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Dès que la porte se referme, je m'installe sur le lit pour feuilleter ce livre qui aurait pu tous les deux nous coûter très cher. Décidément, je ne saisis pas ce qu'il se passe dans sa tête pour agir ainsi. Les conséquences auraient pu être sévères et peuvent toujours l'être si quelqu'un venait à l'apprendre. Le titre, histoire de l'armée d'Azearia, me fait penser que je vais trouver de quoi satisfaire ma curiosité. Je l'espère en tout cas. Je me plonge dans la lecture, le commencement des divisions, leur fonction et leur but mais je n'apprends rien de nouveau.

Mes yeux commencent à me jouer des tours, ils se ferment tout seuls puis s'ouvrent en répétant ce cycle. Je m'endors et je n'ai rien appris d'important, je change de position et roule sur le dos, les pages d'encres se trouvent sur mon ventre. La bougie diminue en intensité, les vibrations au plafond ont disparu, il doit probablement faire nuit. Et cette phrase qui contraste avec tout le reste apparaît enfin. Les ennemis du sud ont été les plus ravageurs dans notre camp.

Les ennemis du sud ne sont pas vraiment ce que je cherchais en premier lieu, mais je repense aux habitants d'en dehors des murs, peut-être que je pourrais en apprendre plus sur là où ils se rendent. J'ai entendu des gardes au réfectoire dire que leur nombre avait encore baissé cette semaine. Ils ont profité du rassemblement de gardes pour rétablir les divisions et me trouver un garde personnel pour s'échapper sans être attrapé et réprimé.

Ils ont bien agi, j'aurais fait pareil si j'étais à leur place, je me souviens peu de ma vie là-bas. J'ai eu la chance d'être moins dans la misère que d'autres, ou alors mes yeux d'enfant ont atténué les conditions réelles qu'il s'y passait par le passé. Elles ont sûrement dû évoluer et empirer avec le temps.

Une des premières générations de la division Butor serait partie à la rencontre des habitants du sud à cause d'un conflit de territoire. Les sudistes auraient monté des structures sur une terre Azearienne, même si aucun accord n'était établi entre nos deux royaumes, il est logique qu'Azearia voulait retrouver son territoire. Ils auraient pu être diplomates, ce n'est pas inscrit sur le sol à qui appartient chaque zone de terre et de pierre, mais les éclaireurs de notre royaume ont lancé l'alerte à propos des sudistes. À ce moment-là, il était déjà trop tard pour envisager un possible échange pacifiste entre les deux rois. Je me souviens du premier souverain que notre royaume a eu, il était calculateur, irréligieux et profiteur.

Les gardes ont alors entouré les constructions des sudistes, la plupart étaient habitées de familles, ça ne les a pourtant pas empêchés d'attaquer au milieu de la nuit. Malgré leur attaque surprise, un bon nombre des habitants étaient, eux aussi, des chevaliers. Les combats étaient sanglants, sans pitié et à la fin, cette nouvelle ville était recouverte de feu et de sang. Elle n'aura pas prospéré bien longtemps.

Les sudistes se sont repliés, quelques chevaliers ont tenu jusqu'à la fin de la nuit. Du côté d'Azearia, le bilan est tout aussi sévère. Seulement une vingtaine sont rentrés alors qu'ils sont partis à mille et armés jusqu'aux dents.

Je tourne une nouvelle page, me rapprochant de la flamme pour y voir plus clair alors que sa lumière continue de diminuer. Celle-ci est remplie du témoignage des quelques gardes qui n'ont pas perdu l'usage de la parole, ceux qui n'étaient pas les plus blessés, qui ne se sont pas plongés dans le mutisme ou alors ont perdu l'esprit.

Les sudistes sont des monstres assoiffés de sang. Ce sont des bêtes de chair qui n'hésitent pas à couper leurs assaillants en deux et à les empaler un à un sur leur épée sans y retirer les corps, jusqu'à ce qu'ils n'arrivent plus à la soulever. Leurs corps font la taille de deux hommes normaux assemblés et ont une force qui dépasse l'entendement.

L'un des gardes précise qu'ils ont remporté ce combat grâce à l'avantage du nombre, mais que si les sudistes n'étaient pas sous stimulant, ils les auraient probablement tous exterminés sans les laisser rentrer chez eux. Des stimulants ? Quel genre de stimulants ? J'ai beau tourner les pages en les scrutant attentivement, aucun d'entre eux n'évoque à nouveau le détail du stimulant et me laisse sur ma faim.

Mes yeux continuent de m'inciter à m'endormir, la flamme est presque morte et je cède, le livre sur ma poitrine, je pense à fermer les yeux quelques secondes pour récupérer un petit peu d'énergie. Finalement, mes paupières sont lourdes et je m'enfonce dans le matelas pour de bon.

La fumée dans mes poumons me sort de mon état léthargique en sursaut, je tombe à même sur le sol dur et brûlant. L'horizon est noir sur plusieurs mètres et me rend aveugle. Je me relève et couvre ma bouche en posant mes mains dessus. J'avance à l'aveuglette en me retenant de tousser, plus de fumée pourrait m'asphyxier. Je tente de rejoindre la porte mais pas moyen de la trouver, je longe les murs, je n'atteins jamais le bois, pas même du bout des doigts. Seulement de la pierre chaude.

Je sens de la poudre, ou peut-être bien de la poussière, sur mes mains et je me remets à tousser, inhalant l'air malgré moi. Je m'accroupis à force de me racler la gorge, plié en deux, et c'est à cet instant que je le vois. Un grand feu s'embrase et se rapproche de moi. Mon corps réagit de lui-même pour s'éloigner le plus rapidement possible d'ici. Je cours aussi vite que je le peux et jette des regards dans mon dos pour voir le feu. Les flammes sont en fait de partout, sur le sol, dans les arbres, sur les maisons. Je fais des slaloms entre des pierres, des débris pour ne pas me ralentir dans ma course mais je m'étale au sol, soulevant un nuage de cendre.

Je touche mon front, je saigne. Deux pieds apparaissent devant moi, suivis d'un corps qui devient un homme à l'air menaçant. Il est armé. Ses yeux brillent d'une lueur dangereuse. Sadique.

— Non, non, non. Pitié.

Ma voix s'éteint, je recule en m'aidant de mes mains et de mes pieds pour fuir, incapable de me relever. L'homme dresse son épée vers moi, avance, le pas déterminé, puis la dirige vers le ciel avant d'abattre son coup. Mais je ne reçois rien, ce n'était pas moi, sa cible. Le corps d'un jeune garçon qui gît encore me fait hurler de peur et j'en retrouve l'usage de mes mouvements, terrifiée.

Plus je cours au milieu de nulle part, plus les combats apparaissent sous mes yeux. Le métal des armes s'entrechoque à chaque mètre que je parcours, les corps s'empilent au même rythme que le feu se propage autour de nous. Le chaos pollue autant que la fumée.

Une odeur immonde parvient à mes narines en se frayant un chemin à travers les autres. Je me bouche le nez mais je comprends bien vite d'où elle provient quand un crépitement se fait entendre à ma droite. C'est l'odeur des corps calcinés. Mon estomac rejette en un instant tout ce qu'il pouvait y contenir, plus encore quand j'en vois un deuxième non loin du premier tas de morts.

Je m'essuie la bouche et repart en courant. Je ne sais pas où je suis, ni ce qu'il se passe. Je dois fuir. Je cours en m'éloignant le plus possible des combats, évitant les débris en feu qui tombent des bâtiments, les flammes s'étendent à perte de vue et je n'en vois pas la fin.

Je me prends le pied dans quelque chose et tombe à nouveau, cette fois sur une fille de mon âge dans le même état que moi. Je ne réfléchis pas, l'attrape par le bras et la traîne en courant avec moi pour survivre à cette attaque. C'était sans compter sur cet homme qui nous attrape par les cheveux et nous ramène vers lui. Je crie et me débat mais rien n'y fait, il est trop fort. Il jette la fille au sol, non loin de moi, et brandit son épée. Son sang gicle sur moi, coule le long de mon visage.

Une main sur mon épaule, je tourne la tête lentement, la peur m'empêche de réagir, mes yeux n'arrivent pas à se détacher de la fille. C'est lui, c'est Merikh.

— Arweny, regarde-moi.

Merikh est propre, il n'est pas couvert de sang mélangé à de la sueur. Et je me rends compte que tout ceci n'existe plus, je suis dans ma chambre, dans mon lit, dans mon sous-sol froid. Pas de feu, de combat et de morts. Rien de tout ça.

— Respire calmement, doucement.

C'est à l'entente de ses mots que mon souffle se relâche d'un coup, je peine à reprendre ma respiration qui était bloquée dans ma gorge depuis longtemps. Quand mon souffle est plus calme, un détail fait tilt dans mon esprit.

L'homme qui a tué la fille portait l'uniforme d'Azearia.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant