Chapitre 90 - Une marche douloureuse

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ALTHEA

Dans le vacarme incessant de la procession, chaque pas était une épreuve, chaque souffle un combat. Je sentais la cage de Léandre peser sur moi comme le monde entier, ses chaines grattaient mes épaules déjà en feu, marquées par la dureté du harnais qui s'incrustait dans ma chair. Nous avions marché presque une journée entière sous un soleil impitoyable, mais ma détermination ne faiblissait pas. Je puisais dans mes dernières réserves, m'appuyant sur le moindre fragment de pouvoir que mes ancêtres m'avaient légué pour tirer ce poids inimaginable.

Lorcan, monté sur son cheval majestueux, faisait des allers-retours le long de la colonne de procession, ses yeux froids souvent posés sur moi. Il semblait évaluer ma capacité à endurer cette épreuve, son visage un masque de mépris qui se transformait en amusement cruel à la vue de ma lutte. J'étais légèrement en retrait, séparée de la procession principale par quelques mètres que je ne parvenais pas à combler, mais jusqu'à présent, il n'avait pas commenté mon retard.

Devant moi, le fouet de Darel claquait sur les tributs, une symphonie cruelle qui accompagnait nos pas épuisés me rappelant le jour de la mort de ma mère. Il prenait un plaisir sadique à presser les esclaves, exigeant d'eux qu'ils avancent plus vite, sa voix grondant comme le tonnerre. Le son des coups de fouet se mêlait aux gémissements et aux supplications des malheureux devant moi, chaque claquement résonnant douloureusement dans ma tête.

Malgré la douleur et la fatigue, je me retournai souvent pour voir si Léandre allait bien. Mon Roi supportait son propre calvaire de manière magistrale. Sa présence, même réduite au silence par les liens et le bâillon, me donnait la force de continuer. Je savais que chaque pas que je faisais était un pas de plus vers notre éventuelle libération ou notre fin. Mais même dans cette marche épuisante et humiliante, je portais en moi une étincelle de rébellion, un refus silencieux de laisser ce tyran briser notre esprit.

Je serrais les dents de larmes de douleur mêlées à une rage froide.

« Tiens bon, Althea, pour lui, pour toi, pour tous ceux qui n'ont plus la force de lutter. » me murmurais-je, chaque mot un coup de fouet à ma résilience vacillante. Dans cette épreuve, dans ce désert de désespoir, je ne portais pas seulement une cage ; je portais l'espoir d'une résistance, la promesse d'une révolte. Et je ne fléchirais pas, pas tant que je respirerais encore.

**********

DARIUS

En tant que Prince de Valeria, placé derrière l'Empereur qui avait osé reprendre le trône qui m'était dû en le donnant à mon frère, je ne pouvais m'empêcher de ruminer ma colère en chevauchant devant la procession. Chaque pas des chevaux et d'esclaves derrière moi résonnaient comme un écho de mon indignation. Lorcan, érigé en sauveur du royaume et de l'Empire, alors que c'était moi, Darius, qui avait été choisi par le sort pour régner. Et dans ce tourbillon de rage, il y avait Althea, autrefois connue sous le nom d'Alden, qui m'avait dupé tout comme les autres.

Je devais admettre, malgré mon mépris pour sa trahison, que son ingéniosité forçait mon admiration. Elle avait réussi à berner tout le monde pendant si longtemps, un exploit non négligeable. Pourtant, la voir réduite à une esclave tirant la cage d'un roi déchu satisfaisait une part sombre de mon esprit.

Soudain, Althea trébucha et s'effondra sur le chemin poussiéreux. Sans hésiter, Lorcan fit galoper son cheval vers elle. Intrigué par cette préoccupation soudaine, je pressai les flancs de ma monture pour les suivre, curieux de cette sollicitude inattendue de la part de Lorcan.

Lorcan descendit de cheval avec une rapidité qui trahissait son inquiétude. Il s'approcha d'elle, et même de loin, je pouvais voir l'ombre d'une émotion traverser son visage – un mélange de frustration et d'une étrange tendresse. Cela ne lui ressemblait pas. Lorcan, d'habitude si implacable, semblait décontenancé par la vulnérabilité d'Althea.

Je ne pus m'empêcher de m'approcher, ma curiosité attisée par ce changement d'attitude.

— Qu'est-ce qui t'arrive ? lançai-je d'un ton accusateur en arrivant à leur hauteur.

Lorcan se tourna brièvement vers moi, ses yeux masquant mal le conflit intérieur qu'il semblait vivre.

— Rien qui ne te concerne, gronda-t-il avant de remonter sur son cheval et de retourner à la tête de la procession.

Puis il s'exclama :

— Nous allons bientôt faire une pause de vingt minutes.

Je restai là un moment, le regardant s'éloigner, les sourcils froncés. Cet intérêt soudain pour Althea, était-ce une forme de culpabilité ? Ou bien Lorcan nourrissait-il toujours des sentiments pour celle qu'il avait voulu faire concubine ? Peut-être était-ce là sa façon tordue de lui faire payer son rejet et son attachement évident à Léandre alors qu'en réalité il n'en pensait pas moins.

Je tournai mon cheval et suivis la procession à distance, les pensées tourbillonnant dans mon esprit. Il était clair que je devais garder un œil sur Lorcan. Sous cette façade de loyauté envers son père, se cachait peut-être une fissure que je pourrais exploiter. Si Lorcan avait une faiblesse, c'était sans doute elle, et je devais être prêt à utiliser cette connaissance à mon avantage.

**********

EMPEREUR AURELIAN

En me pelotonnant dans le coin le plus sombre de ma voiture impériale, mes yeux suivaient sans vraiment voir les paysages qui défilaient au-delà des fenêtres finement ciselées. Chaque secousse de la voiture résonnait comme un rappel de ma propre trahison. J'avais vendu un innocent pour sauver ma peau, pour protéger mon royaume des griffes d'un Conseiller avide de pouvoir, mais au prix de quel compromis moral ?

Althea... Son nom seul éveillait une tempête de remords en moi. Je l'avais vue, épuisée, tirant la cage où se trouvait Léandre, comme une bête de somme réduite à l'esclavage par mes propres manœuvres politiques. La vision de leur souffrance était un poids qui menaçait de m'écraser. Ils méritaient liberté et justice, pas les chaînes de la captivité.

La procession ralentit légèrement lorsque Lorcan, monté sur son cheval, ordonna une pause de vingt minutes. Un soupir de soulagement parcourut la troupe, mais mon cœur restait lourd. Vingt minutes ne suffiraient pas pour élaborer un plan de sauvetage efficace.

Nous étions à la lisière d'une vaste forêt, ses arbres sombres et denses promettant obscurité et répit. Juste au-delà, la mer miroitait sous les rayons du soleil couchant, offrant une échappatoire potentielle. Si seulement je pouvais prolonger ce moment, donner à Althea et à Léandre une chance de disparaître dans cette nature sauvage...

Je devais agir, et vite. Mon esprit tournait à toute allure, cherchant une diversion, un moyen de prolonger cette pause jusqu'à la tombée de la nuit. Peut-être une célébration improvisée, une fête pour booster le moral des troupes ? Ou une fausse alerte de danger qui nécessiterait une reconnaissance approfondie des environs ? murmurais-je pour moi-même.

Plusieurs idée germaient lentement dans mon esprit. Si nous pouvions simuler une menace ou une apparition mystérieuse dans les bois, cela pourrait justifier un arrêt prolongé... Une légende locale, peut-être, quelque chose que les soldats craindraient ou respecteraient suffisamment pour hésiter... Seigneur, je ne savais que faire mais il fallait que je trouve une solution pour libérer Althea de cette situation.

Avec une détermination renouvelée, je fis signe à mon serviteur le plus proche le Ministre Jo-Gar.

— Préparez mes hommes, je veux parler à Lorcan. Nous avons besoin de plus de temps, et je vais m'assurer que nous l'obtenions.

Alors que j'attendais dans la voiture, le poids de ma couronne ne semblait jamais aussi lourd, mais mon esprit était résolu. Je ne pouvais effacer mes erreurs passées, mais je pouvais encore façonner l'avenir. Pour Althea, pour Léandre, et pour tous ceux que j'avais faillis en chemin, cette nuit serait celle de leur libération, ou je ne serais plus digne du trône que j'occupais.

ASCENSION Tome 1 : Les voies du pouvoirOù les histoires vivent. Découvrez maintenant