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Attablée dans le réfectoire pour le repas de midi, je dévisage tous les gardes, qui ne se gênent pas non plus de me le rendre. Merikh mange tranquillement, c'est un jour comme un autre. Aucun de nous deux n'a abordé le sujet d'hier soir. De pourquoi il était dans ma chambre, pourquoi il est venu et qu'est-ce qu'il faisait ici à cette heure si tardive. Il m'a forcément entendu faire du bruit ou parler tant le moment que je vivais était intense, pourtant je ne saisis pas le sens de son acte.

La plus grosse inquiétude que je devrais avoir est plutôt celle de ma vision en réalité. Elle me paraissait tout à fait réelle, totalement à l'opposé de mes autres visions justement. Je suis persuadée que c'était un rêve. Ça serait la première fois depuis une dizaine d'années que ça m'arrive alors j'en doute encore un petit peu. Mais comment expliquer ce que j'ai vécu cette nuit si ce n'est pas un rêve ?

Ce qui me trouble sont aussi les gardes présents devant moi, plus particulièrement leur uniforme. Ce sont les mêmes que celui que j'ai vu cette nuit, il n'a pas changé d'un trait. Ce sont exactement les mêmes couleurs, les mêmes coutures et la fantaisie des détails. Je continue de scruter le visage des chevaliers mais je ne reconnais dans aucun d'eux ceux des deux hommes qui ont " surgi " hier soir.

— Votre lecture s'est bien passée ?

Arweny, regarde-moi. Respire calmement, doucement.

Je me souviens de ses mots. De son tutoiement, ses attentions qui m'ont permis d'aller mieux. Il a remis la barrière entre nous. Après tout, il l'a levée tout seul, qu'est-ce qui l'empêche de la remettre ?

— Oui, elle était... instructive.

— Bien.

Sa réponse me reste sur le bout de la langue, c'est bien trop court. Trop énigmatique pour lui. Ou alors je cherche absolument du sens dans tout ce que je vois car je suis absolument perdue à cause de cette nuit. Je soupire, épuisée par tout ce qui m'entoure.

Ce rêve, le fait d'avoir rêvé. L'incompréhension de son apparition. Pourquoi mes rêves reviendraient-ils maintenant ? Pourquoi pas la semaine dernière ou alors demain ? En y repensant, j'avais eu une bride de rêve il y a une ou deux semaines...

Une tête brune se dirige vers notre table, je la reconnais bien vite car il s'agit de mon seul ami. Par contre, il est inhabituel de voir un chef de division dans ce réfectoire, les chefs et les sous-chefs ont un endroit rien qu'à eux pour les repas.

— Godric, qu'est-ce que tu fais là ?

— Je me suis douté que tu serais encore là, donc je suis venu. Ça fait longtemps que nous n'avons pas mangé tous les deux.

Il pose son plateau repas devant moi et mange comme si c'était normal. Je vois le regard de quelques gardes derrière lui se poser la même question que moi.

— Hum, il met une autre fourchette dans sa bouche et l'avale rapidement. Ma division part bientôt en mission pour une grosse période, donc je voulais te voir avant de partir.

— À quelle date est prévu ton départ ?

— Dans un peu moins de trois semaines.

Ça nous laisse le temps de nous voir. On ne sait jamais ce qu'il peut se produire dehors. Surtout là où ils vont.

— La reine nous a donné une mission, pour l'instant on établit un plan d'attaque pour mener à bien les opérations. Plus on sera efficace, plus vite nous rentrerons sains et saufs.

Attaque. Je dois juste être sur les nerfs, je sens que cette nuit sanglante va être gravée dans mon esprit longtemps.

— Quel est le but de la mission ?

Cette fois, ce n'était pas moi mais bien mon garde qui s'est exprimé. Godric semble perdre de sa bonne humeur, de plus, il ne lui a pas jeté un coup d'œil en arrivant. C'est étrange de lui, il est toujours si joyeux. Mais pour Merikh aussi, je ne pensais pas qu'il allait s'adresser si familièrement à lui.

— C'est confidentiel. Ordre de la reine. Je te connais il me semble. Je me trompe ? Il lui demande en le toisant.

— J'étais dans votre division avant d'être attirée à dame Arweny.

Tiens, il recommence avec sa formulation trop polie.

— Ah oui, je me souviens que tu étais dans le groupe d'attaque. Un homme de ta trempe qui ne nous accompagne plus, c'est un gâchis.

Il m'adresse un coup d'œil suivi de ce sourire qu'il m'adresse tout le temps quand nous sommes tous les deux mais je n'y réponds pas. C'est la deuxième fois que le mot gâchis s'accompagne de Merikh qui est en ma compagnie. Venant de Dixon je m'en fiche, Godric c'est une autre histoire.

— Au moins, je sais qu'elle est en sécurité avec toi.

Son commentaire a beau me réchauffer la poitrine, un détail me taraude. Si Merikh faisait partie de la division Butor, qu'est-ce qu'il faisait là le jour où je me suis fait attaquer ? Il était censé rentrer le lendemain, au même moment que Godric.

— Aucun souci à vous faire, elle l'est parfaitement.

Comme il me l'avait promis, nous avons passé la journée ensemble, dans le jardin, à traîner dans les couloirs et il a même pu m'amener sur les remparts. Beaucoup des gardes qui me méprisent ne lèvent pas un sourcil quand je suis avec lui, j'en profite toujours pour leur rendre la pareille. Bien sûr, suivie de Merikh qui lui a dit plusieurs fois qu'il n'était pas question de s'en aller, qu'il avait ordre de ne jamais me quitter. J'ai un peu de peine pour lui, comme s'il n'avait plus aucune liberté mais il avait l'air sincère dans ces propos. Godric finit par abandonner au bout de la quatrième demande.

Le repas du soir passé, le brun me laisse, il a du travail à faire de nuit pour égaliser avec le temps qu'il a passé avec moi et me promet de revenir demain. Je retourne alors dans mes quartiers, toujours suivie de Merikh qui ne s'est pas plaint un instant des nombreux aller-retours que nous avons faits pour discuter et nous arrivons rapidement devant ma chambre.

Je fais ma toilette et seulement deux petites heures après, je sens qu'il va arriver. Je remets en place ma robe de nuit avant de lui ouvrir. Il tient dans sa main la soupe noire, de l'autre sa main en suspend au-dessus de la porte. Ça faisait longtemps, j'aurais aimé que ça fasse plus longtemps. Je m'apprête à l'avaler pour en terminer le plus vite, j'ai pu l'éviter une fois mais pas deux, c'était trop beau pour être vrai. Pourtant il se met de dos, comme la dernière fois.

— C'est donc ça que vous faites quand vous en avez la possibilité ?

J'enlève mes lèvres du bord de la porcelaine abîmé.

— C'est-à-dire ?

Je vais jeter la soupe en lui répondant. Quelque chose me chuchote qu'il se fiche pas mal de l'autorité au-dessus de lui.

— Vous marchez toute la journée, en arpentant les couloirs sans les quitter pour discuter.

— Que veux-tu, le statut de Godric m'offre plus de liberté de mouvement, alors il me laisse en profiter. En plus, il est souvent en mission, alors nous essayons de rattraper le temps comme nous pouvons.

— Donc, si vous pouviez le faire tous les jours, vous le feriez ?

Je reviens vers lui, à la frontière de ma chambre et observe ses épaules de dos. Il est plus large que Godric...

— Si j'avais le droit d'être vu dehors plus que mon temps limité et ailleurs que le jardin et le hall principal, je le ferais certainement, oui. Sans aucun doute.

— D'accord.

Il se retourne pour être face à moi, me regarde quelques secondes, je lui rends le bol mais il n'y fait pas vraiment attention.

— Bonne nuit Arweny.

Pas de Dame Arweny, cette fois.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant