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J'ai à peine le temps de me remettre de cette décharge d'énergie que je tente de me rattraper à quelque chose dans ma chute. N'importe quoi d'assez solide et résistant pour m'éviter un contact frontal avec le sol. Mais l'impact n'arrive pas.

À la place, je suis rapidement remise sur le sol alors que le garde me tenait simplement par la force de sa main et par le tissu de ma robe, au niveau de mon dos. Je suis dans sa main comme si je ne pesais rien du tout. Je n'ai pas le temps d'analyser l'homme en question que je me fais plaquer à nouveau contre le mur, son corps contre le mien. Ou plutôt son dos. Il m'écrase complètement et son armure lourde me compresse douloureusement la poitrine. Je n'ai plus de souffle.

Mais je comprends bien vite qu'il fait ce qu'il peut, lui aussi. Il est acculé contre le mur, contre moi, et se démène pour repousser son ennemi. Ses ennemis. L'adrénaline pulse dans mes veines et mon sang s'embrase, mes sens se mettent en alerte quand je comprends la situation d'urgence qui est en train de se produire sous mon nez. Trois gardes sont en train de nous attaquer, l'épée à la main, prêts à envoyer le coup. Gardes qui, qui plus est, sont censées appartenir à la garde royale. Alors pourquoi attaquent-ils ? Une épée qui se rapproche grandement de mon visage et se fait immédiatement repoussée par un grognement colérique du garde contre moi me corrige. Ils m'attaquent moi, en réalité.

Puisqu'ils sont en supériorité numérique, ils nous devancent, je suis incapable de me battre, alors je ne risque pas de prendre part au combat. J'espère que l'homme qui est, je le crois, dans mon camp, peut se battre pour nous deux et au moins protéger sa vie. Mon cœur martèle dans ma poitrine alors que je prie silencieusement pour l'homme qui sera notre bouclier à tous les deux dans cet affrontement.

Les gardes avancent d'un pas assuré, encerclant mon seul défenseur. Après tout, nous ne sommes que deux, et un coup d'œil vers le bout du couloir m'indique que nous le sommes réellement. La reine Lyssa et ses gardes ont disparu.

Je parviens à voir sa main qui ajuste sa prise sur son arme encore dans son fourreau. Elle se resserre, ses doigts blanchissent puis rougissent comme s'il était en train de doser sa force sur la poignée. L'homme se sépare enfin de mon corps et me laisse reprendre mon souffle tout en créant une distance entre nous en brandissant son arme, qui fait changer le visage de ces corrompus. Son arme reflète dans leurs pupilles sa couleur de feu. Un feu bleu.

Je n'ai jamais vu une flamme d'une telle couleur.

Elle m'hypnotise quand elle arrive rapidement sur le premier et transperce sa protection de fer comme un couteau dans du beurre, sans aucune difficulté. Son mouvement a tout d'une illusion, la flamme bleue semble courir après la lame d'argent comme si elle ne pouvait se dissocier d'elle. Son épée est accompagnée d'une traînée lumineuse, une aura dessinant des arabesques incandescentes dans l'air. Un artefact magique, je pense quand le froid du feu épouse ma peau, comme une brise. J'ai beau voir un feu étincelant, sa flamme n'est pas chaude. Loin de là, elle est glaciale et c'est sûrement ça, le plus dangereux. Le froid pénètre plus violemment les hommes, elle immortalise leur mal-être en le figeant dans leur corps.

Je reste inanimée et pourtant remplie de peur face à la situation. Il se déplace si librement qu'on ne dirait que c'est un vrai combat, je me rends compte qu'il doit détenir une grande expérience pour combattre ainsi tout en maintenant une assez faible distance avec moi pour qu'un des trois ne puisse pas m'atteindre à moins d'un mètre de distance. Chaque mouvement est calculé, chaque parade est exécutée avec une maîtrise évidente. Je n'ai pas à m'inquiéter pour lui. C'est un fait.

Les bruits métalliques des coups d'épais résonnent alors qu'un garde fonce sur le détenteur de l'arme de feu mais se fait rapidement neutraliser par un habile coup de fer de sa part. Au même moment, le dernier garde corrompu encore debout cours vers moi, sa haine me paralyse davantage. Je vois dans son regard l'envie de meurtre, l'envie de commettre mon meurtre avec une telle intensité, une telle rage qu'elle aussi, m'empêche de faire le moindre mouvement. Je suis totalement impuissante.

Pourtant, je vois au ralenti mon protecteur lui asséner un violent coup au visage avec son pied. Il tombe au sol, initié par la force qu'il pose sur lui et se fait piétiner le visage. Il tente de se relever mais encore une fois, il ne peut rien faire. L'autre homme n'appuie plus sur son visage et je suis persuadée d'avoir entendu son crâne se fendre dans un affreux son de brisement alors qu'il devient silencieux. Il n'émet plus aucun bruit.

Je relève la tête, m'obligeant à quitter ce spectacle d'horreur. C'est à ce moment que nos yeux se rencontrent. Son regard est si froid qu'il pourrait me geler et me brûler à la fois.

Tout comme sa flamme.

En fait non, son regard est brûlant. Je ne sais pas. Je ne peux pas quitter ses yeux, ils m'ensorcellent et font monter en moi une subite chaleur qui m'étouffe, me compresse, m'écrase de l'intérieur alors que seul son regard m'est accessible. Le reste de son visage est couvert d'un masque aussi noir que ses cheveux, même s'il est taché de quelques traits de sang, tout comme sa pommette droite.

Merikh.

La tension dans l'air n'est pas redescendue malgré sa victoire écrasante, ce nom percute mon esprit de la même façon dont il a écrasé la tête de cet homme sous mes yeux. Le silence entre nous est presque palpable, rompu uniquement par le frottement de son feu contre l'air qui, petit à petit, rapetisse avant de disparaître quand il la range dans son fourreau. Également par le sang de l'homme à terre qui rampe vers moi et vient humidement réchauffer le bout de mes orteils à travers ma fine chaussure.

Merikh.

Il tourne en boucle et je ne sens plus mes genoux. Ni aucun de mes muscles. Je n'ai plus d'air. Et quand mes yeux se referment une dernière fois, je ne suis capable de n'entendre que son nom et un bruit sourd qui accourent vers moi.

Merikh.

Dans mon obscurité, j'ai l'impression de voir deux petits orbes noirs, suivie d'une explosion de points blancs qui se mettent à briller, de plus en plus, jusqu'à effacer l'obscurité de mon esprit.

Merikh est son nom.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant