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Je n'arrive pas à dormir, je n'y arriverais pas du tout de toute manière, trop de questions tournent en boucle dans mon esprit. À propos de Merikh, de la reine, de mon don. Mais pour l'instant, le sujet chevalier Merikh est celui qui m'obsède le plus.

Je sais que cette nuit, je ne rêverais pas non plus et je sais aussi que c'est à cause de la soupe. Le goût doit être causé par le produit qui réduit qui colore la soupe et, par la même occasion, obstrue mon don. Je dois juste découvrir ce que c'est. En passant en revue dans ma tête tous les plats servis au réfectoire dont je me souviens, aucun n'a de couleur noire ou un goût si terrible. Ce n'est donc servie qu'à moi, le cuisinier n'est donc probablement pas le même que pour les autres. Est-ce que je pourrais trouver des réponses dans la cuisine ? Est-ce que je peux demander à Merikh s'il n'est pas trop dangereux de s'y rendre ? Je ne pense pas que quelqu'un si trouve au milieu de la nuit.

Je m'extrais de mon lit pour rejoindre la porte qui me sépare de Merikh. On ne sait pas parler depuis son réveil, il y a quelques heures. Il est resté dans le couloir qui mène à mes quartiers jusqu'ici. Mais quand je pousse la porte, la lueur de ma bougie n'éclaire personne. Merikh n'est pas ici. Mon cœur s'emballe et je fais les cent pas dans le couloir pour le trouver en appelant son nom avec un chuchotement crié.

Il m'a dit une fois qu'il prenait l'air la nuit, peut-être qu'il est juste en haut des marches. Ma main tremble, menaçant de faire s'éteindre la mèche d'une seconde à l'autre, je ne sais pas si c'est à cause de la peur ou du froid. Je n'ai jamais monté ces marches sans escorte. Je suis... je ne sais même pas comment je me sens, j'ai l'impression de faire une bêtise.

En haut des marches, le vent gifle mon visage en y écrasant des flocons mais personne n'est en vue. Il n'est pas là. Je chancelle d'avant en arrière, j'ai terriblement envie de partir à sa recherche mais j'ai aussi peur d'être attrapée. Je commence à descendre quelques marches et je me rappelle de quelle heure nous sommes. Le milieu de la nuit. J'ai appris avec mes balades de nuit que très peu de gardes font des rondes, voire aucune certaine nuit, je peux le faire. Je peux le faire.

Et me voila au milieu d'un couloir, seulement éclairé par la lune, j'ai plus de chance d'être remarqué si on s'aperçoit de la lumière que produit la bougie, je la laisse devant l'entrée des escaliers. Je regarde une dernière fois en arrière, à l'entrée de mes quartiers, mais je suis déjà loin. Je ne vais pas reculer maintenant. Chacun de mes pas qui résonnent me tend un peu plus, j'espère n'entendre que mes pas cette nuit.

Où est-ce que je pourrais le chercher ? Quand nous nous baladons, on fait le tour des piliers et c'est tout. La nuit dernière, nous sommes montés sur les remparts... Peut-être qu'il s'y trouve. Je suis trop petite, dans tous les cas je ne pourrais pas monter par moi-même. Alors je vais longer les murs aux endroits où le plafond est à découvert et qui laisse la neige rentrer pour avoir une vision sur les remparts.

Un pied devant l'autre, les mains et le dos contre le mur, j'avance pour tenter de l'apercevoir. Je ne vois qu'une partie des remparts. En plissant les yeux je remarque des cordes attachées autour des remparts, en direction de l'extérieur, elles doivent pendre le long du mur. Je me demande à quoi elles servent, tout à coup l'idée qu'il se soit éclipsée du château sans me prévenir me retourne l'estomac. Non, il n'aurait pas fait ça, il ne m'aurait pas laissé ici, toute seule. Il est plus probable qu' il se trouve de l'autre côté des remparts, à l'intérieur de ces murs, mais je n'ai pas vu de tour allumée, il ne monte alors pas la garde. Je tends mon cou le plus possible pour essayer de l'apercevoir et mon sang se glace. Je viens d'entendre du bruit, de l'autre côté.

Je me fige, le bruit recommence. Je ne peux pas être trouvé ici, impossible. Aucune de mes excuses ne pourrait être crédible. Je regarde autour de moi, je n'ai pas de cachette, la bibliothèque est trop loin, les fleurs pas assez épaisses pour que je me cache entre elles en plus d'avoir une vision de chaque angle du jardin de l'extérieur. Le bruit se rapproche, je dois me dépêcher.

Je cours sur la pointe des pieds pour limiter le bruit de mon corps sur la pierre et m'engouffre dans un couloir sombre. Les fenêtres me permettent de voir par section ce qui m'entoure. Il n'y a que des portes alignées sur mon chemin. Je n'ai aucune idée d'où je me trouve mais le bruit me poursuit, je dois me dépêcher. Pas le choix, je suis dans le noir, peut-être que ça va me sauver.

J'active la première poignée qui passe sous ma main et m'engouffre à l'intérieur. Je tends l'oreille mais je n'entends que mon cœur qui tambourine dans tout mon être. Pitié, faites que ça ne soit pas une chambre avec quelqu'un à l'intérieur. Pitié.

Mes yeux s'habituent un peu mieux à l'obscurité, les contours d'objets se dessinent devant moi. Ça ressemble à un banc, avec une table devant. La pièce est minuscule. Ce n'est pas une chambre. Ma respiration se relâche quand je le réalise, je m'avance dans la petite pièce.

Les bruits de pas réapparaissent. La personne n'est pas partie. Elle m'a définitivement remarquée. Mon estomac remonte dans ma gorge mais je n'ai pas le temps de me sentir mal que je me faufile sous la table, derrière le banc. Si je le pouvais, je me fondrais dans le bois tellement je m'y colle pour être le plus éloigné de la porte.

Je plaque mes mains contre ma bouche et mon nez quand elle s'ouvre, silencieusement, lentement et que je vois deux pieds en direction de moi. Il s'avance, fait le tour de la table et s'arrête juste à côté de moi. S'il y avait un brin de lumière, la personne aurait vu que son pied se trouve à seulement quelques centimètres de ma robe qui déborde. L'air est sec et n'arrive presque plus dans mes poumons, j'ai peur qu'elle entende le bruit que je pourrais émettre. À mon plus grand soulagement, elle part en refermant la porte derrière elle.

Je reste dans cette position quelques secondes encore avant de retirer mes mains. Mais qu'est-ce que j'ai fait ? Pourquoi je suis partie, j'aurais dû attendre Merikh. Les larmes commencent à monter en moi, quand je remarque une deuxième porte. Il n'y a pas beaucoup de pièces configurées ainsi, seulement la salle principale pour aider la reine et les passages des domestiques de ce que je sais.

Je peux me faufiler entre elles pour réussir à sortir sans me faire attraper. Tout doucement, je rejoins la porte du fond, elle donne sur une seconde pièce quasiment identique. Je crois que ce sont les salles à manger des domestiques. J'avance comme ça en passant à travers trois salles avant de tomber sur la cuisine. Aucun doute, il y a une petite cheminée dont le feu s'éteint qui éclaire la pièce. Des assiettes, des bols, des louches. Je suis dans une cuisine.

Je mords l'intérieur de ma joue, je fuis ou j'explore ? Je n'aurais pas deux fois la même chance. Je n'ai qu'à rester le plus silencieuse possible et tout ira bien. Oui, tout ira bien. Je fouille quelques tiroirs, des meubles en tout genre et même les bacs sous la table contenant des patates, mais je ne trouve rien de particulier. Du moins pas ce que je voudrais trouver.

Je m'assois sur le banc devant le feu pour me réchauffer. Me cacher était stressant mais ne me réchauffe en rien. Mes chaussures sont fines et le sol, frigorifié. Je tends mes mains vers les petites flammes, la chaleur est agréable, j'observe le mouvement des petites flammes qui vont bientôt s'éteindre pour laisser place aux cendres rougeoyantes en me demandant si je vais pouvoir rentrer sans être attrapé. Merikh ne sait probablement pas que je suis sortie et doit penser que je dors alors il ne viendra pas pour m'aider. Je dois m'aider par moi-même, cette fois.

En observant bien les flammes, je regarde aussi les briques de la cheminée. Elles sont rouges, parfaitement emboîtées et paraissent brûlantes. Sauf une plus claire que les autres. Plus je la vois, plus je dis qu'on dirait qu'elle a été posée au milieu des autres pour combler un vide.

J'attrape un torchon et essaye de la retirer. J'y applique un peu de force et elle reste dans mes mains. Je pose la brique chaude sur le côté, il y a un trou dans le mur. Une petite cavité entre les briques. Je tends mes doigts à l'intérieur, je sens les contours d'un récipient. Quand je le ressors, c'est en fait un bol rempli de pierres noires. J'en prends une en main et elle s'effrite, créant une poussière sombre qui retombe sur mes cuisses, tout comme de la cendre. L'odeur ne trompe pas. C'est la même chose que dans mes soupes. Je mets une pierre dans un torchon que je glisse par la suite dans ma robe effilochée pour l'emporter avec moi et me dépêche de tout remettre en place, le bol, la brique, le torchon.

Une fois terminé, je m'essuie les mains pour me débarrasser de la poudre sur moi, je tends une dernière fois mes mains vers le feu avant de partir, je me demande ce qu'est cette pierre pour être cachée de cette manière. Une main s'écrase sur mon visage, bloque ma bouche quand j'essaye d'hurler. Je me fais tirer en arrière. Je suis terrifiée.

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant