Léandre
Le voile de la nuit tomba sur nous, ce qui nous obligea à établir notre campement. La pénombre m'offrait un rideau derrière lequel je ne pus m'empêcher d'observer Althea et sa mère. La jeune fille, sa mère, et tous les autres prisonniers étaient entassé dans diverses cages en bois. Je ne pus détacher mon regard de cette prison, symbole d'une inhumanité que mon sang reniait mais que mon titre endossait malgré lui. A travers les barreaux j'apercevais le faible éclat de leurs yeux violets perçants. Reflet d'âmes indomptés par le fer ou la peur.
Althea, avec ses pieds maladroitement bandés de lambeaux souillés, trahissait les traces cruelles d'une marche forcée. Ses pieds ensanglantés dessinaient une carte de douleur que nul ne pouvait ignorer. Là, assise sous l'éclat d'une lune édentée, elle incarnait la souffrance silencieuse d'une noblesse perdue. Tandis que moi, prince parmi les tributs, était drapé dans l'étoffe en soie de ma propre royauté. Je me sentais comme un usurpateur. Chaque fil de ma robe, tissé d'or et de privilège, pesait sur mon âme, un fardeau de culpabilité que je portais.
J'entendis la mère demander à sa fille :
« Tes pieds te font ils souffrir Althea ?
— Je vais bien, maman, laisse-moi te masser les pieds. » Ses yeux reflétant une préoccupation mature au-delà de son âge.
« Ne t'en fait pas pour moi mon enfant. »
La voix de sa mère tremblait, trahissant une force épuisée par le sacrifice. C'était un murmure maternel, lourd de remords non mérités. Malgré la torture, elles trouvaient refuge dans un échange d'amour et de sollicitude, un baume contre les brutalités du monde extérieur. Sa mère la pris dans ses bras et Althea se laissa faire, s'abandonnant un instant dans l'étreinte salvatrice de sa mère.
La mère enveloppa sa fille dans ses bras, ses yeux déversant des ruisseaux de larmes, comme si chaque perle salée cherchait à laver leur peine commune. Dans un souffle qui semblait porter tout le poids de leur destin, elle lui murmura :
« Je suis si désolée, ma douce Althea... si désolée de ne pas pouvoir te protéger.
— Je suis désolée moi aussi maman, tu pleures encore ? Ne pleure pas. » Lui dit-elle tout en essuyant les larmes de sa mère de ses petites mains.
C'en était trop pour moi, je ne supportais d'en voir davantage. Les scènes de la journée me hantaient ; les cris des femmes, les pleurs des enfants, la brutalité des frères Lorcan et Eryndor et maintenant ça. Je décide d'agir, sans savoir que ça sera l'une des pires erreurs de ma vie. D'un geste discret, j'attirai Lykos à l'écart. Les Drevaniens, indifférents à tout sauf à leur propre soif, avaient trouvé du vin pour étancher leur cruauté et buvaient comme des pochtrons.
« Lykos, » murmurai-je d'une voix teintée d'urgence, « cette nuit offre une occasion que nous ne pouvons laisser passer. Ces brutes sont absorbées par leur soûlerie. Va, et profite de leur inattention pour récupérer le trousseau de clés qui ouvre les cages des prisonniers. » Je regardais sa silhouette s'éloigner et sentis à ce moment-là un poids étrange se soulever de mes épaules. Peut-être le début d'une rédemption que je m'efforcerai de mériter. Lykos revint avec les clés et nous nous dirigeâmes vers la cage ou se trouvait Althea et sa mère. Je me mis face à elle et ordonnait à Lykos de les libérer :
— Ouvrez Lykos !
— Votre altesse, je vous en prie, ne faites pas ça, me répondit-il d'un ton suppliant comme s'il venait de prendre subitement conscience de quelque chose.
— Maintenant !
— Bien votre altesse, votre volonté sera faite mon prince. Il s'empressa tête baissée d'aller leur ouvrir la cage.
— Courez. C'est tout ce que je peux faire pour vous, j'en suis désolé lançais-je aux deux prisonnières, qui me regardèrent avec des yeux écarquillés. Ensuite elles se regardèrent entre elle l'air de se demander si elles ne rêvaient pas, pendant ce temps les autres prisonniers se sont empressés de leur passer devant afin de s'enfuir.
« Ouvre celle-là aussi Lykos s'il te plaît » lui dis-je en désignant de la tête l'autre cage. « Partez si vous voulez » lançais-je aux autres prisonniers.
Malheureusement la liberté est souvent éphémère sous le joug des tyrans. Quelques instants à peine après la fuite précipitée des prisonniers, un cri d'alarme retentit. Les soldats Drevaniens se rendirent compte de la fuite et désormais sobres face à leur évidente négligence s'affairaient et sautèrent sur leurs montures. Ils arrachèrent de leurs fourreaux des épées larges et des arcs, et enflammèrent des torches mettant en évidence leurs visages durcis. Les hommes se mirent en selle, les flèches sifflèrent dans les carquois, prêtes à être décochées. Ils partirent à la poursuite des échappées, leurs montures piétinant le sol en un grondement sourd.
Je ne pouvais demeurer inerte, témoin impuissant de ce qui s'annonçait être un massacre certain. D'un bond, je fus sur ma propre monture, Lykos à mes côtés, me suivait sans hésitation. Le galop furieux de nos chevaux se mêla aux cris des soldats Drevaniens. L'air de la nuit était froid contre ma peau, mais la chaleur de l'action coulait dans mes veines. Soudain, j'entendis le général Lorcan crier :
« Tuez-les toutes ! N'en épargnez aucune ! »
Son frère Eryndor et le reste des soldats se mirent alors en ligne avec leurs arcs, et décochèrent des flèches sur les fuyardes. Les autres soldats lancèrent leurs montures au galop, leurs larges sabres fauchant sans pitié le dos de celles qui, épargnées par les flèches, tentaient encore de fuir. Mes yeux scrutaient la mêlée à la recherche d'Althea et de sa mère. C'est alors que je vis la mère, avec le même instinct sacrificiel que ce matin, projeter son corps devant sa fille pour intercepter les flèches que Lorcan décochait avec son rire narquois. Un cri déchirant le cœur et emplit de larmes s'éleva, « Maman ! Maman ! », puis soudainement, elles furent avalées par l'obscurité, disparaissant dans un ravin sous mon regard impuissant. Avec un mépris glacé, Lorcan lança aux autres qu'elles étaient mortes et qu'il fallait retourner au campement.
L'émotion me submergea, des larmes brûlantes me picotaient les yeux. Le poids de mon erreur me submergeait. Si je ne les avais pas impliquées, elles seraient encore en vie, enfermées peut-être, mais en vie. Dans l'ombre des arbres, avec Lykos et mes hommes à mes côtés, j'attendis que les Drevaniens se retirèrent au campement. Lorsqu'ils disparurent dans la pénombre, je donnai l'ordre de recueillir les dépouilles. Il fallait leur donner une sépulture décente, c'était le moins que je puisse faire, bien que j'eus déjà causé tant de torts.
Curieusement, lorsque mes hommes retrouvèrent le corps de la mère d'Althea, il était dissimulé sous un amas de feuilles et de branches, un geste de respect anonyme pour son repos éternel. Mais le corps de sa fille, demeurait introuvable.
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ASCENSION Tome 1 : Les voies du pouvoir
FantastikDans un monde cruel et impitoyable, une jeune fille kidnappée, et réduit à l'esclavage décide de prendre son destin en main. Elle se retrouve au cœur d'une toile d'intrigues, cachant sa véritable identité. Alors que les tragédies la poursuivent, ell...