Chapitre 1

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La café n'était pas trop rempli, ce jeudi après-midi. Il y avait quelques habitués, comme la femme asiatique, sûrement professeure, qui corrigeait des copies au fond de la salle. Deux amies, visiblement en formation car elles passaient un temps fou à critiquer une formatrice, étaient installées à la table à côté des toilettes, ce qui semblait gêner celle à lunettes. Un peu plus loin, un couple d'étudiants profitaient de leur après-midi de libre pour faire ce qui semblait être leur premier date. Il y avait aussi ce vieux monsieur, accompagné de son petit-fils, qui se mettait à côté du tourne-disque. L'enfant observait l'appareil avec des étoiles dans les yeux. Ce spectacle était incroyablement doux et agréable.

J'étais en train de contempler la salle lorsque madame Dufiel entra dans le café. Elle s'approcha du comptoir, et zieuta à son tour la professeure.

_ Je vois que la chinoise est encore là aujourd'hui, déclara-t-elle d'une voix neutre.

Je lui offrit un petit sourire, essayant de ne pas m'attacher aux termes utilisés par la vieille dame. D'autres auraient pu être choqués, car rien ne disait que la demoiselle était chinoise. Mais madame Dufiel était de cette génération qui n'avait jamais appris à l'école qu'il existait plusieurs pays en Asie, et surtout qu'on pouvait avoir des origines sans forcément être d'une autre nationalité. Et même si je l'avais repris plusieurs fois en disant qu'une personne venant du Vietnam, de Chine, du Japon ou encore du Laos n'allaient pas se ressembler… la vieille dame était trop ancrée dans ses anciens a priori, ce qu'on appelait "le cadre de référence".

_ Si vous êtes au courant qu'elle est "encore" là, c'est que vous venez aussi tous les jours, madame Dufiel !

La personne âgée se mit à rire :

_ Bien sûr, c'est mon goûter quotidien. Mauricette va me retrouver aujourd'hui, la terrasse est-elle ouverte ?

Je fis mine de réfléchir, les bras croisés devant moi.

_ Ah… Je ne sais pas… D'habitude non mais… arg… que faire... ? Bon ! Mauricette est ma cliente favorite, je vais vous la préparer !

Cette fois, madame Dufiel pinça ses lèvres.

_ Quoi ? Je ne suis pas ta cliente favorite ? C'est honteux !

J'éclatais de rire, et Victoria, ma collègue, arriva derrière madame Dufiel.

_ Vous êtes ma préférée à moi, Magalie. Allez, venez, je vais vous préparer la petite table à l'ombre.

_ Tu es adorable, Victoria. Bien plus qu'Alix…

Je me retenais de rire, laissant ma collègue partir avec la vieille dame. Sachant très bien ce que Magalie Dufiel et Mauricette Bernard allaient commander, je préparais tranquillement un café au lait aux amandes et un thé noir aux notes de pain d'épice.

J'adorais mon travail de barista à temps partiel dans ce café. Cela faisait maintenant un peu plus d'un an que j'y travaillais le jeudi, le dimanche, et durant les vacances ; depuis ma rentrée à la fac. J'avais commencé des études en psychologie - avec comme mineure la sociologie -, car j'adore l'être humain depuis toujours. Mais, eh, des mathématiques dans la psycho, sérieusement ? Au bout de l'énième courbe et de l'énième statistique, j'avais abandonné l'idée de faire une carrière là-dedans. Du coup, cette année, je me suis orientée vers la communication, en me disant que sociable comme j'étais, j'allais bien trouver ma voie.

Depuis la vitre, je vis Mauricette arriver. Elle se déplaçait doucement, ces derniers temps. Alors qu'avant elle venait deux à trois fois par semaine, maintenant, je ne la voyais que deux ou trois fois par mois. Vieillir n'était pas simple… En apportant les boissons, j'en profitais pour discuter un peu avec elle, plaisantant avec les deux vieilles habituées.

Mon seule secret (histoire lesbienne) Où les histoires vivent. Découvrez maintenant