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NATE
Juin 2023

L'audience disciplinaire destinée à décider si le Barreau de New-York doit me retirer mon droit d'exercer ou non est arrivée. C'est ce matin. Gabriella noue ma cravate autour de mon cou. Habituellement, je le fais moi-même, mais c'est un rituel qu'on a créé pour les jours importants.

Et c'est indéniablement un jour important.

Avant de quitter l'appartement, je l'embrasse chastement. Son baiser me donne de l'espoir, ses lèvres ont le goût de l'optimisme.

Lorsque je m'élance dans les rues de New-York, le soleil me lèche le visage et brûle mes yeux. J'enfile mon indémodable paire de Wayfarer avant de continuer mon chemin. Mes jambes se déplacent seule, dictées par l'habitude de me rendre au tribunal pour plaider. Je n'ai pas besoin de réfléchir où je vais.

De toute manière, je n'ai pas la tête à réfléchir à quoi que ce soit, alors c'est une bonne chose que mon corps le fasse pour moi.

Je ne suis qu'une boule de stress qui roule sur les trottoirs bondés de touristes de la Grosse Pomme, jusqu'au lieu de ma sentence – ou de ma délivrance, tout dépendra de l'issue.

Un comité de différents juges et avocats a été réuni pour choisir mon sort. Je ne garde pas une belle image de moi du temps où j'exerçais en tant qu'avocat, plutôt arrogant et cruellement revanchard. J'espère qu'eux, en gardent un tout autre souvenir et seront cléments avec moi.

Je pénètre dans le tribunal, toujours terriblement anxieux. Ma démarche est moins assurée que lorsque j'y entrais garni d'une confiance abusive, vêtu de ma robe d'avocat.

Des hommes et des femmes en robe noire déambulent dans le hall, certains au téléphone, d'autres courant dans tous les sens et, sans faire exprès, je souris face à la scène qui se déroule devant moi.

J'aime ce monde. J'aime ce stress qui galvanise le corps et amplifie les émotions. J'aime être avocat et mon métier me manque. J'aime le droit, la justice, sauver les gens et les aider à se sentir un peu mieux et si les membres du comité décidaient aujourd'hui de me retirer mon droit d'exercer, je ne m'en remettrais jamais.

Je m'en rends désormais compte, j'ai tellement merdé en m'éloignant de cette profession qui m'avait toute ma vie fait rêver.

Des erreurs, j'en ai fait à maintes reprises, mais celle-là demeure sans aucun doute parmi les plus idiotes. Sous l'emprise d'Il Luppo, je n'ai pas su l'éviter, j'ai plongé la tête la première dans son piège, assouvissant ses moindres désirs d'une perversion morbide.

En entrant dans la salle où m'attend déjà le comité, je suis à moitié soulagé de découvrir le visage d'Elton au milieu d'autres que je ne connais pas. Il ne me sourit pas cette fois-ci, mais je crois déceler dans ses yeux une lueur sympathique.

Un brouhaha me salue avant qu'un homme d'une cinquantaine d'années un peu bedonnant et avec une barbe fournie grisonnante ne prenne la parole d'un ton assuré. La sécheresse de ses mots ne m'inspire rien de bon, mais je garde pourtant un visage de marbre pour ne pas laisser transparaître mon évidente anxiété qui martèle mon cerveau et agite mes jambes.

Perdu dans mes pensées, j'entends un mot sur deux de ce que le juge en face de moi raconte. Je reprends rapidement mes esprits quand vient le tour d'Elton de parler. Étrangement, ses mots sont bienveillants et il assure ma défense. Son intervention semble n'avoir qu'un seul but : préserver mon statut d'avocat.

Le délibéré ne se fait pas attendre. Le comité me demande de sortir de la salle pour discuter de ma sentence, mais cela ne dure pas plus de cinq minutes, juste le temps de fumer une cigarette et d'envoyer un texto à Gabriella pour lui rappeler à quel point je l'aime et lui promettre l'éternité de mes sentiments.

Lorsque j'entre à nouveau dans la salle, chaque membre du comité préserve un visage fermé, sauf Elton qui sourit presque. Enfin, du mieux qu'il peut. Ce n'est pas un homme de nature souriante, alors je devine qu'il tente de le faire aux ridules qui encadrent ses yeux bleus.

Le petit monsieur bedonnant prend la parole et son timbre grave résonne dans mes oreilles qui bourdonnent à cause de l'anxiété aiguisée qui a fini par gagner chaque recoin de mon corps, et même de mon esprit. Le sang afflue si rapidement dans mon organisme qu'il cogne violemment les tympans et me vrillent la tête à chaque battement de cœur. Je souffre, mais je ne le montre pas et reste stoïque face à cette assemblée qui me fixe.

– Monsieur Delfino, le comité a décidé qu'en dépit de vos activités malveillantes et de votre condamnation, votre droit d'exercer la profession d'avocat ne vous est pas retiré.

Soulagement.

– En revanche, reprend le juge.

Stress.

– Une période d'essai vous sera imposée. Pendant un an, vous devrez exercer aux côtés d'Elton Sharpey ici présent, qui supervisera toutes vos affaires et vos plaidoiries afin de vous éloigner de la pègre new-yorkaise. Vous pourrez toujours intervenir dans ce genre d'affaires, nous ne sommes pas en mesure de cloisonner vos compétences, en revanche, il vous sera interdit pour une année au moins d'intervenir en faveur d'un quelconque membre d'une quelconque mafia, qu'elle vienne d'ici ou d'ailleurs, que vous en connaissiez son chef ou non. Conflit d'intérêts, vous comprenez.

Je hoche la tête et croise le regard satisfait d'Elton. Il jubile de me savoir sous sa coupe pour un an.

J'accepte bien volontiers mon sort. Il vaut mieux exercer pour un an sous l'égide de mon plus vieil ennemi plutôt que ne plus jamais pouvoir exercer le métier qui me fait vibrer.

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