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Sa main s'abat sur ma joue avec une telle rapidité que mon corps suit le mouvement de mon visage vers la droite du couloir. Je retiens un gémissement de douleur en me raccrochant au mur, massant ma peau douloureuse.

— Oh pardon, je pensais que c'était la putain de ma mère, celle qui a l'habitude de traîner dans les couloirs.

Elle tend la main vers moi en signe d'aide, puis la retire immédiatement en voyant mon visage, passant de l'attention à la moquerie.

— Effectivement, c'était bien toi. J'aurais peut-être dû mettre les ongles. Espèce de folle alliée.

J'entends les pas de mon garde du jour se rapprocher plus rapidement et me confirme par la même occasion que six pas de distance est tout à fait inapproprié quant à ma protection si le premier venu peut me frapper quand l'envie le lui prend. Je ne suis certainement pas un membre relié par le sang à la couronne, mais les gardes ne servent à rien si ce genre d'événement se produit régulièrement.

— Toi. Arrête-toi. Tout de suite.

Sa voix n'est plus moqueuse, elle est sèche et grave. Son regard est encore plus méprisant que lorsqu'elle me regarde les fois où je n'arrive pas à l'éviter. Les fois où je suis trop épuisée, je ne ressens pas ce genre d'imprévu arrivé.

— Qu'est-ce que tu étais en train de faire au juste ?

Ses bras croisés contre sa poitrine, elle tape frénétiquement le sol avec son pied.

— Hé bien... Vous avez frappé la dame alors-

Il ne prononce même pas nom. La dame suffit à me définir. Je ne crois pas avoir jamais entendu mon nom sortir de la bouche d'un garde.

— Alors quoi ? Tu as cru que tu pouvais faire quelque chose ? Non, mieux, que tu avais le droit de faire un mouvement qui pourrait m'être défavorable ?

Calia. Fille de la reine Lyssa et du roi Dareen. Ce qui fait d'elle la princesse d'Azearia. L'héritière, l'enfant unique favori du royaume. L'intouchable petite peste.

Le garde se liquéfie sur place et se confond en excuse pour essayer de se sauver lui-même au fil des secondes. Ce que j'aimerais être lui, il n'a qu'à baisser la tête, embrasser sa main et s'en aller comme si ce n'était jamais arrivé. Il n'y aura aucune conséquence pour lui après ça.

— Quant à toi, il faut toujours que tu sois au milieu. Dans les couloirs, dans les conversations, dans les décisions. Tu n'as pas honte sans blague ?

Elle me pousse du revers de la main, mon épaule bouge à peine. La portée du geste n'avait pas pour but la violence. Seulement l'humiliation.

— Je suis fatiguée d'entendre Arwy a dit ceci et Arwy a dit cela. Je ne sais même pas pourquoi ma mère t'écoute. Qui sait, peut-être que tu la manipules depuis tout ce temps. Tout de manière, c'est dans ton sang de mentir, n'est-ce pas ?

Elle ne prononce même pas mon prénom correctement. Elle n'a pas pris la peine de l'apprendre ou d'en prononcer toutes les lettres. Mais ça, je ne peux pas le dire, ma position, mon statut, ne sont pas aussi élevés que ça. Ma position n'est que purement symbolique. Je suis l'enfant aux cheveux blancs qui aide la reine à connaître son futur. Sur le papier, j'ai les mêmes compétences que les charlatans qui profitent de l'espoir des gens pour remplir leurs poches jusqu'à en déchirer le tissu.

— Et tout ça pour quoi, parce que tu as réussi à prédire une ou deux fois un simple rhume à ma mère ?

Elle me pousse à nouveau en arrière. J'entends l'armure du garde frapper le sol quand il recule pour s'éloigner de moi.

— Calia, est-ce toi ?

Sauvée par mon bourreau, elle se retourne, sa haine a disparu de son visage et elle arbore un grand sourire en courant vers son père. Elle lui saute dans les bras et je fais ma révérence. Voici l'écart qu'il y a entre nous deux.

Elle est sa fille biologique, son enfant chéri à qui elle offre la meilleure éducation. Je suis la fille que sa femme a achetée et qui lui offre la sûreté du futur. Rien ne nous rassemble, pourtant, je sais que c'est moi qu'elle voit le plus souvent. C'est de moi dont elle parle quand une décision la concernant doit être prise. Je peux comprendre son agacement, quand elle la voit, elle doit parler de ses obligations et m'inclure directement sans que je le demande. Mais je n'ai pas mon mot à dire là non plus.

Je n'ai plus la force de la détester, ni elle, ni sa fille. Je ne sais pas comment j'aurais pu alimenter ma haine douze années de suite sans faille. Ma colère s'est juste... essoufflée. Un matin, j'ai réalisé que la haine, cette énergie qui m'avait consumé et nourri pendant tant d'années, s'était éteinte d'elle-même. Sans cérémonie ni preuve dramatique, elle s'était simplement évaporée. Envolé loin de moi par épuisement.

Je n'ai plus la force de donner des miettes de pain à ce sentiment pour qu'il ne s'épuise pas. Je suis lasse qu'elle m'ait quitté, mais je connais leurs manigances et leurs facettes. Quand on les connaît, on oublie de ressentir par habitude de côtoyer. Je vis avec mes bourreaux depuis douze ans et je sais que si la reine n'avait pas un si grand intérêt pour moi, il ne m'aurait gardé qu'une moitié de journée.

Mais pour l'instant et comme le reste de mes jours, je me contenterais de baisser la tête et d'obéir. Le roi Darren m'adresse un bref relevé de menton tremblant au vu de son âge et s'en va, talonné par sa fille.

De profil, ils sont les mêmes. Froid et orgueilleux. Ils savent très bien qu'ils sont en position de force partout où ils iront. La couronne offre des avantages non négligeables en cas de problèmes et d'imprévus. Leur assurance transpire à travers chaque décision, chaque mouvement. Ils portent la couronne comme un symbole indiscutable de pouvoir et de privilège. Tout ça leur est garanti, plus que permis, grâce à l'influence d'un titre.

L'influence est une nécessité dans ce bas monde.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant