Chapitre 1.1 : L'échappée

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ALTHEA

La lueur rougeoyante du crépuscule s'estompait rapidement, laissant place à une obscurité profonde rendant chaque silhouette plus menaçante, chaque son plus inquiétant. La forêt, dense et sauvage, s'étendait autour de nous, ses arbres anciens agissant comme des gardiens de secrets ancestraux.

Ma mère et moi avancions rapidement en se tenant la main. Nos respirations s'accordaient, le souffle court et haletant, témoignant de l'urgence et de la peur qui nous animaient. Les feuilles craquaient sous nos pas. La forêt semblait vivante, murmurant des secrets incessants. Dans l'obscurité grandissante, d'autres silhouettes également en quête de liberté fuyaient à nos côtés, toutes traquées par les implacables soldats de l'empire Drevania. Les ombres menaçantes des hommes qui nous poursuivaient me terrifiaient. Parmi elles, une figure se démarquait. Celle de l'archer. Celui-là même qui nous avait autrefois capturées. Et malgré la pénombre, je reconnaissais sa silhouette imposante. Son cheval était massif, d'un noir profond, aussi sombre que les ténèbres elles-mêmes. Un homme à l'apparence féroce, avec une audacieuse cicatrice sur le visage. Sa chevelure rasée sur les côtés et retenue en une longue queue arborait fièrement d'imposantes plumes colorées. Une boucle d'oreille éclat argenté scintillait dans l'obscurité, ajoutant une touche mystérieuse à son visage marqué. Son physique conjuguée à sa réputation le rendaient plus redoutable que jamais. Il portait son arc avec une assurance qui ne pouvait être acquise qu'avec des années de pratique. Chaque flèche qu'il décochait était un message mortel. L'archer incarnait à lui seul la détermination implacable des Drevaniens, prêts à tout pour nous traquer.

Soudain, une flèche siffla dans notre direction, effleurant à peine ma tête. Ma mère me pressa de son étreinte protectrice, me préservant d'un deuxième tir. Nous poursuivions notre course effrénée, le froid mordant nos joues et s'infiltrant intensément dans nos poumons. Chaque bouffée d'air glacé brulait ma gorge, me rappelant cruellement notre fuite désespérée. La fatigue s'insinuait progressivement dans nos membres, rendant chaque pas plus lourd que le précédent, comme si la terre cherchait elle-même à nous retenir. La terreur et l'épuisement s'entremêlaient, menaçant de nous engloutir à tout moment.

En nous frayant un chemin à travers la forêt dense, chaque foulée était accompagnée d'un éventail de sons sauvages et urgents. Le bruit de notre respiration haletante et douloureuse se mêlait aux craquements sinistres des branches sous nos pas pressés, composant une mélodie de survie. Derrière nous, les cris rauques des soldats déchiraient l'air, ajoutant une cacophonie menaçante à ce paysage sonore qui amplifiait notre terreur. Le sifflement aigu des flèches qui traversaient le ciel résonnait près de nous, soulignant le danger immédiat, un rappel constant du danger mortel à nos trousses. Par-dessus tout, les battements rapides et frénétiques de nos cœurs, semblables à des tambours de guerre en écho, accentuaient la tension de notre course. Chaque souffle, chaque pas, chaque son renforçait l'urgence de notre situation, créant un lien avec le monde vivant et impitoyable qui nous entourait.

C'est alors qu'une racine cachée me fit perdre pieds, m'envoyant chuter lourdement sur le sol tapissé de mousse. Je tombais propulsée brutalement, une vague de sensations désagréables m'envahit alors : mes mains s'enfoncèrent dans le tapis de mousse humide et froide, accentuant l'âpreté de ma chute. Ce contact abrupt avec la terre semblait vouloir m'ancrer dans un autre monde. J'essayai de me relever, mais mes jambes tremblaient, impuissantes. Elles refusaient d'obéir, gelées par la terreur, laissant le temps à l'archer de se rapprocher de moi.

Il se positionna au-dessus de ma tête, préparant sa flèche et ajustant son tir pour mettre fin à ma fuite, mais avant qu'il ne puisse agir, ma mère, dans un acte de détermination désespéré, surgit derrière le soldat, lui sautant au cou comme une ombre furtive. D'un mouvement rapide, elle le mordit à l'oreille, lui arrachant un cri de douleur. Le ravisseur se tourna brusquement, tentant de se débarrasser d'elle d'une main, et tenant son oreille ensanglantée de l'autre. Pendant ce temps-là j'étais à terre, terrifiée, pétrifiée, paralysée, ma tentative de me relever toujours étouffée. Je regardais, impuissante, ma mère se battre de son corps frêle pour nous protéger. La puissance de l'archer était intense, forçant ma mère à se défendre du mieux qu'elle pouvait. Bien que toujours paralysée par la peur, je sentis à ce moment-là une poussée d'adrénaline face au danger imminent qui menaçait ma mère. Profitant de ce moment de distraction je balayai du regard le sol et j'aperçus une flèche abandonnée. Poussée par l'instinct, je la saisis et d'un geste frénétique je la plantai de toutes mes forces dans la jambe de l'ennemi. Il hurla de douleur et se redressa en arrière, nous offrant un bref répit pour reprendre notre fuite.

Nous reprîmes notre évasion mais le temps et la fatigue jouaient contre nous. Le bruit des sabots retentissait, annonçant l'approche de nos poursuivants. En jetant un œil en arrière, je vis les ravisseurs sur leurs montures, certains traînant des corps derrière eux. Le désespoir commençait à s'installer, ne voulant pas finir comme eux, ma mère me somma de courir et de ne pas regarder en arrière. Les flèches de l'archer, visiblement remis de sa morsure et de mon assaut, recommencèrent à siffler autour de nous. Soudain, ma mère, toujours protectrice se plaça entre moi et le danger, interposant son corps comme un bouclier. Elle prit la première flèche dans le dos, suivie par d'autres. Les traits qui la frappèrent étaient comme des coups portés à mon propre cœur. L'agonie se peignit sur son visage, mais elle tint bon, préservant ma vie de toutes ses forces.

Son dévouement et son amour pour moi ne connaissaient aucune limite. Nous devions continuer, pour elle, pour nous, pour notre liberté et notre dignité. Ma mère était bien plus qu'une gardienne, elle était une combattante intrépide. Elle m'avait nourri d'histoires de bravoure, d'aventures, et de terres lointaines, éveillant en moi une envie d'explorer les confins du monde. Les douces nuits où elle me contait les épopées d'antan, je m'envolais avec elle vers ces royaumes. Elle avait caressé l'idée de finir son voyage à travers les différentes cités du royaume et d'en dévoiler les mystères. Cependant, la main cruelle du destin et l'avidité de Drevania avaient écrasé ces rêves sous le poids de la servitude, réduisant notre existence à une lutte constante pour la survie.

Avant même cette nuit accablante, ma mère avait bravé les tumultes de la vie, affrontant chaque épreuve. La nuit où Drevania nous captura, elle se dressa devant moi telle une lionne, tout comme elle le faisait encore aujourd'hui, me protégeant avec un courage que seules les mères peuvent connaître.

Ma mère, une Valérienne de cœur et d'âme, avait traversé des tempêtes bien avant cette nuit fatidique. Elle avait connu la rudesse de la vie dans les vallées escarpées de notre terre natale, où chaque jour était une lutte pour la subsistance. Jeune, elle avait vu les récoltes flétrir et les puits se tarir, mais jamais elle n'avait flanché. Sa force, elle l'avait puisée dans les légendes de nos ancêtres, ces Valériens indomptables qui avaient façonné notre histoire à travers leur bravoure.

Elle avait connu l'amour, un amour ardent et pur, mais il lui avait été arraché, emporté par la guerre et les conflits incessants de Drevania, laissant derrière lui un vide que même le temps ne pouvait combler. Ma mère avait surmonté cette perte avec une grâce silencieuse, transformant son chagrin en une source inépuisable de courage et de détermination pour m'élever. Et pour cela je lui en serai éternellement reconnaissante.

Les épreuves ne s'étaient pas arrêtées là. La famine et la maladie avaient longtemps rodé autour des Valériens, mais elle avait toujours résisté, protégeant notre famille avec une résilience qui défiait la nature même. Elle avait appris à manier l'épée et l'arc, non par choix mais par nécessité, pour défendre ceux qu'elle aimait. Son adresse et son audace étaient devenues des légendes parmi les nôtres, inspirant respect et admiration. Chaque cicatrice sur son corps racontait une histoire, un chapitre de sa vie de lutte et de survie. Mais c'était dans ses yeux, ces profonds puits violets d'espoir et de sagesse, que l'on pouvait lire le récit le plus poignant. Les yeux d'une mère qui avait perdu un enfant et ceux d'une mère qui a bravé les tumultes non pour elle-même mais pour sa fille, l'avenir et la liberté. Ses sacrifices, sa force et sa résilience, étaient les véritables héritages d'une Valérienne, transmis à travers les âges.


Sortant de mes pensées je me rappelai les flèches qui venaient de percer son dos et qui étaient le sombre tribut de son dévouement envers moi. Blessée et affaiblie, elle glissa, nous précipitant toutes deux dans un ravin. Alors que nous tombions dans l'abîme de l'inconnu, je sentis, grâce à elle, l'éclat d'un espoir fragile dans notre quête de liberté. Si le destin nous était favorable, je lui permettrais de finir le voyage qu'elle avait commencé et qu'elle avait toujours rêvé de terminer. Mais pour l'instant, dans cette descente vertigineuse, la douleur et la peur se mêlaient à un espoir ténu, une promesse d'horizons nouveaux et un avenir incertain.

ASCENSION Tome 1 : Les voies du pouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant