écris ce que je veux, et puis j'avais pas l'intention de le publier en Russie. Et puis cette histoire m'ennuie, je l'ai abandonnée.
   — Ah... Ta famille sait que tu sors avec un mec, murmura Osamu avec curiosité.
   — Non. Et toi elle sait que t'es gay ?
   — Non, elle pense que je suis un homme ténébreux qui sort avec plein de filles et qui passe ses soirées à la salle.
   — Toi à la salle, j'aimerais bien voir ça, dit Fyodor d'un ton moqueur. T'arriverais même pas à soulever un haltère.
   — Tu penses ? Pourtant j'ai réussi à soulever Chûya toute la nuit.
   Fyodor tourna vivement la tête vers Osamu, mais Osamu fit comme de rien n'était, et continua d'agiter tranquillement son prospectus devant son visage.
   — Qu'est-ce que tu viens de dire ?
   — Quoi, demanda innocemment Osamu.
   — Tu as dit quoi ?!
   — Euh... « Tu penses » ?
   — Non, après !
   — J'ai dit « quoi » ?
   — Tu as fait quoi avec Chûya ?!
   — Ah ! Oui j'ai couché avec lui.
  Fyodor le regarda longuement, avec un regard si perçant qu'Osamu pouvait le sentir essayer de lire en lui et de sonder son âme. Mais il l'ignora, préférant continuer de faire comme si de rien n'était, et regarda le bas de l'amphithéâtre, où se trouvait Chûya. Il était assis au bureau de l'estrade, près des étudiants qui travaillaient avec lui et de Mme Ieiri et M. Mori, qui dirigeaient leurs travaux. Chûya était en train de discuter avec sa meilleure amie, Kôyo, alors il n'avait pas remarqué la petite dispute entre Osamu et Fyodor. Tant mieux, parce que s'il avait entendu ce que venait de dire Osamu, il serait venu le tuer sur-le-champ.
   Pourtant il n'avait pas menti, il avait vraiment couché avec lui, et il l'avait fait plusieurs fois, ce qui signifiait qu'il avait gagné son pari contre lui ! Juste après avoir accepté son pari, Chûya était parti, et il avait ignoré Osamu tout le reste de la semaine. Osamu pensait qu'il s'était juste moqué de lui et qu'il avait accepté pour être tranquille, sans avoir vraiment l'intention de faire quelque chose avec lui. Mais, à sa grande surprise, Chûya avait débarqué chez lui vendredi soir, et il lui avait dit « On fait notre pari ? ». Cette simple proposition avait ravi Osamu, alors il l'avait entraîné dans sa chambre, et... Ils avaient passé la nuit ensemble.
   Osamu savait très bien que Chûya était venu le voir pour oublier Fyodor, mais ça ne l'avait pas vraiment dérangé, il aimait suffisamment Chûya pour accepter ça. Et puis... Chûya avait beaucoup aimé passer la nuit avec lui. Il avait pensé à Fyodor au début, mais Osamu avait réussi à le lui faire oublier, et c'était bien son nom que Chûya avait gémi toute la nuit. Il avait l'air de se sentir bien avec lui, et d'aimer les sensations de plaisir qu'il lui apportait, et il avait fini par revenir chez lui plusieurs fois. Cela faisait un mois qu'ils avaient entamé une relation basée sur le sexe, et Osamu en était très fier ! Il sentait qu'il se rapprochait un peu plus de Chûya chaque jour, et que Chûya l'aimait de plus en plus.
   Au départ, ils se voyaient seulement pour coucher ensemble, Chûya passait généralement chez lui le soir, après l'heure du dîner, il passait la nuit chez lui, et ensuite il repartait assez tôt, souvent avant le réveil d'Osamu. Il faisait cela parce qu'il s'en voulait d'avoir une relation avec Osamu alors qu'il en aimait un autre, et parce qu'il avait du mal à accepter d'aimer autant passer la nuit avec Osamu, mais Osamu ne s'était jamais plaint. Il savait bien que ce n'était pas évident pour lui, et heureusement pour lui, il ne s'était pas attendu à ce qu'ils se mettent ensemble du jour au lendemain. Cette relation lui convenait, surtout qu'il ne savait pas s'il ferait un bon petit ami, alors mieux valait garder Chûya comme sex-friend pour ne pas le décevoir...
   Mais, depuis quelques jours, Chûya avait commencé à changer d'attitude. Il s'était mis à venir chez Osamu avant l'heure du dîner pour manger avec lui, parfois il venait le voir à l'université pour lui parler, et il ne l'ignorait plus quand Osamu venait l'embêter ! Bon, d'accord c'était parce qu'il lui criait dessus et il le frappait avec ses livres... Mais donc Osamu avait son attention ! Il sentait que Chûya ne le repoussait plus comme avant, Chûya n'était plus autant de mauvaise humeur avec lui, et il riait même à ses blagues ! Il le tolérait de plus en plus, et Osamu avait bien l'intention de continuer ainsi et de conquérir son cœur.
   — C'est impossible, dit Fyodor après l'avoir sondé un moment.
   — Je mens pas, il a gémi dans mon lit toute la nuit, dit fièrement Osamu.
   — Je ne te crois pas.
   — Écoute Fyodor, c'est pas parce que t'as pas de vie sexuelle qu'on est tous comme toi.
   — Je pense que j'ai une vie sexuelle plus épanouie que toi pour le coup, répliqua Fyodor en s'adossant sa chaise.
   — Alors là ça m'étonnerait.
   — Je t'assure que si.
   — Impossible, en plus ça se voit que t'es nul au lit.
   — Moi au moins j'ai une vie au lit. Toi tu es obligé de mentir pour faire croire que tu en as une.
   — J'ai vraiment couché avec Chûya, dit Osamu avec agacement. Plusieurs fois même !
   — Et depuis quand tu couches avec lui ?
   — Un mois.
   — Impossible, dit Fyodor d'un ton catégorique.
   — Ben me crois pas.
   — Prouve-le-moi.
   — Tu veux une vidéo pendant que t'y es ?
   — Non, je veux juste une preuve pour être sûr que tu ne me mens pas.
   — C'est bien une phrase de puceau ça, répliqua Osamu.
   — Je ne suis pas puceau.
   — Prouve-le.
   — T'as quel âge pour reprendre mes phrases ? Je ne suis pas puceau, en plus tu sais très bien que j'ai été en couple.
   — Ah oui ? Je m'en souviens pas !
   — Sérieusement, c'est impossible que tu couches avec Chûya, tu l'insupportes, il me l'a même dit hier !
   — Ouais bah toi c'est impossible que tu sois plus puceau vu comment t'es affreux !
   — Mais- Alors déjà on ne parle pas de moi, et c'est immature de m'attaquer sur mon physique, fit remarquer Fyodor avec agacement.
   — Tu dis ça parce que tu sais que t'es puceau alors que moi je vis mes plus belles nuits avec Chûya, et que toi t'arrive pas à conclure avec ton chéri, provoqua Osamu. T'es puceau et tu mourras puceau !
   — Je ne suis pas puceau !
   — Si tu l'es !
   — Non !
   — Si tu l'es, personne veut de toi !
   — Si parce que y'a même pas une heure Nikolaï me baisait dans les toilettes, s'exclama soudain Fyodor.
   Osamu écarquilla les yeux et ouvrit la bouche avec surprise. Fyodor rougit vivement lorsqu'il réalisa ce qu'il venait de dire, et s'empressa de couvrir son visage de ses mains et de le laisser tomber sur la table devant lui pour se cacher.
   — Pour de vrai, s'exclama Osamu avec excitation.
   — Je te déteste...
   — Mais raconte je veux savoir ! Il l'a vraiment fait ?! Ce soir ?! Avant la conférence ?!
   — Je vais mourir de honte.
   — Mais dis ! Je veux tout savoir !! Dis-moi ! Dis-moi ! Allez ! T'as joui ?!
   — Mais à ton avis imbécile, s'exclama Fyodor en se redressant. Qu'est-ce qu'il m'a pris de dire ça...
   — Mais non ! C'est toujours Nikolaï ton mec ?!
   — Évidemment, qui est-ce que tu veux que ça soit, demanda Fyodor avec agacement.
   — Et ben dis donc, vous avez pas peur ! C'est pas un peu risqué de le faire ici ? Parce que toi tu fais des trucs bizarres au lit...
   — Je ne fais rien de bizarre, dit Fyodor en haussant les sourcils.
   — Un peu quand même. Je me souviens y'a deux ans, une fois t'étais venu avec un col roulé et en-dessous t'avais des traces de mains violettes sur le cou.
   — Ce... Ce n'est arrivé qu'une fois, et tu n'étais pas censé le savoir.
   — Tu rigoles, c'est arrivé plein de fois !
   — Je ne fais pas ça.
   — Oh pas à moi, je sais que t'aimes ça !
   — ... Pas du tout...
   — T'avais même des traces sur les poignets, et t'avais de ces suçons, je pensais que ton mec était un vampire ! Je suppose que t'attends un peu pour passer aux choses sérieuses avec Nikolaï ? C'est vrai que ce genre de pratique ça peut un peu faire peur..., dit Osamu avec amusement.
   — Je ne fais pas ce genre de choses, dit Fyodor, d'une voix mal assurée. 
   — Allez pas à moi, je sais que tu le fais ! Mais no judgement hein, t'as le droit de fantasmer sur la domination et la brutalité, et d'aimer te faire à moitié tuer au lit ! C'est un peu bizarre mais bon, tu es bizarre donc c'est pas très surprenant.
   Osama tourna la tête de Fyodor pour voir l'expression d'agacement, ou de fatigue, qui devait être apparue sur son visage, mais lorsqu'il posa les yeux sur lui, il vit que Fyodor le dévisageait, et que ses yeux brillaient étrangement. Si quelques minutes plus tôt ses joues étaient rouges, à présent elles avaient perdu toutes leurs couleurs. Fyodor était devenu si pâle qu'il semblait au bord du malaise, ses lèvres étaient violettes, et ses iris tremblaient dans un bain de larmes. Osama se figea et regarda Fyodor sans comprendre. Il ne l'avait jamais vu ainsi, et pourtant il passait son temps à tout faire pour l'agacer et l'embêter. Mais que lui arrivait-il ? Qu'est-ce qu'il avait dit ? Il n'allait pas pleurer tout de même ?!
   — Je te déteste, murmura Fyodor en battant des paupières, faisant tomber ses larmes sur ses joues.
   Il se détourna lentement, se leva, et traversa la rangée dans laquelle ils se trouvaient. Mais... Qu'est-ce qui lui prenait ? Pourquoi partait-il ? Pourquoi se mettait-il à parler ? Tout allait bien quelques minutes plus tôt ! Osamu le suivit du regard sans comprendre, trop surpris pour réagir, et observa Fyodor remonter les marches de l'amphithéâtre, avant de sortir. Ah, donc il s'en allait vraiment ? Mais pourquoi ?! Il avait laissé ses affaires derrière lui en plus, même son téléphone et son manteau ! Qu'est-ce qui lui arrivait ? Osamu tourna la tête et regarda le bas de l'estrade sans savoir comment réagir. Personne n'était jamais parti ainsi pendant une conversation avec lui, c'était si étrange. Osamu se sentait bien stupide à présent, assis dans un amphithéâtre, pour assister à une conférence qui ne l'intéressait pas du tout. Bon sang...
   Il avait l'habitude d'embêter Fyodor, parfois, lorsqu'il s'ennuyait chez lui, il lui envoyait même des messages pour l'énerver et provoquer une dispute entre eux. Il l'embêtait dès qu'il le voyait, il adorait le mettre dans tous ses états, et les meilleurs moments étaient quand Fyodor se mettait dans une telle colère qu'il commençait à lui crier dessus. Osamu avait l'habitude de l'entendre s'énerver contre lui, Fyodor passait son temps à lui dire qu'il le détestait, et s'il ne le faisait pas pendant plus d'une semaine, c'était étrange. Mais... Mais il ne lui avait jamais dit de cette façon... Osamu ne l'avait jamais fait pleurer, même de rage... Pourtant il lui en avait dit des choses, il l'avait déjà insulté de « descendant de Golum », il s'était moqué d'absolument tout chez lui, de son prénom jusqu'à sa manière de respirer, il s'était même moqué de sa manière de tenir son stylo ! Et ça ne l'avait jamais vexé, Fyodor ne le considérait pas assez pour être touché par ses paroles... Alors pourquoi était-il soudain blessé ?
   Il avait dû lui dire quelque chose... Ça ne pouvait être que par rapport à son couple et sa vie sexuelle. Avait-il rompu avec Nikolaï ? Non c'était impossible, s'ils avaient couché ensemble tout à l'heure, ils ne pouvaient pas avoir rompu. Osamu fronça les sourcils un instant. Alors c'était par rapport à son ancien petit ami. Fyodor n'avait pas l'air de souffrir de son absence, il était avec Nikolaï depuis un mois si Osamu ne se trompait pas, et il était heureux avec lui. Donc l'évocation de son ex ne devait pas l'attrister... Cependant... Osamu se souvenait très bien de l'attitude sombre de Fyodor lorsqu'il était avec son ex, de ses cernes, de sa fatigue, et de ses absences répétées... Alors c'était sûrement...
   Bon sang. Il ne pouvait pas rester ici, il devait partir à sa recherche. Osamu poussa un soupir d'agacement, en se maudissant lui-même pour avoir trop parlé, et attrapa les affaires de Fyodor. Il les rangea rapidement dans son sac, récupéra son manteau et son téléphone, et partit à sa recherche. Il jeta un dernier coup d'œil à Chûya, qui n'avait pas fait attention au départ de Fyodor, puis il quitta l'amphithéâtre à son tour. Et maintenant il devait retrouver le russe qui lui servait de camarade, alors qu'il n'avait même pas eu l'occasion de parler à l'homme de sa vie, génial...
   Ne jamais suivre un russe dans un amphi, pensa amèrement Osamu.
   Bon. Où pouvait être Fyodor ? Il n'avait pas pu aller bien loin ! Et évidemment le couloir était désert... Mais il y avait des toilettes au bout du couloir, peut-être que Fyodor s'y était réfugié ? Osamu se dirigea vers les toilettes d'un pas rapide, et vit qu'une cabine était fermée à clé. Il s'approcha avec hésitation, et colla son oreille contre la porte pour essayer d'écouter quelque chose.
   — Fyodor ? T'es là ?
   Personne ne répondit, mais lorsqu'Osamu tendit un peu plus l'oreille, il réussit à reconnaître le souffle saccadé de Fyodor. Il ne le connaissait que trop bien, pour l'avoir déjà entendu des dizaines de fois. Fyodor respirait toujours ainsi lorsqu'il était angoissé, et comme Osamu était souvent à côté de lui en cours, il avait eu l'occasion de l'entendre à plusieurs reprises. Bon sang... Il l'avait vraiment fait pleurer. Il ne pouvait y avoir qu'une raison à cette réaction. Osamu fixa la porte devant lui un instant, sans savoir quoi dire. Il n'avait jamais été doué pour consoler les autres, encore moins Fyodor, qui était son plus grand rival... Mais malgré cela, Fyodor était la personne qu'il connaissait le mieux ici. Cela faisait huit ans qu'ils se chamaillaient, alors ils avaient eu le temps d'apprendre à se connaître... Osamu pouvait bien essayer de le consoler.
   Il partit rapidement fermer la porte des toilettes, pour éviter que quelqu'un ne surprenne leur conversation, puis il retourna près de la porte de la cabine, et la regarda de nouveau. Il devinait Fyodor juste derrière, assis à même le sol, les jambes serrées contre lui, le visage enfouit dans ses genoux. Et dire qu'Osamu n'avait jamais rien vu de ce qu'il vivait... Il aurait dû y faire plus attention...
   — Pourquoi tu m'en as pas parlé, demanda-t-il à voix basse.
   Il y eut d'abord un silence, que seuls des bruits de sanglots étouffés perturbaient. Osamu resta un long moment face à cette porte fermée à double tour, les yeux rivés sur la forme sombre de son ombre, qui apparaissait grâce à l'éclairage faible de la pièce. Il n'avait aucune idée de ce dans quoi il s'engageait, mais il sentait qu'il ne pouvait pas partir. Il s'était toujours senti proche de Fyodor d'une certaine manière, même s'il ne le supportait pas quatre-vingt-dix pourcent du temps... Il restait son binôme, son double, le seul à pouvoir parfaitement le comprendre... Il ne pouvait pas le laisser comme ça, alors qu'il l'avait mis dans cet état.
   — Qu'est-ce que tu voulais que je te dise, finit par répondre Fyodor, d'une voix si basse qu'Osamu eut du mal à l'attendre.
   — Que tes marques sur le cou n'avaient rien de drôle. Que j'avais pas le droit de me moquer de toi. Que tu étais dans une relation abusive. C'est ça, non ?
   — Qu'est-ce que ça peut te faire de toute façon... On est pas amis. Ça aurait rien changé que je te le dise ou non.
   — Ouais ben que tu le veuilles ou non on est partenaires ici, on passe tout notre temps ensemble... J'aurais pu t'aider.
   — Je l'avais mérité.
   — T'es lourd mais pas au point de subir ça, dit Osamu en fronçant les sourcils. Personne mérite de se faire violer.
   — J'étais d'accord, c'est pas du viol.
   — S'il t'a frappé sans te prévenir, si. S'il a fait quoique ce soit sans t'en parler, s'il avait quelque chose en tête, c'était du viol. S'il t'a manipulé pour te faire accepter, c'était du viol.
   — Tu comprends pas, murmura Fyodor.
   — Alors explique-moi ?
   Fyodor ne répondit pas, et pendant un instant, il n'y eut plus aucun bruit dans la pièce. Le cœur d'Osamu s'était accéléré, et il avait soudain froid, signe que la panique s'était emparée de son corps. Il avait du mal à savoir pourquoi il réagissait ainsi, mais il n'aimait pas l'idée d'avoir fait du mal à Fyodor, pas de cette façon, ni d'être resté près de lui sans comprendre ce qu'il vivait. Il savait très bien que Fyodor avait été plusieurs fois en couple, il avait même déjà vu ses petits amis. Et puis il savait qu'il se disputait souvent avec l'avant-dernier, et qu'il avait souffert de leur rupture, mais il ne se doutait pas que ça se passait mal avec lui. Pourtant il avait vu ses bleus, il l'avait vu perdre ses moyens en cours et ne pas réussir à travailler, il l'avait vu avaler des tonnes de médicaments pour se calmer... Et il n'avait jamais rien fait. Il savait aussi que Fyodor pouvait faire des choses assez intenses avec son ancien petit ami, mais il s'était toujours moqué de ça, et Fyodor ne lui avait jamais rien dit... S'il avait su, il ne se serait jamais permis de faire des remarques...
   — J'ai jamais dit non, finit par dire Fyodor. Je me suis laissé faire... Et j'ai aimé ça... J'ai pris du plaisir... Et même aujourd'hui, ça peut m'exciter qu'on me fasse... Ça... M-Même l'imaginer, ça me procure quelque chose que... qui m'effraie...
   — C'est normal, répondit aussitôt Osamu.
   — Non, je suis un monstre, murmura Fyodor. J'ai aimé me faire agresser...
   — Fyodor, c'est normal.
   — C'est répugnant...
   — Non, Fyodor c'est une réaction de ton cerveau pour te protéger, c'est normal, dit Osamu d'un ton dur. Quand tu te fais agresser sexuellement, tu subis un tel traumatisme que t'es obligé de mettre en place des systèmes de défense pour survivre à ça, tu peux pas le contrôler, c'est inconscient. Y'a plein de victimes de viol qui fantasment sur ça parce qu'elles sont traumatisées. Pour te protéger, tu te persuades que la violence que tu as subie était normale, que t'as aimé ça, et que ça t'as fait du bien. Ça t'aide à oublier ce que t'as vécu et à te dire que c'était normal. Et puis le plaisir de ton agresseur te colonise, il se propage en toi, et t'es forcé de prendre du plaisir aussi. C'est son plaisir que tu ressens, c'est sa domination.
   — Mais j'ai pris du plaisir avec lui, murmura Fyodor.
   — Non, c'est lui qui en a pris, et il te l'a imposé, répondit Osamu en s'agenouillant près de la porte. Il avait de l'emprise sur toi, et toi t'as pas eu d'autre choix que de te soumettre à lui, et de ressentir son plaisir. Et c'est normal si aujourd'hui ça t'arrive encore. C'est normal si tu peux être excité par la violence. C'est de l'excitation traumatique, c'est bloqué dans ta mémoire traumatique... Tu peux pas contrôler ça... C'est comme s'il vivait toujours en toi, qu'il te hantait... Fyodor, crois-moi, t'es pas un monstre, t'es juste une victime. T'es enfermé dans le fantasme de ton ex, c'est son plaisir que tu ressens, c'est ses envies, c'est pas toi. Ça vient pas de toi, c'est pas toi qui le veut. Et c'est pour ça que t'es dans cet état aujourd'hui, c'est pour ça que tu paniques autant, que t'as perdu du poids, que tu manges pas, que tu dors pas, et que t'arrives plus à te concentrer. C'est de sa faute, t'y es pour rien !
   Un sanglot étranglé retentit et Osamu s'interrompit. Il empirait l'état de Fyodor plus qu'autre chose... Il sortit rapidement son téléphone de sa poche et l'ouvrit pour aller sur ses réseaux sociaux, puis il cliqua sur le profil de Fyodor, et chercha rapidement Nikolaï dans ses abonnements. Il réussit à le trouver et lui envoya un message pour lui demander de venir ici en lui expliquant la situation, puis il rangea son téléphone. Il n'arriverait jamais à faire sortir Fyodor de sa cabine, mais Nikolaï y arriverait, et il pourrait le ramener chez lui. En attendant, Osamu devait essayer de calmer Fyodor.
   — Je... J'avais remarqué que ça allait pas toujours, et que t'avais souvent... Beaucoup de marques... Mais j'ai rien fait. Je suis désolé... J'ai... J'ai rien fait sur le moment, mais... Tu sais je m'y connais un peu là-dedans, alors je peux te dire ce que je sais, si ça peut te rassurer. Je sais pas comment ça se passait avec ton ex, mais je suppose qu'il devait te faire faire certaines choses au lit, et vu ton niveau de confiance en toi, il devait aussi te dire certaines choses. Et tout ça, les coups, les insultes, la domination, ça t'envahit sans que tu puisses rien faire, dit Osamu, le regard perdu dans le vide. Ça te ronge peu à peu, jusqu'à te posséder pleinement, et tu finis par aimer ça, parce que t'as pas le choix... Ton cerveau se déconnecte, et ça reste piégé dans ta mémoire, ta mémoire traumatique. Alors même si t'arrives à t'en sortir, même si tu passes à autre chose... Si tu règles pas ça là-haut, c'est comme si t'étais toujours avec ton agresseur. C'est ça qui te crée des fantasmes, des paraphilies. Et t'es victime de ça, t'y peux rien. Si aujourd'hui, tu ressens le besoin de te faire frapper ou insulter pendant un rapport, c'est parce que t'es pas encore guéri du mal qu'on t'a fait. Mais t'y peux rien.
   — Avec Nikolaï ça va, j'en ai pas vraiment envie, murmura Fyodor d'une voix absente. Mais des fois... Q-Quand il me touche... J'entends une voix au fond de moi qui me demande de... De le supplier de... D-De s'en prendre à moi... Et... Elle disparaît rapidement mais... E-Elle est toujours là... En moi... E-Et je me sens sale de penser ça... E-et j'ai peur de tout gâcher avec lui o-ou de lui faire du mal...
   — Tu lui en as parlé ?
   — Non, je veux pas le faire fuir...
   — Il a l'air de t'aimer vraiment, je pense pas qu'il parte pour ça. Je suppose que t'en as déjà parlé à ta psy ?
   — Non, je veux pas qu'elle pense que je suis un pervers...
   — Elle le pensera pas, Fyodor c'est normal que tu réagisses comme ça, et si elle a suivi ses cours de fac elle est censée le savoir. C'est de la psychotraumatologie, c'est pas de la perversité.
   — Je sais pas...
   — Si tu le sais, hé c'est ton domaine la psychologie et les traumatismes, je te signale que c'est toi qui fais une thèse sur le rapport entre la psychologie et le désir en littérature.
  — Je sais pas... Ma thèse vaut rien...
   — Bien sûr que si, t'es celui qui a le plus de chances de réussir.
   Seul un reniflement répondit à Osamu, et il baissa la tête sans savoir quoi ajouter. Il ne portait pas vraiment Fyodor dans son cœur mais... Il n'aimait pas le voir dans cet état, ni l'entendre dire ça. Il savait à quel point ce qu'il ressentait était douloureux, et il savait à quel point c'était dur de s'en sortir... C'était de sa faute si Fyodor pleurait, il aurait dû réfléchir avant de parler. Il savait très bien que parler de sexe et d'amour avec lui n'était pas toujours une bonne idée, et pourtant il l'avait quand même fait, juste pour l'agacer. C'était stupide, il était idiot...
  — Je suis désolé pour ce que je t'ai dit, dit-il d'un air coupable.
   — Je te fais pitié au point que tu t'excuses, eh ben, j'ai vraiment touché le fond, dit Fyodor d'une voix étranglée.
   — Ben... Dis-toi qu'on est au fond ensemble.
   — C'est réconfortant ça dis donc.
   — C'est toi qui est doué pour réconforter les autres, pas moi. Je te rappelle que quand j'ai vu un L1 pleurer parce qu'il avait raté son partiel, je lui ai dit que pleurer changerait rien et qu'il se rattraperait l'année d'après.
   — C'est vrai, dit Fyodor alors qu'un éclat de rire brisait ses larmes. T'es un monstre aussi.
   — Les monstres sont plus intéressants que les gentils, les méchants m'ont toujours été sympathiques. 
   — Moi aussi, répondit Fyodor à voix basse.
   — Hmm..., fit Osamu en baissant les yeux sur ses mains. Ça va avec Nikolaï ?
   — Ça va.
   — Il est au courant pour... Tout ça ?
   — Oui. Mais je lui ai pas dit ce que je t'ai dit...
   — Et au lit c'est... Ça va ?
   — Oui, il fait attention à moi, murmura Fyodor.
   — Et tu ressens le besoin qu'il te frappe ?
  — Je sais pas... J'arrive à ne pas y penser. La première fois qu'il m'a touché il m'a donné l'impression de ressentir de nouveau du plaisir, mais c'était un plaisir qui n'avait rien à voir avec celui d'avant. Je me suis senti normal... Et je lui ai déjà demandé de me tenir la gorge ou de m'attacher, et quand il l'a fait... Ça n'avait rien à voir avec la manière dont le faisait mon ex. J'avais pas l'impression d'être soumis à lui. Enfin, il pouvait contrôler mon corps et mon souffle mais... Je sais pas, c'était différent. Là je sentais qu'il le faisait vraiment pour mon plaisir, pour que je me sente bien. Ça n'avait rien de violent, d'excessif et d'obsessionnel. Et après avoir fini je me sentais pas vide, j'avais pas l'impression d'avoir perdu le contrôle. Ça me faisait juste du bien..., dit Fyodor d'une voix lointaine.
   — Il faut que tu restes avec lui alors. S'il te rend heureux c'est que c'est le bon.
   — Peut-être que lui il se lassera de moi...
   — Vu comment il te regarde j'ai du mal à y croire, admit Osamu avec un petit rire.
   Fyodor n'eut pas le temps de répondre. Des pas de course retentirent dans le couloir, et rapidement, la porte des toilettes s'ouvrit d'un coup. Nikolaï apparut, suivit de Chûya, et entra immédiatement dans les toilettes. Il était essoufflé, comme s'il venait de courir sur une longue distance, et son visage était si pâle que s'en était inquiétant. Osamu se releva en le voyant entrer et s'écarta de la porte, alors que Nikolaï s'approchait rapidement.
   — Fyodor, appela-t-il en collant son oreille contre la porte. Fyodor c'est moi, tu peux m'ouvrir ? Tu vas bien ?
   La porte se déverrouilla immédiatement et Fyodor apparut. Osamu eut à peine le temps d'apercevoir son visage baigné de larmes que Fyodor se jeta dans les bras de son petit ami, qui le rattrapa et l'étreignait avec force contre lui. Il l'entoura de ses bras et le serra sans hésiter, et Fyodor enfouit son visage dans son cou, alors que Chûya entrait à son tour dans la pièce. Ils restèrent un long moment ainsi, sans bouger, comme si le temps s'était suspendu. Osamu lui-même n'osait plus bouger, et Chûya s'était arrêté à une certaine distance de Fyodor et Nikolaï, pour ne pas briser la bulle dans laquelle ils s'étaient enfermés.
   — Tout va bien, je suis là, murmura Nikolaï en passant sa main dans le dos de Fyodor.
   — Je voulais pas te déranger pour ça, répondit Fyodor d'une voix étouffée.
   — Tu me déranges jamais, je suis là pour toi à n'importe quel moment de la journée. Merci de m'avoir prévenu, dit Nikolaï à l'adresse d'Osamu.
   — C'est normal.
   — Qu'est-ce qu'il s'est passé, demanda Chûya. Qu'est-ce que tu lui as fait Dazai ?
   — Rien, j'ai juste repensé à mon ex, dit Fyodor en retirant ses lunettes pour essuyer ses larmes. Il a rien fait, t'inquiète pas.
   — T'allais bien tout à l'heure pourtant, dit Nikolaï en caressant son visage.
   — Je sais, désolé... Je ne voulais pas vous inquiéter...
   — L'essentiel c'est que ça aille mieux, dit Osamu en lui rendant son sac et son manteau.
   — Oui... Merci...
   — Je vais te ramener à la maison, t'as besoin de te reposer, dit Nikolaï en prenant son sac pour qu'il n'ait pas à le porter, avant de prendre ses mains et de les frictionner pour les réchauffer. 
   — Ça ne te dérange pas si je loupe la fin de la conférence, demanda Fyodor à l'adresse de Chûya.
   — Pas du tout, je préfère que tu rentres à la maison, tu te sentiras mieux là-bas, dit aussitôt Chûya. Tu es sûr que ça va aller ?
   — Oui, ça va mieux. Tu me raconteras comment ça s'est passé.
   — Bien sûr, dit Chûya avec un sourire.
   Il s'approcha de Fyodor et le prit dans ses bras, puis il se hissa sur la pointe des pieds et l'embrassa sur la joue.
   — Tu m'appelles s'il y a un problème.
   — Oui, promit Fyodor. À tout à l'heure.
   Il lui fit un sourire rassurant, puis Nikolaï glissa leurs mains dans sa poche pour les tenir au chaud, et ils s'écartèrent pour quitter les toilettes. Osamu et Chûya les suivirent hors des toilettes, puis ils les regardèrent s'éloigner dans le couloir, une lueur d'inquiétude dans le regard. Osamu s'en voulait vraiment d'avoir rappelé de mauvais souvenirs à Fyodor, mais il était soulagé de voir qu'il avait déjà l'air d'aller mieux, et que la présence de Nikolaï l'apaisait. Ils formaient un joli couple. C'était bien la première fois que Fyodor formait un beau couple avec quelqu'un en fait...
   — T'es pas censé être en pleine conférence, demanda Osamu en se tournant vers Chûya.
   — Je t'ai vu partir alors je t'ai suivi.
   — Ah... Tu nous as écoutés alors, comprit Osamu avec embarras.
   — J'entendais pas bien Fyodor mais... Oui, avoua Chûya en se tournant vers lui. Comment tu sais tout ce que tu lui as dit ? On parle pas beaucoup de psychotraumatologie en général, c'est assez tabou les fantasmes et les paraphilies, et j'ai du mal à croire que Fyodor t'en aies parlé comme ça...
   — Faut croire qu'on est pas si différent avec Fyodor, dit simplement Osamu.
   — Oh..., murmura Chûya, alors que son visage se décomposait. Tu... Tu veux qu'on en parle ?
   — Non, je vais bien, c'était quand j'étais petit, dit Osamu en secouant aussitôt la tête. J'ai eu le temps de m'en remettre.
   — Mais c'est horrible...
   — Hé mais ça va hein, je m'y suis fait !
   — Mais tu t'es fait agressé ?
   — Oui, quand j'étais petit.
   — C'est pour ça qu'aujourd'hui tu es comme ça et... Et que tu as autant de bandages, demanda Chûya avec inquiétude.
   — Si je te disais non je mentirais, après tout avec Fyodor on est les deux dépressifs de la promo, on passe notre temps à se balader avec des antidépresseurs sur nous mais bon ! T'inquiètes pas, ça va, je suis en vie. Et puis je touche plus mes bras, dit Osamu en enfouissant ses mains dans ses poches.
   — Oui mais... Je sais pas, c'est horrible si tu t'es fait agresser, surtout dans ton enfance... Si ça se trouve j'ai fait des choses qui te l'ont rappelé, et puis je suis pas toujours très gentil...
   — Pas du tout, s'empressa de dire Osamu. T'es parfait, et j'adore coucher avec toi ! Et puis ça va, j'ai fait plein de thérapie et tout, donc on va dire que c'est bon ! Et puis j'ai eu de la chance, j'ai été sauvé.
   — Sauvé, répéta Chûya en fronçant les sourcils.
   — Oui, j'ai eu de la chance, j'ai eu le bon viol, dit Osamu avec sourire dépourvu de joie. Avec coups et blessures, et même un témoin ! Il y a un homme qui nous a surpris alors il est intervenu, il m'a emmené et poste et il m'a aidé à porter plainte, alors cette affaire a pu être réglée. Pour une fois ! Et puis il est resté avec moi et il m'a beaucoup aidé à remonter la pente. Par contre, j'ai peur que Fyodor n'ait pas cette chance. S'il porte plainte, ça sera directement classé sans suite...
   Il tourna la tête vers Chûya en voyant qu'il ne répondait pas, et constata qu'il le dévisageait d'un air bouleversé, ses yeux brillants de larmes. Oh... La conversation avait peut-être trop dérivé sur un sujet morbide. Osamu ne s'était pas rendu compte que Chûya ne voulait peut-être pas entendre ça...
   — Désolé c'est glauque, dit Osamu en se reculant. Oublie ça.
   — Je suis désolé que tu aies eu à vivre ça, murmura Chûya en le prenant dans ses bras.
   Osamu se figea et baissa les yeux avec surprise vers Chûya. Qu'est-ce qui lui prenait ?? C'était la première fois qu'il faisait ça... Même après avoir couché ensemble, Chûya ne le prenait jamais dans ses bras... Osamu ne savait pas vraiment quoi faire. Devait-il lui rendre son étreinte ? Oui bien sûr, c'était le premier câlin que lui offrait Chûya, il ne fallait pas le repousser. Il passa alors ses bras autour de Chûya et le serra, d'abord avec hésitation, puis avec plus de fermeté, et finit par caresser ses cheveux roux. C'était la toute première fois qu'il le faisait. Il avait déjà tenu ses cheveux lors d'un rapport, mais il n'y avait pas vraiment fait attention sur le moment, et il ne s'était jamais permis de le caresser lorsqu'il dormait. Mais à présent qu'il le touchait, il se rendait compte d'à quel point ses cheveux étaient doux. Ses boucles étaient soyeuses et tombaient sur ses doigts comme des nuages de coton, la lumière glissait dessus comme une cascade d'or inonderait ses cheveux roux, et chacune de ses mèches rebelles partait dans un sens différent.
   Ses cheveux étaient comme tissés au bronze, et Osamu aima les toucher dès l'instant où il plongea sa main dedans.
   — Sois pas triste pour moi, je vais mieux maintenant, dit-il avec douceur. Je veux pas te voir pleurer pour moi.
   — Mais tu passes ton temps à vouloir te suicider, ça veut dire que tu vas pas mieux...
   — Oui, mais je t'assure que je vais déjà mieux qu'avant. Et puis je me sens bien avec toi, tu m'aides beaucoup.
   — Je te fais pas de mal ? On fait que coucher ensemble, et quand on se voit ici je te parle à peine, et je suis pas très gentil, et je t'ai même pas caché que je voulais que tu me fasses oublier Fyodor... Je suis désolé...
   — C'est comme ça que tu me plais, et puis je veux pas que tu te forces à être sympa avec moi juste parce que je me suis fait violer. Reste comme t'es, c'est très bien comme ça.
   — Je suis désolé, je suis horrible avec toi.
  — Pas du tout ! Chûya, pour de vrai, t'as pas à t'en vouloir, t'as rien fait de mal. Tu devrais pas retourner à la conférence ?
   — Pas besoin, Mori a décidé que j'interviendrais pas, répondit Chûya sans s'écarter d'Osamu.
   — Quoi ? Pourquoi ?!
   — Je suis pas diplômé alors je suis pas suffisamment formé pour intervenir, selon lui. C'est pas comme si mes recherches portaient sur ça...
   — Tu dois pas te laisser faire Chûya ! Je vais aller lui parler.
   — Ça sert à rien, et puis ça pourrait juste m'attirer des problèmes. Dans la vie faut choisir ses batailles, et celle-là n'en vaut vraiment pas le coup.
   — Quand même, ça se fait pas qu'il te laisse pas parler. En plus j'étais venu pour t'écouter ! Et puis Fyodor aussi il était là pour ça, qu'est-ce que tu vas lui dire du coup ?
   — Je sais pas, je verrai demain, pour l'instant c'est pas le moment de lui parler de ça.
   — Oui tu as raison.
   Chûya acquiesça, et un silence s'installa entre eux. Osamu était bien ainsi, il aimerait continuer de le tenir dans ses bras, poser sa tête sur la sienne, et juste rester contre lui comme si le temps n'avançait plus. Mais Chûya finit par se racler la gorge et s'écarta de lui, mettant fin à leur étreinte. Il se recula et les deux jeunes hommes se dévisagèrent un moment sans rien dire. Leur discussion était visiblement finie, et Chûya devait être mal à l'aise par rapport à ce qu'il venait d'apprendre. Osamu devrait s'en aller, et rentrer chez lui pour le laisser tranquille. Il en profiterait pour boire un peu, il avait besoin d'un bon verre de whisky pour oublier tous les événements de la soirée, et ses souvenirs qui menaçaient de refaire surface. Et il en profiterait pour envoyer un message à Fyodor, il lui enverrait une image ridicule ou une photo de sa bibliothèque rangée par couleur. Fyodor la détestait, et il s'énervait à chaque fois qu'il la voyait. Osamu adorait acheter des livres et lui montrer là où il les rangeait, juste pour l'énerver.
   — Je peux venir chez toi, demanda soudain Chûya.
   — Euh... J'ai pas très envie de sexe ce soir, toute cette histoire m'a un peu dégoûté.
   — Non, c'était juste pour... Aller chez toi. On peut aussi se voir sans rien faire... Non, demanda Chûya d'un air mal à l'aise.
   — .... Tu fais ça parce que tu sais ce qu'il m'est arrivé, demanda Osamu sans comprendre. Ou alors c'est pour pas passer la soirée avec Nikolaï et Fyodor ?
   — Je me suis habitué à les voir ensemble, Nikolaï vient souvent à la maison, dit Chûya en haussant les épaules. Je me dis juste que... T'as peut-être pas envie d'être seul ce soir. Même si tu le montres pas, la discussion que t'as eu avec Fyodor a dû être difficile. J'ai pas envie d'être seul non plus ce soir. Et puis ça t'éviterait de boire toute la nuit.
   — Je bois pas toute la nuit !
   — Y'a toujours des verres d'alcool dans le salon quand je vais chez toi, et tu sens le whisky.
   — Toi tu sens le vin et je te dis rien, fit remarquer Osamu d'un air vexé.
   — Parce que moi je passe pas mon temps à en boire ! Si tu veux pas que je vienne dis-le, ça me blessera pas. Je sais qu'on est sex-friends avant tout.
   — Non ! Enfin si, je veux que tu viennes ! Dans sex-friend y'a friend, donc on peut être amis, dit joyeusement Osamu. Et puis ça nous rapprochera, c'est un bon pas pour te faire tomber amoureux de moi !
   — J'aime toujours Fyodor.
   — Plus pour longtemps, répliqua Osamu en passant son bras autour des épaules de Chûya pour l'entraîner dans le couloir avec lui. En plus ton Fyodor il est nul, il est gaucher, il est plat, il est russe, il dessine dans ses livres, il met la luminosité de son ordinateur au plus bas, il mange des céréales au miel, c'est sur qu'il met le lait avant ses céréales en plus, il fait pas ses lacets, il sait pas s'habiller, il est-
   — Moi j'aime bien comment il s'habille, coupa Chûya.
   — Il s'habille comme s'il vivait dans un manoir de gothique, c'est affreux.
   — C'est sexy. Et puis je te signale que toi tu cornes tes livres et tu écris dedans au stylo, t'es pas en mesure de parler.
   — Je suis toujours en mesure de parler, c'est le principe de l'isegoria. Honnêtement, qu'est-ce que Fyodor a que j'ai pas ?
   — Beaucoup de choses, dit Chûya en souriant.
   — Comme ?
   — Mais je sais pas... Tu m'en poses de ces questions ! Déjà il écrit, et ça c'est un point qui le place au-dessus des autres.
   — Mais j'écris aussi, s'indigna Osamu.
   — Vraiment ?
   — Mais oui, j'ai écrit plusieurs livres, ok ils sont pas édités, mais j'en ai fait ! Moi aussi je suis un écrivain maudit !
   — Je peux lire ce que t'écris, demanda curieusement Chûya.
   — ... Non.
   — Mais pourquoi ?
   — Ils sont pas assez bien, je veux pas que tu me trouves nul.
   — Je jugerai pas, allez tu peux me montrer !
   — Non je peux pas ! Tu les liras quand ils seront publiés, dit Osamu d'un ton catégorique.
   — Pourquoi tu les publies pas ?
   — J'aimerais bien mais je trouve pas de maison d'édition, alors je passe mon temps à retoucher mes manuscrits. M. Gojo m'aide à faire tout ça, il m'a proposé de transmettre mes manuscrits aux maisons qu'il connaît, mais je me dis que si je me fais recaler c'est la honte donc je préfère attendre.
   — Pourquoi tu n'essayes pas avec la maison de Fyodor ?
   — Ça va pas ! J'irai jamais au même endroit que lui, je refuse ! En plus on est en rivalité, et comme lui il a trouvé sa maison grâce à Geto, Gojo veut pas que j'aille au même endroit pour le défier et voir qui vend le plus de livre ! Je peux pas me faire oublier par l'allié de l'ennemi !!
   — N'importe quoi, dit Chûya en riant. T'écris sur quel genre ?
   — À ton avis ?!
   — Hmm... Tu as l'air de faire des thrillers, ou des drames.
   — Mais non, je fais de la fantaisie !
   — Ah bon ?
   — Mais oui !
   — Je déteste la fantaisie.
   — Quoi, s'étrangla Osamu. Mais- Mais pourquoi ! C'est génial !
   — C'est cliché la plupart du temps. Et puis les livres à la mode en ce moment sont pas de très bonne qualité je trouve...
   — Je suis indigné ! Je vais te faire aimer ça, j'ai plein de livres pour te faire changer d'avis, déclara Osamu dans ton catégorique. Il y a plein de nouveaux livres qui sont géniaux !
   — Si tu me fais lire les livres du booktok il y a très peu de chances que j'aime, prévint Chûya d'un ton sceptique.
   — Non, les livres sont tous nuls là-bas. Je te ferais une petite sélection, et tu verras que tu finiras par aimer ça !
   — Ok, dit Chûya avec un sourire.
   — Par contre j'ai rien à manger chez moi. Enfin j'ai un bol de riz presque vide, une carotte, et de la viande au congélateur que j'ai volée à mon voisin, dit Osamu.
   — Je peux faire du curry japonais si tu veux.
   — Tu sais cuisiner japonais ?!
   — Je me débrouille plutôt bien, mon père est japonais et il m'a appris à faire quelques plats.
  — Tu es définitivement l'homme de ma vie Chuchu, déclara alors Osamu avec un sourire.
   Chûya répondit par un sourire, et Osamu lui lança un regard amusé. Chûya ne ressentait peut-être pas encore quelque chose pour lui, mais ça changerait rapidement. Osamu le sentait, les barrières de Chûya tombaient une à une, et il s'approchait chaque jour un peu plus de son cœur.

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Le chapitre est un peu triste, désolée-
J'avais envie d'abordé ce sujet dans une histoire, j'avais jamais parlé de colonisation de l'agresseur dans mes histoires, alors je me suis dit que c'était le moment de le faire et d'en apprendre un peu plus sur ce tabou. Et puis j'aime beaucoup la relation Osamu-Fyodor, c'est une sorte de rivals to friends. C'est vraiment des personnages similaires dans cette histoire, ils sont dans la même année d'étude, ils écrivent tous les deux, ils ont vécu des choses similaires, ils ont chacun un mentor, ils sont tous les deux pas très stable... J'aime beaucoup ce duo de double :)

J'espère tout de même que le chapitre vous a plu, n'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé.

Il ne reste plus qu'un chapitre à l'intrigue, et j'annonce déjà qu'il sera un Ranpoe (je sais que je vous dois un lemon avec eux 😉).

À plus !

Recueil Bungo Stray DogsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant