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GABRIELLA
2005

Maman n'est pas là à la sortie de l'école. A la place, un monsieur avec un drôle d'accent est venu me chercher. Il a dit un truc à la maîtresse, puis il a pris mon sac sur l'épaule, m'a enfilé ma parka rose en veillant bien à remonter la fermeture Éclaire jusqu'en haut pour que je n'ai pas froid, et nous nous sommes mis en chemin. Je ne savais pas où on allait.

Je crois même que je ne le connais pas. En tout cas je ne l'ai jamais vu. C'est peut-être un copain de papa. Il en a beaucoup, je ne les connais pas tous.

En tout cas, le monsieur est gentil. Il s'appelle Mikkel et son accent vient de Russie. Mon papa aussi a un accent, mais il vient d'Italie et il s'entend moins que celui du monsieur. Maman est un peu des Etats-Unis, un peu de France.

Le salon de Mikkel est très grand et il n'habite pas loin de l'école. C'est cool, on n'a même pas besoin de prendre la voiture. J'espère qu'il viendra me chercher plus souvent, le retour de l'école est plus rapide et au moins, je peux regarder la télévision plus vite. Trop cool.

– Ma chérie, fais un petit sourire, me demande le monsieur. J'envoie à papa une photo de toi.

Je dévoile l'intégralité de mes dents, enfin ce qui en reste parce que j'en ai perdu beaucoup et elles n'ont pas encore toutes repoussé.

Cheeeeese, dis-je en accompagnant mon sourire d'un geste de la main avec deux doigts en l'air.

– Parfait ma chérie, vraiment parfait.

Les heures défilent et ni maman ni papa ne viennent me chercher. Peut-être qu'ils m'ont oubliée ?

Non. Pas possible. Ils ont dû avoir un problème. Oui, ça doit être ça. J'espère que ça ne concerne pas Elisa. D'ailleurs bizarre, pourquoi elle n'est pas avec moi ?

Mikkel me demande si j'ai soif.

– Oui, un peu, réponds-je.

Il me tend un verre d'eau, et je m'endors. Je n'étais pourtant pas fatiguée et j'aimais bien le dessin animé qui passait à la télévision, mais mes paupières sont lourdes comme des pierres. Si lourdes qu'elles se ferment toutes seules, je n'arrive plus à résister alors je m'endors.

Lorsque mes yeux se rouvrent, je ne suis plus dans le joli salon du monsieur sympa, mais dans une pièce où j'ai très froid, sur une chaise en fer, avec les bras attachés.

– On joue à un jeu ma chérie, me dit Mikkel. Tu dois te défaire le plus vite possible de tes liens. Si tu gagnes, tu auras droit à ce que tu veux. Je t'attends.

C'est plutôt bizarre comme jeu, mais j'adore jouer. J'adore les défis et je gagne souvent. Papa dit que je suis maligne. Maman ne dit jamais rien. Elle ne félicite qu'Elisa. Parfois, j'ai l'impression qu'elle ne m'aime pas trop, mais qu'elle n'a pas le choix, elle est coincée avec moi.

Je n'arrive pas à détacher les nœuds, j'ai beau me tortiller dans tous les sens, le monsieur les a bien serrés. Ça m'énerve de savoir que je vais perdre, alors je me concentre encore plus pour réussir. Il est hors de question que je ne n'y arrive pas. Peut-être que cette fois-ci, maman me dira bravo quand elle me retrouvera.

Je m'épuise à essayer de dénouer les liens qui serrent mes poignets, mais je ne lâche pas l'affaire. Papa dit que je suis tenace, et que c'est bon pour l'avenir, c'est une belle qualité pour quand je serais plus grande et que je mettrais le monde à mes pieds.

La porte de la pièce s'ouvre très fort et j'ai super peur, mais je suis rassurée quand je vois papa entrer en trombe dans la salle.

– Papa ! je crie en souriant. Tu es enfin là, tu vas pouvoir me voir réussir à enlever les nœuds ! On joue à un jeu avec Mikkel, je dois réussir à défaire le nœud pour gagner et j'y suis presque !

Je n'y suis pas du tout presque, mais je veux impressionner papa. Il a le visage tout rouge, comme lorsqu'il revient de la course. Trop marrant, on dirait le drôle de crabe dans Bob L'éponge.

– Vas-y ma chérie, continue, me crie papa. Mais ferme les yeux, ce sera encore plus compliqué comme ça.

Il a raison ! Trop bonne idée vraiment.

– Ferme les yeux très très fort Gabi chérie, m'indique papa.

Je m'exécute, fermant du plus fort que je peux mes yeux, si fort que ça me fait mal, mais j'ignore la douleur pour le défi.

J'entends la voix de Mikkel puis d'un coup plus de bruit, sauf un petit cri étouffé. Peut-être qu'il s'est fait mal.

Des mains viennent défaire mes nœuds et je sens le parfum de papa dans l'air.

– Mais papa, tu fais quoi ? je râle. J'y étais presque !

– Je sais ma chérie, je sais, murmure-t-il, mais il faut qu'on y aille mon amour, il faut qu'on y aille. Papa a eu si peur, oh la la, si peur ma Gabriella, mon trésor.

– Mais je m'amusais ! Je voulais défaire les nœuds toute seule.

Je me mets à pleurer de déception et quelques larmes coulent également sur les joues de mon père.

– Un Solenza ne pleure jamais Gabriella. Dans l'adversité, nous triomphons. Essuyons ces larmes et rentrons à la maison.

La MeuteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant