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 — Tu vas tout de suite leur dire de cesser leur insubordination.

— Non. Je n'en ferais rien.

La comédie ne fait plus partie de nos échanges désormais. Elle est froide, distante et mauvaise. C'est ma mère.

— Je suis leur reine, c'est moi qui décide avec ton père, leur roi. Nous les dirigeons.

Assise autour de cette table mal lavée et qui possède encore un verre d'alcool à moitié vide, elle fait tâche. Tous les deux n'ont rien à faire dans ce décor, ils y sont mal assortis.

— Si on suit votre logique, je suis votre fille, donc la princesse de Graivell. J'ai le droit d'avoir mon mot à dire.

Je déteste cette appellation, mais si je peux l'exploiter à but égoïste quand ça me chante, je vais le faire. Ils ne se sont pas arrêté à cet ordre moral pour me faire venir ici en disant que je suis leur fille chérie.

— Tu n'as rien à faire dans l'organisation d'une guerre, Arweny. Tu n'es qu'une enfant perdue qui tente de trouver sa place.

Dit mon père, qui lui tente encore le rôle de parent.

— Moi je le suis. Je commande cette armée. Le choix de celui qui me commande moi nous revient à nous. Et nous, les réniens avons choisi notre princesse.

Son intervention debout à côté de moi nous surprend tous les trois. Je le regarde, choquée, je veux lui dire qu'il n'est pas obligé de faire ça, que c'est à moi de prendre la responsabilité de toute cette histoire. Je sais à quel point il aime son statut dans l'armée et la hiérarchie qui en découle. C'est toute sa vie. Mais il ne me regarde pas une seconde, il est indéchiffrable en les fixant du regard, sûr de lui. Merikh a dit le nom de leur peuple comme s'il voulait tracer une ligne bien définie entre eux. Ils sont exclus de ce peuple.

— Toi, comment oses tu nous faire ça ? Nous t'avons tout donné. La meilleure place dans l'armée, le meilleur statut, une excellente place pour ta mère... Et tu nous trahis pour suivre une parfaite inconnue même pas capable d'ingérer du zektry ?

Le masque tombe officiellement. L'expression de Merikh change. Celle de mon père aussi, visiblement, elle n'était pas censée dire ces mots précis, et il le savait. Elle ressemble tellement à la reine Lyssa en disant toutes ces horreurs. Tout comme elle, elle tente de le rendre misérable et redevable, comme Lyssa me l'avait fait.

— Alors m'avez vendu à cause de ça ? Parce que je ne pouvais pas en prendre ? Parce que j'étais une honte à cause de ma différence comparé à vous, Ȏ grands dirigeants des réniens ? Je me demande ce qu'il vous est arrivé après avoir fait ce que vous avez fait à votre inconnue.

Le ton que j'ai adopté touche mon père qui semble être celui le plus sincère dans cette famille depuis le début. Il gigote sur le banc, approchant sa main pour prendre la mienne, je recule pour qu'il ne me touche pas pendant que sa femme s'indigne de mes propos. J'ai touché la corde sensible, le maillon faible dans leur fausse histoire familiale.

— Nous avons regretté, tellement regretté de t'avoir fait ça. Comprend nous, nous ne savions pas quoi faire d'autre alors-

— Qu'est-ce que Drorena vous a fait ? Je me fous de votre histoire, je veux savoir quel châtiment elle vous as imposé pour m'avoir donné en pâture à ces monstres.

Étrangement, je me sens proche de lui, le lien est faible et pourtant je ressens quelque chose pour lui. Ce n'est pas à cause du lien de sang entre nous deux, c'est de la pitié et de la compréhension que je n'aime pas ressentir. C'est peut-être pour ça que je lis si bien sur son visage la surprise, que je sache que leur déesse leur a fait quelque chose. Il regrette, sincèrement.

— Elle nous a enlevé tous nos gênes réniens, nous ne pouvons plus consommer du zektry et nous avons maintenant une espérance de vie... humaine.

— Je ne suis pas désolé.

— Je le sais. Et je ne t'en veux pas. Nous allons mourir avant notre peuple et ce n'est pas assez pour ce que nous avons fait à notre petite fille.

— La mort est de famille alors.

Je sens que mon chuchotement n'est pas passé inaperçu pour les oreilles de Merikh mais l'attitude de ma mère me préoccupe davantage. La colère la dévore. Parce que son plan n'a pas fonctionné, la finalité est la même, mais l'armée est de mon côté, les soldats le sont et leur meilleur élément l'est aussi. Si mon père s'est résilié à tout pouvoir devant moi, elle n'est pas de cet avis.

— Tu es comme elle.

Elle se redresse, piquée au vif.

— Je comprends pourquoi tu m'as vendu à Lyssa. Peut-être que tu m'as simplement donné en fin de compte, comme monnaie d'échange pour qu'elle vous laisse tranquille suffisamment de temps pour que tu puisses fuir.

Elle ne dit rien. Mon père baisse la tête pour regarder ses pieds. Je prends leur silence pour acquis. Je me tourne vers Merikh, il hoche le menton. Le moment est venu d'y aller.

— Je ne suis pas venue pour renverser vos statue. Vous m'avez fait venir pour m'utiliser, c'est donc de bonne guerre que ça soit le peuple que vous voulez sauver en échange de ma vie qui abandonne les vôtres en se rendant compte que vous êtes de la même espèce que l'ennemi.

Ils ne disent toujours rien. Merikh leur tourne le dos.

— Je vais faire ce que je peux pour tous les sauver. Pas parce que je suis leur princesse. Parce qu'ils méritent de vivre leur vie. Faites de même avant qu'elle ne se termine de manière précoce.

Je leur adresse un dernier regard, les petites rides sur leur visage m'indiquent bien que leur vieillissement est plus accéléré que ceux des autres. Je me dirige vers la porte où Merikh m'attend pour qu'on puisse enfin retirer cette épine qui était enfoncée depuis si longtemps.

Le bruit du verre qui se brise contre le sol me fait sursauter. Ma mère lance contre le sol et contre les murs tout ce qui lui passe sous la main parce qu'elle sait que j'ai gagné. Elle a tout perdu, la vie, son peuple, son autorité. Tout, et en échange de quoi ? Rien du tout.

— Tu vas tous les mener à leur perte.

Parce qu'elle va bientôt mourir.

— Tu n'es pas taillé pour ça.

Et que même si elle aime son peuple.

— C'est à moi de les commander !

Elle s'aime beaucoup plus.

— Tu n'es personne pour eux ! Personne !

Elle n'acceptera jamais le goût de la défaite.

— Je savais que mon incapable de sœur n'arriverait pas à te garder sans être trop gourmande !

Je ne suis même pas choqué par cette nouvelle. C'est plutôt évident en fait de compte, elles sont identiques, avec les mêmes goûts pour la manipulation et le sadisme.

— Elle devait te garder pour elle pour que son mari ne nous chasse pas... je savais que j'aurais du...

Je n'écoute plus les horreurs qu'elle me balance et sort de l'auberge, résilié à me comporter totalement différemment qu'elle. Je les sauverais. Je donnerais ma vie s'il le faut, j'ai déjà commencé à le faire.

Eh là haut. Si tu m'entends, merci de m'avoir permis de prendre ma revanche. J'ai retiré de mon cœur une épine qui me faisait saigner depuis des années. Je dois juste attendre qu'elle se referme pour de bon. 

D'étoiles et d'épines [ TERMINÉ ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant